163
pages
Français
Ebooks
2013
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Ebook
2013
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Publié par
Date de parution
08 mai 2013
Nombre de lectures
9
EAN13
9782507051556
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Une grenade qui explose. Un bonze en torche vivante. 1963, Saigon suffoque. Tuyêt aussi, dont les " pourquoi " ne trouvent aucun " parce que ". Mais ça ne fait rien : elle n'a que dix ans. Plus tard, elle comprendra tout. C'est écrit dans le ciel depuis que le ciel existe. Il faut juste attendre. Très vite cependant, elle n'est plus une, mais deux. L'une rêve encore de poussins, l'autre sait qu'il n'y en a plus. La passerelle ? Un monde où réel et imaginaire s'entrelacent, où l'on croise des personnages étranges. Un pays en marche vers son destin, où flotte la douceur d'un sourire, celui du journaliste français, son héros (au fait, ce dernier existe-t-il vraiment ?). Un roman où les questions surgissent, bruyamment ou en silence, à l'image des bombes qui éclatent ou des souffrances qu'on tait. Une histoire douce-amère narrée sur un ton tendre et drôle par une enfant éprise de fous rires, de glace parfumée à la solitude et de métaphores.
Publié par
Date de parution
08 mai 2013
Nombre de lectures
9
EAN13
9782507051556
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
La présentation de l'éditeur
Une grenade qui explose. Un bonze en torche vivante. 1963, Saigon suffoque. Tuyêt aussi, dont les "pourquoi" ne trouvent aucun "parce que". Mais ça ne fait rien : elle n'a que dix ans. Plus tard, elle comprendra tout. C'est écrit dans le ciel depuis que le ciel existe. Il faut juste attendre.
Très vite cependant, elle n'est plus une, mais deux. L'une rêve encore de poussins, l'autre sait qu'il n'y en a plus. La passerelle ? Un monde où réél et imaginaire s'entrelacent, où l'on croise des personnages étranges. Un pays en marche vers son destin, où flotte la douceur d'un sourire, celui du journaliste français, son héros (au fait, ce dernier existe-t-il vraiment?).
Un roman où les questions surgissent, bruyamment ou en silence, à l'image des bombes qui éclatent ou des souffrances qu'on tait. Une histoire douce-amère narrée sur un ton tendre et drôle par une enfant éprise de fous rires, de glace parfumée à la solitude et de métaphores.
Bébé maquisard dans le Nord Viêt-Nam, Tuyêt-Nga Nguyên grandira dans le Sud à l'ombre d'un autre conflit avant de partir, à dix-huit ans, parfaire ses études en Europe. Elle a habité aux Etats-Unis où elle a participé à l'accueil des premiers boat-people, et en Afrique. Elle vit aujourd'hui à Bruxelles.
Tuyêt-Nga Nguyên
Le journaliste français
L’explosion a la violence du rugissement d’un dieu en colère. L’air s’emplit d’une fumée bleutée accompagnée d’une odeur de soufre. Un cri retentit : « Luu dan ! luu dan ! grenade ! grenade ! » Comme des rets jetés du ciel, la terreur s’abat sur les hommes pris au piège. Ils pleurent, hurlent, prient. Ils s’aplatissent par terre les mains en coque sur la tête, détalent comme des rats sur un navire en perdition. En quelques secondes, le marché, gonflé par l’affluence du dimanche, prend l’allure d’une énorme fourmilière dans laquelle un géant a donné un coup de pied. Tous courent pour leur salut. Nul ne remarque la fillette blottie dans une encoignure. Moi.
Je sais que je devrais aussi fuir, mais j’ai peur de tomber et de me faire piétiner. Réfugiée entre deux échoppes, j’attends. Mon ventre me fait mal, pourtant je ne veux ni pleurer ni crier. À quoi ça sert ? Soudain quelqu’un m’empoigne par le bras.
- Viens ! Sortons d’ici ! hurle une voix d’homme en français.
Effrayée, je m’enfonce la tête dans les épaules et me pétrifie. L’homme se penche.
- S’il te plaît, please .
Sa voix s’est adoucie. Pas complètement rassurée pour autant, je lève vers lui un regard méfiant.
- Please , come with me, insiste-t-il.
Ses yeux sont bleus, intensément bleus, extraordinairement bleus. Je n’en ai jamais vu de pareils. Ils me subjuguent.
Il me tire vers lui mais réussit à peine à me faire bouger. Il m’arrache du sol, me plaque contre sa poitrine et commence à courir. Il est grand. Nous émergeons bientôt à l’air libre. Le son strident des sirènes le perce aussitôt. D’abord faible, il enfle, enfle, puis s’arrête net. Du coup, tout le marché cesse de respirer. Le cou tendu, je regarde de toutes mes forces les jeeps qui arrivent en trombe et freinent en bloc, les militaires qui en jaillissent arme au poing, les personnes aux vêtements couverts de sang qu’on charge à la hâte dans une ambulance. Et puis cet homme traîné à terre et jeté aux pieds d’un officier. On le relève, juste assez pour qu’il soit à genoux. D’instinct, je sais qu’il a tué et blessé. Mais lorsque la matraque se lève, je ferme les yeux.
Hors de la foule, l’homme me dépose, me sourit.
- Are you OK ?
- Vous pouvez me parler en français, vous savez, je retrouve ma voix pour lui répondre.
Son sourire s’accentue.
- Je vois que cela va bien. Et qu’est-ce que tu faisais au marché, toute seule ?
- J’achetais des œufs pour Maman parce que ceux ramenés par Chi Hai se sont tous cassés en chemin et qu’elle n’a plus le temps. Chi Hai, c’est notre cuisinière. Et maintenant, à cause de la bombe, tous les autres œufs sont cassés aussi !
Il décide de me raccompagner chez moi et me demande si c’est loin. « Pas trop », je le rassure. « Alors on va marcher », dit-il. Maman m’interdit de suivre les inconnus mais il n’en est plus un pour moi, à présent. Je glisse ma main dans la sienne. La boule dans mon ventre a disparu.
Après quelques pas, je lève la tête.
- Et vous, que faisiez-vous là-bas ?
- Mon métier de journaliste. Tu sais, ces gens qui écrivent dans un journal.
- Vous écrivez quoi ?
- Pour le moment, ce qui se passe dans ton pays…
Je brandis deux doigts sous son nez.
- J’ai deu x : un dans le Nord où je suis née et un ici, dans le Sud, où j’ai grandi. Et ils sont séparés par un rideau de fer : le dix-septième parallèle. Maman me l’a dit.
Il s’est penché, comme pour mieux m’entendre. Flattée, je pérore de plus belle :
- En dessous de ce rideau de fer, il y a des tunnels, et au-dessus, de gros avions. Les uns et les autres crachent du feu sur les gens qui se trouvent au milieu.
- C’est un excellent résumé de la situation, dit-il dans un drôle de sourire. Et sais-tu pourquoi il y a ces tunnels, ces avions, et pourquoi ils crachent du feu ?
- Maman dit que c’est à cause de la guerre.
- Elle a expliqué pourquoi il y a la guerre ?
- Non. Elle dit que je comprendrai plus tard.
Le soleil est si chaud que mes cheveux brûlent presque sur mon crâne. Même le vent s’est enfui. À quelques mètres devant nous, une voiturette propose des boissons multicolores dans une vitrine garnie de grands morceaux de glace. Affalé sur un vieux paillasson au pied du tamarinier voisin, le marchand s’évente paresseusement avec un carton Coca-Cola. À notre vue, il saute sur ses pieds.
- Monsieur, bière ? Petite fille, limonade ?
Mes jambes s’arrêtent toutes seules. Le journaliste m’adresse un clin d’œil.
- Pourquoi pas ? Nous mourons de soif, n’est-ce pas ma demoiselle ?
Comment fait-il pour deviner ?
Il me hisse sur un tabouret, prend place sur un autre. Il boit sa bière 33 au goulot, je sirote ma menthe à la glace pilée avec une paille. Le liquide froid me rafraîchit et m’emplit de bonheur. Mon air béat l’amuse. Il dit que mon regard pétille comme du champagne. Je ne sais pas ce que c’est mais cela n’a pas d’importance. Le sien, lui fais-je remarquer, est bleu comme la peau du ciel, là-haut.
- « Peau du ciel » ! Quelle image magnifique ! Quel âge as-tu ?
- J’ai dix ans.
- Et comment se fait-il que tu parles si bien le français ?
- Je suis pensionnaire à l’Institution des Sœurs de Saint-Paul. C’est une école où tout le monde doit parler en français, tout le temps. Parfois je désobéis et alors les Sœurs me donnent des lignes à copier, cent lignes : « Je ne dois pas parler en vietnamien à l’école. »
Je balance mes jambes.
- Mais j’écris très vite, vous savez. Je prends même de l’avance et dès que la sœur me punit, je lui donne les feuilles.
Un long sifflement sort de ses lèvres.
- Alors là , tu m’épates ! Et… ça marche ?
- Des fois oui, des fois non. Quand c’est non, je dois recopier devant elle. Parfois le double. Ou alors elle m’envoie au coin.
Je hausse les épaules et aspire un bon coup avec ma paille.
- C’est comme ça ! C’est la vie !
Il me contemple, perplexe, puis rejette la tête en arrière et part d’un grand éclat de rire. Qui se faufile à travers les branches, qui s’insinue entre les feuilles. Qui monte, monte. En route vers le ciel dans une envolée de moineaux. Je le fixe, ahurie, puis décolle à mon tour, comme une fusée. Mon cœur est à la joie, mon corps est à la fête. Je tressaute, je hoquette, je pleure. Il repart de plus belle. Nous sommes pliés.
Je rirais bien ainsi jusqu’à la nuit.
Il me demande :
- Tu permets que je travaille un peu ?
- Oui.
Il sort une boîte noire de sa grande poche et commence à lui parler :
« Saigon, dimanche 20 avril 1963. Dix heures douze, coup de fil anonyme : dans moins de vingt minutes, une grenade explosera au marché Truong Minh Giang. C’est en plein cœur de la ville. Je saute dans un taxi. Dix heures vingt-huit, la grenade explose. Au milieu de la foule terrorisée, une fillette perdue apparaît dans mo