Le Chat jaune
202 pages
Français

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Le Chat jaune , livre ebook

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Description

Quelles sont les motivations qui peuvent pousser à commettre un crime ? La passion, la haine, le profit, l'ambition, le devoir ? Et pourquoi pas la charité ? Les huit nouvelles de ce recueil explorent certains de ces sentiments singuliers qui tourmentent l'esprit des humains et les amènent à penser au meurtre. De la fausse charité de « À chacun son bon cœur » on passe à la perversité du « Chat jaune » puis on glisse sur la naïveté dans « La bonne prise » pour évoquer la cupidité des héritiers de « Madame la colonnelle ». La vie d'autrui devient parfois un obstacle à l'assouvissement d'une passion comme à la réalisation d'un projet ou au maintien d'un privilège. Les réactions des hommes sont imprévisibles...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 07 mars 2013
Nombre de lectures 3
EAN13 9782342003543
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Chat jaune
Daniel Tharaud
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Le Chat jaune
 
 
 
 
À chacun son bon cœur
 
 
 
Le temps s’était mis au froid. Les foulards, les chapeaux et les manteaux étaient réapparus, et peu de gens s’attardaient sur la grand-place, balayée par un vent soutenu.
Pourtant, la mère Gelpêche était venue s’asseoir sur un banc, en plein milieu, là où la bise était la plus aiguë. La mère Gelpêche était une petite vieille, pas trop flétrie, mais qu’aucun habitant de la petite ville ne devait se souvenir d’avoir connue jeune. Tout le monde la côtoyait, mais personne ne prenait garde à elle.
Elle ne faisait pas de bruit, allait et venait sans se faire remarquer, ne ponctuait ses contacts avec les commerçants que de quelques mots simples, et ne paraissait avoir d’autre souci que celui d’éviter de gêner quelqu’un.
Pourtant l’homme la remarqua, la regarda un moment de loin, et vint bientôt s’asseoir à côté d’elle.
— Bonsoir madame Gelpêche, ce n’est pas raisonnable de rester ainsi assise ici, par ce temps. Vous allez prendre froid !
Elle ne semblait pas entendre et restait là, le regard perdu, branlant sa petite tête blanche.
Le bonhomme lui tapota familièrement le bras.
— Allons, rentrez chez vous…
Alors, elle tourna doucement la tête et le regarda d’un air étonné.
— Il fait presque aussi froid chez moi, dit-elle d’un ton neutre, et puis, personne ne m’attend… personne d’ailleurs ne m’a jamais attendue…
Elle disait cela comme une simple constatation, sans amertume.
— Jusqu’à maintenant, cela m’était égal, mais aujourd’hui, ça me rend triste… Voyez, monsieur, je n’ai plus envie de vivre, non vraiment, ça ne m’intéresse plus. Elle eut un sourire à peine perceptible et ajouta timidement :
— C’est gentil de me parler, il y a longtemps qu’on ne m’avait pas parlé…
Il prit un ton un peu bourru pour dire :
— Allons, allons, ce n’est pas une raison pour attraper une pneumonie ; tenez, je viens d’acheter des chocolats, ils sont bons, prenez-en un, cela va vous réconforter.
— Merci.
Elle en prit un, qu’elle mangea en le savourant, puis, voyant qu’il gardait la boîte ouverte, elle en prit un second, et lui adressa un sourire plus appuyé.
— Allons, rentrez chez vous madame Gelpêche.
L’homme referma la boîte, la remit sous son bras et s’éloigna en rajustant son écharpe sur son cou.
 
Depuis qu’elle était au service des Durand, Lucile était de plus en plus déprimée. Non pas que les Durand fussent de mauvaises gens – ils ne la rudoyaient pas et la payaient fort justement, mais les Durand étaient tristes, et depuis trois ans qu’elle partageait leur vie, elle se sentait glisser dans un abîme d’amertume. Au début, elle n’y avait pas pris garde ; elle arrivait de sa campagne. Les chagrins accumulés et le manque de travail, l’avaient poussée à partir vers la ville. Elle espérait trouver dans cet emploi la sécurité du quotidien et le calme de l’esprit. Et elle les avait trouvés, au début… Et puis, peu à peu, cette nouvelle vie, qu’elle avait crue plus sûre et plus libre, s’était resserrée autour d’elle, et tout lui était devenu insupportable.
Cet après-midi-là, elle étouffait. Le temps s’était un peu adouci, un reste de soleil inondait la ville. Elle eut envie de prendre l’air, dit à madame Durand qu’elle partait en course et sortit.
Sur la place, elle eut un sentiment de solitude, avisa un banc où un gros homme riait franchement à regarder deux gamins s’escrimer avec des sabres de caoutchouc, et comme attirée par ce rire, vint s’asseoir à son côté.
— Quelle énergie peut-on avoir quand on est jeune ! lui lança-t-il avec un reste de rire dans la voix.
Elle fut étonnée d’être aussi soudainement interpellée et, regardant à son tour les enfants, répondit d’un « oui » désabusé.
Le bonhomme alors devint plus grave et, abandonnant cette scène de jeu qui semblait pourtant si fort l’amuser, regarda Lucile et lui dit amicalement :
— Vous, ma petite dame, vous devez ressasser de tristes pensées !
— Oh, pour ça oui !
Et sans savoir pourquoi elle parlait ainsi à un étranger, elle se mit à lui raconter combien madame Durand était froide et insipide, peu loquace et impersonnelle ; et comme monsieur Durand était mesquin et bête ; et que les meubles étaient laids ; et que la cuisine sentait le rance et sa chambre du sixième le renfermé ; et que de sa fenêtre, qui donnait de si haut sur la place, elle avait maintes fois eu envie de se jeter, pour en finir avec cette vie si peu joyeuse.
Il hochait la tête, paraissait compatir sincèrement à son sort.
— Je vous comprends, c’est vrai, c’est parfois bien triste l’existence. Mais il ne faut pas désespérer, tout s’arrange ! Si, si, je vous assure ; je connais bien la vie, je vais vous dire… mais, si vous permettez…
Et, ouvrant une boîte qu’il tenait sur ses genoux, il lui offrit un chocolat, lui parla quelques instants et, discrètement, s’en fut à travers la place, au moment où le soleil disparaissait derrière le clocher de l’église.
 
— Je vous ai fait prévenir, commissaire, parce que cette petite morte-là ne me paraît pas avoir passé de façon naturelle. Ou la pauvre gosse en avait assez… ou on l’a aidée… Mais elle se portait bien…
Et le vieux médecin tapotait amicalement la jambe froide de Lucile et hochait la tête avec un air à la fois chagrin et rancuneux.
— C’est pas normal, faudrait voir…
— Je vais arranger cela, répondit le commissaire Brat. Tenez-moi au courant du résultat de l’autopsie, je vais commencer une discrète enquête… Bonsoir, nous nous reverrons peut-être…
On sut bientôt que Lucile était morte empoisonnée. Les Durand en eurent leur vie toute bouleversée. Le mari, qui n’avait montré qu’un chagrin de convenance en apprenant la mort de son employée, n’osa plus sortir dès que la cause fut révélée. Il s’imagina qu’on allait l’accuser du meurtre et l’arrêter. Et plus encore que cette accusation, il craignit qu’on racontât quelque rocambolesque roman d’amour, dont le tourment et la honte auraient décidé Lucile à mettre fin à ses jours. Il dépérissait d’inquiétude.
Madame Durand réagissait mieux, elle fit front au monde extérieur. Bravant les questions faussement compatissantes et les sourires entendus, elle conta chaque jour à son voisinage les chagrins de son mari – que cette triste affaire avait rendu malade – et ce qu’elle savait de l’enquête du commissaire qui, à ses dires, la tenait informée.
Mais cette situation dura peu. La petite ville eut bientôt un nouveau sujet de commérage.
 
Gaspard toussait de plus en plus ; et le froid n’arrangeait rien. Il pensait tristement que sa concierge avait raison quand elle lui avait dit un soir :
« Eh bien ! si ça continue, vous n’allez pas en profiter longtemps de votre retraite… ! »
Elle allait certainement voir sa prédiction se réaliser sous peu ; il sentait un vide se faire en lui, et ses forces décliner de jour en jour. Combien de temps encore… ? Chez lui quand une quinte le prenait, le meilleur remède était de s’étendre à même le sol et de prendre une posture de yoga, que sa nièce lui avait indiquée, et qui lui permettait de ramener le calme dans son organisme et d’apaiser la toux.
Là, en plein air, ce n’était guère possible, alors, comme il arrivait sur la grand-place, il alla jusqu’à un banc et s’y étendit, cherchant à retrouver une pose similaire qui lui permettrait de se calmer et de rentrer chez lui. Au bout de quelques minutes, il se sentit mieux et maîtrisa ses spasmes. Alors il se redressa, sentant le froid et la fatigue l’envahir. C’est à ce moment qu’il vit l’homme, dont il n’avait pas senti la présence jusque-là. Immobile, à deux pas de lui, l’autre le regardait en branlant la tête.
— ça vous prend souvent ?
— Hélas, oui !
Il n’avait pas envie de parler, mais pour ne pas paraître trop rustre envers un homme qui paraissait lui témoigner de la sympathie, il ajouta :
— Il y a des fois ou je me dis qu’il vaudrait bien mieux mourir tout de suite, plutôt que de traîner comme ça, à souffrir…
— C’est sûr, oui… mais vous vous soignez ?
— évidemment, mais…
Et Gaspard eut un grand geste fataliste.
— Tenez, prenez un chocolat, le sucre calme l’irritation et donne un peu d’énergie.
— Merci, j’en ai bien besoin.
— Ne vous inquiétez pas. Tout va aller mieux… Et l’homme lui sourit avec beaucoup de bienveillance et s’éloigna.
 
— Vous êtes certain docteur que c’est le même poison ?
— Tout à fait sûr ! répondit le vieux praticien, d’un air désabusé. Notez bien, commissaire, que c’est moins grave que pour la petite ; le brave Gaspard n’en avait plus pour bien longtemps… Tout de même… c’est… enfin on l’a aidé !
Le commissaire restait pensif.
— Et ça change toute ma théorie…
— D’autant que…
Le docteur restait en suspens. Brat l’encouragea à poursuivre.
— D’autant que la mère Gelpêche, vous savez la pauvre vieille que l’on a ramassée morte de froid, il y a quinze jours, sur un banc de la place…
— Eh bien ?
— Ben… je me demande…
Le commissaire resta un instant à réfléchir, la bouche ouverte, puis se décida.
— Faut voir alors…
— Non, intervint le docteur, pauvre vieille, on ne va pas la charcuter !
— Si, il le faut, j’ai besoin de savoir, je m’en occupe.
Et le commissaire partit, sans un salut, la tête rentrée dans les épaules, furieux de cette situation qui, il le pressentait, allait lui amener bien des soucis.
 
L’autopsie de la vieille dame confirma les soupçons du docteur. Mais le commissaire Brat interdit qu’on en parlât. Il ne

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