Le Baron noir
296 pages
Français

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Description

« En cours de route du côté de Ravine-Tourterelle, le grand colon l'air sombre dit encore à son Nègre : — La nuit sera chaude et l'orage gronde déjà... — Oui, bwana... pour le p'tit Nègre sans vergogne... Oui, le temps est à l'orage. — Faudra préparer la corde et déjà choisir la branche. — Oui, maître... La corde et la branche... oui, maître, ce sera fait. — C'est pour cette nuit. L'affaire sera bouclée cette nuit, l'Africain. — Oui, missié Gontran... Cette nuit, le préjudice sera réparé... Mais, le négro appartient à missié Sosthène. Comment allez-vous faire ? Belfond, excédé, fit entendre un raclement de gorge : — Je l'achèterai d'abord... pour mieux le pendre ensuite... Voilà la solution finale, l'Africain. » Une dramatique histoire d'amour interracial sur fond de racisme au temps de l'esclavage ; l'assassinat gratuit d'un gamin antillais par un jeune psychopathe protégé par l'appareil d'État ; décembre sanglant à Fort-de-France en 1959 sur fond d'émeutes et de violence urbaines... Sergio Noré nous brosse ici avec maîtrise une fresque impressionnante d'ombres et de lumières de la nature humaine en action aux Antilles. L'auteur met en scène des personnages cyniques, violents et sournois, mais aussi des gens généreux, serviables et sensibles évoluant dans la mosaïque étourdissante du carnaval des dieux et des héros. Avec ce triptyque aussi fascinant que percutant, le nouvelliste confirme ici son talent exceptionnel d'investigateur des recoins les plus sombres de la conscience humaine. Remarquable conteur, Sergio Noré revisite l'histoire – la petite et la grande – de la Martinique, diamant bleu des tropiques, avec l'élégance innée et l'érudition éclairée d'un écrivain visionnaire, comme s'il était doté d'une vue d'ensemble du temps.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 septembre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342055955
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Baron noir
Sergio Noré
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Le Baron noir
 
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
 
 
 
[…] Considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; qu’il est une violation flagrante du dogme républicain : Liberté – Égalité – Fraternité.
Préambule du décret d’abolition de l’esclavage 27 Avril 1848
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Livre 1. Le Baron noir ou les brigandages du destin
 
 
 
« Tout est déterminé par les forces sur lesquelles nous n’exerçons aucun contrôle. Ceci vaut pour l’insecte autant que pour l’étoile. Les êtres humains, les légumes, la poussière cosmique – nous dansons tous au son d’une musique mystérieuse jouée par un flûtiste invisible. »
Albert Einstein
 
 
 
« Le destin lisse le temps façonne le présent et revendique l’avenir en se moquant de l’éphémère. »
 
 
 
 
I
 
 
 
Sur l’habitation Ti-Versailles – élégant manoir de style colonial – à Val-d’Or, paroisse du Marin, la vie s’écoulait paisible et harmonieuse, se moquant au passage de l’hostilité du siècle.
 
Gontran de Belfond, seigneur des lieux – possédant d’immenses hectares de cannes à sucre, régnait en maître absolu sur le sud de l’île en ces années vouées absolument à la traite des Nègres.
 
En ces temps obscurs de la grande misère de l’humanité ! Sous le règne des ténèbres, l’esclavage et le sucre étaient les deux mamelles des colonies pour nourrir le royaume là-bas, à l’autre bord.
 
Versailles – le vrai, celui du roi Louis – et la cour raffolaient du bon sucre gorgé des vitamines des îles sous le vent ; alors il fallait que les vaillants esclaves d’Afrique leur en donnassent de plus en plus à l’huile de coude, à tour de bras, échines ployées.
 
Et Gontran de Belfond – cousin des Aubigné – Maintenon, d’illustre renommée au château de Versailles et ayant l’écoute du Roi-Soleil lui-même, se faisait un devoir de contenter ces nobles gens.
Alors, la plantation sucrière bouillonnait d’intenses activités pratiquement jour et nuit, tout au long des semaines et à longueur d’année !
 
Et de plus, Belfond était propriétaire de l’usine de fabrication de l’or blanc – le sucre produit à Dubuc au Marin et ses dépendances de terres meubles.
 
Il y avait de la canne partout : les tiges sucrées aux panaches verdoyants s’étendaient dans les plaines, escaladaient les mornes 1 et dévalaient les vallées avec l’aura d’une prospérité de bon aloi ! Avec le dynamisme des bons rapports financiers. Des louis d’or et bons de créances assortis.
 
Gontran de Belfond – homme d’acier d’environ quarante-cinq ans, aux cheveux prématurément blanchis et aux yeux gris de rapace – menait ses esclaves d’une poigne de fer, et à la trique afin que le rendement et les profits fussent au rendez-vous… contre vent et marée.
 
D’ailleurs, les conditions de travail subissaient l’air du temps… puisque ces travailleurs forcés étaient considérés comme de vulgaires biens meubles – au même titre que le bœuf, le cheval ou le mulet – corvéables sans merci ! Alors il fallait qu’ils crèvent à la tâche pour justifier leur existence et les fruits à pain de leur subsistance.
Il n’y avait pas d’esclaves heureux ! Il n’y avait que des propriétaires roulant sur l’or, donc heureux.
 
Blandine de Belfond – fille de Gontran – aristocrate d’excellente éducation puisée auprès de la congrégation du Sacré-Cœur à Fort-Royal – passait ses jours de vacances et ses moments de détente sur la plantation familiale à Val-d’Or.
 
De nature rêveuse, aimant la musique et la poésie, elle passait la majeure partie de son temps dans ses appartements avec sa nourrice Da-Firmine – celle qui l’avait allaitée dès sa naissance, sa mère étant morte en couches d’une crise d’éclampsie.
 
Les domestiques d’intérieur bénéficiaient d’un statut privilégié par rapport aux autres qui trimaient dehors sous l’ardeur d’un soleil-sanction ! De plomb et d’aiguilles de feu !
 
Dame Hermione – mère de Gontran – avait aussi suppléé au manque de maternité, et au défaut d’affection auprès de la fillette.
La belle-enfant gardait au fond de son cœur une nostalgie latente de cette mère qu’elle n’avait pas connue, mais dont elle chérissait malgré tout l’idée de sa présence près d’elle. Présence imaginée certes, mais préservée dans l’écrin sacré de la mémoire !
Les bébés ont aussi une mémoire… Enfouie, mais réelle. Une mémoire utérine.
 
Belfond – affichant l’assurance de celui qui croit avoir trouvé sa juste place dans le monde – s’occupait peu de sa fille qui avait le tort de ressembler comme deux gouttes d’eau à sa mère défunte.
 
D’ailleurs, la vieille Hermione soupçonnait son fils d’en vouloir inconsciemment à la petite d’être à l’origine de la disparition prématurée de son épouse chérie.
 
Et il concevait son veuvage comme un calvaire ! À cause de Blandine, pensait-il, sa croix était chaque jour plus lourde.
 
Cette sournoise perception des choses ne tenait pas la route, bien sûr, mais le cerveau humain étant une boite à malices, il fallait s’attendre à toutes sortes de déviances que l’on tenait pour argent comptant.
 
Âgée de seize ans, Blandine était rentrée la veille à Ti-Versailles.
 
Très belle fille, élancée et bien galbée, aux grands yeux bleus et aux cheveux châtain clair tirant sur le blond, elle était dotée d’un visage ovale de poupée de porcelaine aux lèvres pulpeuses et bien dessinées encore proche de l’adolescence.

Sa jeune beauté torturait le cœur de Belfond qui y voyait les traits de sa femme Olympe emportée trop tôt par la mouvance du temps et le coup du destin.
 
Ce jour-là, l’atmosphère sur Val-d’Or était magique et vivifiante.
 
Blandine fit seller à l’écurie sa jument préférée Princesse-Savane et décida d’aller se balader dans les campagnes environnantes : champfleury, Saut-Lézard, Cap-ferré et peut-être ferait-elle même une pointe jusqu’à l’anse Michel où elle envisageait de se baigner à la mer.
 
Firmine toujours attentive au bien-être de sa protégée vint lui apporter un panier d’osier rempli de victuailles et de boissons pour la route, en lui recommandant d’être bien prudente. Elle rit et lui montra sa cravache : « Avec ça, personne n’ose m’approcher », lança-t-elle, mutine.
La vieille Da-Firmine secoua la tête, peu convaincue.
Blandine poussa sa jument au trot sur les pistes broussailleuses en milieu de matinée.
 
Sur l’habitation, elle croisait des Nègres à talent 2 qui la saluaient poliment en soulevant leurs chapeaux-bakoua. Elle leur souriait avec un geste aimable de la main, en retour.
 
Blandine les connaissait tous et elle vouait une réelle affection à ces femmes et à ces hommes qui avaient entouré son enfance solitaire et studieuse sur le domaine d’une attention discrète, mais sûre.
 
Elle devait tenir de sa défunte mère cette empathie pour la race noire, car son père n’avait à la bouche que vilenies et menaces de coups de trique à l’encontre des Nègres et mépris pour la classe laborieuse.
 
Justement à Détour-Cachiman, elle tomba sur Belfond qui bien assis sur la selle de son étalon noir – Zombi – l’attendait à l’ombre d’un manguier touffu.
 
À quelques pas en arrière, installé sur son mulet, Scipion l’Africain – âme damnée de son père – la regardait sans broncher, l’air sournois, rictus aux lèvres.
 
Le Grand-Blanc-Créole leva la main et apostropha sa fille :
 
— Où allez-vous de ce train, demoizelle, et de si bon matin ?
 
Blandine rétorqua, sourcils arqués :
 
— Me promener, pardi ! Et puis il est déjà tard… Ah, bonjour, Père. On ne s’est pas encore rencontré ce jour, ce me semble.
— Si fait… Eh bien ! bonjour, ma fille… bien le bonjour. Allez, mais évitez les sentiers perdus, car on m’a signalé une échappée de foutus Nègres marrons du côté de Baréto. Ils font de la sale besogne par là-bas. Mais Dieu merci, la maréchaussée les traque depuis le milieu de la nuit… alors, ils apprécieront bientôt les caresses de la fleur de lys 3 sur la peau de leur dos.
 
Derrière, Scipion s’esclaffa avec l’intonation gutturale d’un chien qui aboie.
 
Blandine reprit avec une moue dubitative :
 
— Merci pour la mise en garde, Père. Je ferai attention en cours de route, soyez-en sûr.
— Bien… bien… Allez et soyez de retour pour le déjeuner, j’y tiens. Les règles, il n’y a que ça de vrai dans la vie.
— Sans faute… Je vous le promets, messire.
 
Du talon, elle pressa le flanc de Princesse-Savane qui partit au galop en faisant valser la poussière dans la lumière du jour.
 
 
 
II
 
 
 
Zack caressa l’encolure de la jument alezane avec la tendresse particulière que les amoureux de chevaux prodiguent souvent à ces amis de l’homme.
 
Dans le cas présent, Zack était dans son domaine de prédilection puisqu’il exerçait la fonction de palefrenier sur l’habitation Saintonge de sieur Sosthène Réol de Jonquière à Cédalise, à l’ouest de la paroisse du Marin.
 
La bête hennit doucement répondant au geste affectueux de son soigneur, les yeux humides et les naseaux frémissants.
 
Zack – beau métis à la peau acajou et aux yeux verts – ne connaissait pas ses parents. Il en avait été réduit à les créer dans sa tête… Des personnages n’ayant rien à voir avec

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