Le dernier gardien d Ellis Island
60 pages
Français

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Le dernier gardien d'Ellis Island , livre ebook

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Description

New York, 3 novembre 1954. Dans quelques jours, le centre d'immigration d'Ellis Island va fermer. John Mitchell, son directeur, reste seul dans ce lieu déserté, remonte le cours de sa vie en écrivant dans un journal les souvenirs qui le hantent : Liz, l’épouse aimée, et Nella, l’immigrante sarde porteuse d'un très étrange passé. Un moment de vérité où il fait l’expérience de ses défaillances et se sent coupable à la suite d’évènements tragiques. Même s'il sait que l’homme n'est pas maître de son destin, il tente d'en saisir le sens jusqu'au vertige.
À travers ce récit résonne une histoire d'exil, de transgression, de passion amoureuse, et de complexité d'un homme face à ses choix les plus terribles.
Venue à l'écriture par la poésie, Gaëlle Josse publie son premier roman Les heures silencieuses en 2011 aux éditions Autrement, suivi de Nos vies désaccordées en 2012 et de Noces de neige en 2013. Également parus en édition de poche, ces trois titres ont remporté plusieurs prix, dont le Prix Alain-Fournier en 2013 pour Nos vies désaccordées. Ils sont étudiés dans de nombreux lycées et collèges, où Gaëlle Josse est régulièrement invitée à intervenir. Le roman Les Heures silencieuses a été traduit en plusieurs langues et Noces de neige fait l'objet d'un projet d'adaptation au cinéma.
Gaëlle Josse est diplômée en droit, en journalisme et en psychologie clinique. Après quelques années passées en Nouvelle-Calédonie, elle travaille à Paris et vit en région parisienne. Elle anime, par ailleurs, des rencontres autour de l'écoute d'œuvres musicales et des ateliers d'écriture auprès d'adolescents ou d'adultes. Le dernier gardien d'Ellis Island est son quatrième roman, et le premier publié par Notabilia.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 septembre 2014
Nombre de lectures 1
EAN13 9782882503503
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

GAËLLE JOSSE
Le dernier gardien d’Ellis Island
roman
   
New York, 3 novembre 1954. Dans quelques jours, le centre d’immigration d’Ellis Island va fermer. John Mitchell, son directeur, resté seul dans ce lieu déserté, remonte le cours de sa vie en écrivant dans un journal les souvenirs qui le hantent : Liz, l’épouse aimée, et Nella, l’immigrante sarde porteuse d’un très étrange passé. Un moment de vérité où il fait l’expérience de ses défaillances et se sent coupable à la suite d’événements tragiques. Même s’il sait que l’homme n’est pas maître de son destin, il tente d’en saisir le sens jusqu’au vertige.
 
À travers cette lettre résonne une histoire d’exil, de transgression, de passion amoureuse, et de complexité d’un homme face à ses choix les plus terribles.

Après Les heures silencieuses , Nos vies désaccordées et Noces de neige , Gaëlle Josse poursuit, dans ce quatrième roman, une narration tendue servie par une écriture exigeante, son inlassable exploration du labyrinthe des passions humaines, au plus près de l’éternité des mouvements du cœur.
 
« Il y a des plumes qui trompettent la passion, qui jouent les sentiments à la grosse caisse, pour bien faire entendre leurs sérénades. Et d’autres, plus rares, qui laissent venir la poésie dans leurs textes et déclament leurs mots en adagio. Gaëlle Josse est de celles-là. » Lire
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ISBN : 978-2-88250-350-3
Qu’est donc la totalité de notre existence, sinon le bruit d’un amour effroyable ?
Louise Erdrich
Dernier rapport sur les miracles à Little No Horse
 
 
(…) nous en sommes encore à peindre les hommes sur fond d’or, comme les tout premiers primitifs.
Ils se tiennent devant de l’indéterminé.
Parfois de l’or, parfois du gris.
Dans la lumière parfois, et souvent avec, derrière eux, une insondable obscurité.
Rainer Maria Rilke
Notes sur la mélodie des choses
 

Ellis Island, le 3 novembre 1954. 10 heures, ce matin.
C’est par la mer que tout est arrivé. Par la mer, avec ces deux bateaux qui ont un jour accosté ici. Pour moi ils ne sont jamais repartis, c’est le vif de ma chair et de mon âme qu’ils ont éperonné avec leurs ancres et leurs grappins. Tout ce que je croyais acquis a été réduit en cendres. Dans quelques jours, j’en aurai fini avec cette île qui a dévoré ma vie. Fini avec cette île dont je suis le dernier gardien et le dernier prisonnier. Fini avec cette île, alors que je ne sais presque rien du reste du monde. Je n’emporte que deux valises et quelques pauvres meubles. Des malles de souvenirs. Ma vie.
Il me reste neuf jours, pas un de plus, avant que les hommes du Bureau fédéral de l’immigration ne viennent officiellement fermer le centre d’Ellis Island. Ils m’ont prévenu qu’ils arriveraient tôt, très tôt, vendredi prochain, 12 novembre. Nous ferons ensemble le tour de l’île et nous procéderons à l’état des lieux. Je leur remettrai toutes les clés que je possède, portes, grilles, entrepôts, remises, bureaux, et je repartirai avec eux vers Manhattan.
Le temps sera alors venu pour moi d’aller accomplir les dernières formalités dans un de ces bâtiments de verre et d’acier dont les fenêtres ressemblent, de loin, aux innombrables alvéoles d’une ruche, d’une ruche grise et verticale, un endroit où je n’ai dû mettre les pieds qu’une dizaine de fois depuis toutes ces années, et enfin je serai libre. En tout cas, c’est ce qu’ils vont me dire, avec ce mélange de pitié et d’envie que l’on porte à un collègue qui, un jour précis, à une heure donnée, ne fait plus partie du groupe, ne partage plus rien de ce qui avait constitué, avec le temps, année après année, une sorte de vie commune, faite de préoccupations et d’objectifs plus ou moins partagés. Il quitte la meute, comme un animal âgé s’éloigne pour mourir, et la troupe continue sans lui. En général, une cérémonie déprimante marque ce passage. Discours convenus, rappel de faits d’armes communs, bière, whisky, claques dans le dos, promesses de liesses futures que chacun se croit obligé de prononcer et d’oublier aussitôt, et celui que l’on célèbre repart chez lui en zigzaguant, doté d’une canne pour la pêche au lancer ou d’une panoplie de bricoleur. J’aimerais autant éviter ça. Un petit logement m’attend à Brooklyn, celui que j’ai hérité de mes parents, dans le quartier de Williamsburg. Trois pièces exiguës avec tous leurs meubles auxquels je n’ai pas touché, toute leur vie incrustée dans ces murs, avec photos, bibelots et vaisselle. Pour être sincère, j’appréhende de m’y retrouver, j’ai assez à faire avec mes souvenirs sans avoir besoin de me charger des leurs, mais c’est là que je suis né et je n’ai pas d’autre endroit où aller, et je ne crois pas que ce soit très important maintenant.
Encore neuf jours à errer dans les couloirs vides, les étages désaffectés, les escaliers désertés, les cuisines, l’infirmerie, le grand hall où depuis longtemps seuls mes pas résonnent.
Neuf jours et neuf nuits avant d’être rendu à la terre ferme du continent, à la vie des hommes. Autant dire au néant, en ce qui me concerne. Que sais-je aujourd’hui de la vie des hommes ? La mienne est déjà suffisamment obscure à mes yeux, comme un livre que l’on croit familier et que l’on découvre un jour écrit dans une langue étrangère. Il me reste cette surprenante urgence à écrire, je ne sais pour qui, assis à ce bureau devenu inutile, entre les dossiers cartonnés, les crayons, les règles et les tampons, ce qu’a été mon histoire. Une histoire qui, pendant quelques dizaines d’années, s’est en grande partie confondue avec celle d’Ellis, mais ce sont les événements qui me sont personnels que je voudrais évoquer ici, aussi difficile cela soit-il. Pour le reste, je pense que les historiens s’en chargeront.
 
Ici, je suis entouré de gris, d’eau, de ciment et de brique. Je n’ai presque jamais connu d’autre paysage que celui de l’Hudson, avec la ligne des gratte-ciel que j’ai vue s’étendre au cours des ans, s’élever, s’enchevêtrer, s’empiler pour former cette jungle rigide et immuablement dressée que nous connaissons aujourd’hui, avec, à ses pieds, le mouvement des bateaux et des ferries dans la baie, et Notre Dame de la Liberté, ou Miss Liberty, comme l’appelaient parfois les immigrants européens en l’apercevant, debout sur son socle de pierre, dans sa robe vert-de-gris, en majesté, visage fermé et bras tendu au-dessus des flots.
Quelle que soit la saison, l’eau reste grise, comme si le soleil ne parvenait jamais à l’éclairer en profondeur, comme si un matériau opaque glissé sous la surface l’empêchait d’y plonger et d’en varier les reflets. Il n’y a que le ciel qui change, j’en connais toutes les nuances, du bleu le plus ardent au violet le plus assourdi, et toutes les formes de nuages, effilochés, soufflés ou pommelés, qui donnent à chaque jour son caractère.
Aujourd’hui, je ne commande plus qu’à des murs. L’herbe et les plantes transportées par le vent ou les oiseaux poussent librement. Il s’en faut peu pour que ce soit ici un grand parc, un parc en friche posé au ras de l’eau, surveillé au loin par une Liberté triomphale chevillée ferme à son rocher. J’ai parfois l’impression que l’univers entier s’est rétréci pour moi au périmètre de cette île. L’île de l’espoir et des larmes. Le lieu du miracle, broyeur et régénérateur à la fois, qui transformait le paysan irlandais, le berger calabrais, l’ouvrier allemand, le rabbin polonais ou l’employé hongrois en citoyen américain après l’avoir dépouillé de sa nationalité. Il me semble qu’ils sont tous encore là, comme une foule de fantômes flottant autour de moi.
 
C’est une inexplicable nécessité qui me contraint à me pencher sur un passé que j’ai cru pouvoir oublier. En vain. Dans quelques jours, je serai l’un de ces retraités anonymes, modestement vêtus, vivant dans une rue banale d’un quartier populaire de Brooklyn, dans un appartement semblable à des milliers d’autres, un homme qui prend l’autobus, salue ses voisins, nourrit son chat et fait ses courses à l’épicerie du quartier. Je sais que ce ne sera là qu’apparence et qu’elle sera bien trompeuse. Pas d’enfants, plus de parents, pas de famille. Rien que des souvenirs. Et bien encombrants. Ils s’agitent autant qu’ils peuvent, à croire que toutes les ombres de mon existence se sont réveillées dès qu’elles ont su que je partais, et qu’elles ne seront en paix qu’une fois leur histoire racontée.

5 heures, cet après-midi.
Quantité d’images me parviennent et m’envahissent jusqu’au vertige. Peut-être serai-je quitte du passé si je parviens à m’en délivrer dans ces feuilles. Elles portent l’en-tête des services fédéraux de l’immigration. Centre d’Ellis Island. Le Directeur. Tout cela est risible. J’essaie seulement de tenir en respect ces ombres qui ont pris place au pied de mon lit et semblent décidées à y demeurer. Neuf jours. Neuf nuits. Aurai-je le temps de tout dire ?
Oui, c’est par la mer que tout est arrivé, par ces bateaux remplis de miséreux tassés comme du bétail dans des entreponts immondes d’où ils émergeaient, sidérés, engourdis et vacillants, à la rencontre de leurs rêves et de leurs espoirs. Je les revois. On parle toutes les langues ici. C’est une nouvelle Babel, mais tronquée, arasée, arrêtée dans son élan et fixée au sol. Une Babel après son anéantissement par le Dieu de la Genèse, une Babel de la désolation, du d

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