Le Banian
441 pages
Français

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Description

Edouard Corbière (1793-1 875)



"La paix s’était étendue, depuis quelques années, sur ces mers qu’avaient si longtemps ensanglantées les querelles de l’Empire français et de l’Angleterre. La tranquille carrière du commerce venait, en se rouvrant aux spéculations lointaines, d’offrir une ressource ou un refuge aux jeunes gens qui, après avoir quitté à regret la profession des armes, cherchaient à user la bouillante activité de leur âge et de leurs souvenirs, dans des emplois utiles et paisibles. Les anciennes colonies de l’Espagne brisant violemment le joug de leur métropole, troublaient bien encore de temps à autre le repos universel que le monde épuisé semblait vouloir goûter après tant de secousses terribles et de luttes acharnées. Mais le bruit éloigné de ces petits combats que le Pérou et le Mexique livraient aux débris des flottes espagnoles se faisait à peine entendre au sein du calme de la paix générale ; et le pavillon blanc pouvait, en attestant aux yeux des autres nations l’humiliation que nous avions consenti à subir, se promener sur toutes les mers du globe, sans avoir à redouter les ennemis qu’une bannière plus glorieuse avait naguère suscités à la France. Il est des époques où les nations conquérantes n’ont qu’à s’avouer vaincues, pour jouir de la demi-liberté que les triomphateurs daignent abandonner aux peuples qu’ils estiment assez peu pour les traiter en alliés soumis ou en vaincus inoffensifs."



Le Banian... un ami à éviter !


Edouard Corbière est considéré comme l'un des pères du roman maritime.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782384420353
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Banian


Édouard Corbière


Février 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-035-3
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1033
Le Banian

La caste idolâtre des Banians dont les pratiques et les scrupules religieux rappellent un peu la rigidité des premiers israélites, se livre, dans tout l’Hindoustan, à cette sorte de commerce nomade et de modestes spéculations mercantiles que les Juifs exercent encore dans quelques parties de l’Europe. Les marins qui ont longtemps fréquenté l’Inde, et qui nous ont peu à peu familiarisés avec les expressions qu’ils avaient puisées dans le vaste dictionnaire usuel des nations de l’Orient, ont appliqué, par analogie, le nom de Banians aux petits marchands qui, dans nos colonies, leur rappelaient, par leur activité pour le trafic subalterne, l’avidité de la race commerçante de la péninsule indienne. C’est ainsi qu’aujourd’hui nos matelots désignent sous la qualification de Banians , les Européens qui vont s’établir dans les îles pour y pratiquer le bas agiotage, que le haut négoce abandonne aux petits blancs et aux coureurs d’habitations. Le vocabulaire maritime, que les marins ont enrichi du fruit de leurs observations vulgaires, mais justes, et des mots nouveaux qu’ils ont recueillis dans leur contact avec tous les peuples, est beaucoup plus riche et plus instructif qu’on ne le pense généralement.

( Résumé de tous les dictionnaires, au mot B ANIAN .)
I
 
C’est, je crois, le meilleur conseil que l’on puisse vous donner dans votre situation et avec les goûts que vous annoncez. Je connais des pacotilleurs qui sont partis de France traînant la savate et portant sur le dos une caisse de joujoux et une grosse d’images qu’ils avaient obtenues à crédit, et qui aujourd’hui ne se laisseraient pas couper les oreilles pour un demi-million. C’est l’histoire de Fanchon : « Une vielle et l’espérance. » Tachez d’abord d’avoir une vielle.
 
-oOo-
 
Projet de voyage outre-mer ; – un armateur et un capitaine ; pacotille ; – départ pour le Hâvre ; – politesses commerciales.
 
La paix s’était étendue, depuis quelques années, sur ces mers qu’avaient si longtemps ensanglantées les querelles de l’Empire français et de l’Angleterre. La tranquille carrière du commerce venait, en se rouvrant aux spéculations lointaines, d’offrir une ressource ou un refuge aux jeunes gens qui, après avoir quitté à regret la profession des armes, cherchaient à user la bouillante activité de leur âge et de leurs souvenirs, dans des emplois utiles et paisibles. Les anciennes colonies de l’Espagne brisant violemment le joug de leur métropole, troublaient bien encore de temps à autre le repos universel que le monde épuisé semblait vouloir goûter après tant de secousses terribles et de luttes acharnées. Mais le bruit éloigné de ces petits combats que le Pérou et le Mexique livraient aux débris des flottes espagnoles se faisait à peine entendre au sein du calme de la paix générale ; et le pavillon blanc pouvait, en attestant aux yeux des autres nations l’humiliation que nous avions consenti à subir, se promener sur toutes les mers du globe, sans avoir à redouter les ennemis qu’une bannière plus glorieuse avait naguère suscités à la France. Il est des époques où les nations conquérantes n’ont qu’à s’avouer vaincues, pour jouir de la demi-liberté que les triomphateurs daignent abandonner aux peuples qu’ils estiment assez peu pour les traiter en alliés soumis ou en vaincus inoffensifs.
Après avoir essayé quelques mois de la vie des camps, à cette époque désastreuse où chaque homme en France était devenu soldat, je cherchai, une fois la paix venue si mal à propos pour moi, à trouver un métier que je pusse faire, et qui se rapprochât le plus possible de celui auquel il m’avait fallu renoncer. La transition morale que je voulais me ménager n’était pas chose très facile à trouver. La profession de marin, cependant, me parut pouvoir concilier assez passablement mes penchants et mes prétentions. Un marin, me disais-je, est toujours en guerre avec quelque chose, malgré les traités de paix qu’il plaît aux puissances de s’imposer par défiance ou par jalousie. Son existence n’est qu’un combat continuel qu’il livre aux éléments, sans cesse conjurés contre lui. C’est le seul métier aujourd’hui pour lequel il faille encore avoir du cœur : c’est là aussi le seul état que puisse prendre un jeune soldat qui espérait mourir un jour de bataille. Ne dérogeons pas : faisons-nous marin, après avoir déposé les armes, et en priant Dieu qu’il y ait encore pour nous de la foudre et des tempêtes sur cet Océan où le feu du canon s’est éteint pour si longtemps peut-être !
J’avais vingt-trois ans. Je me souvenais assez confusément d’avoir navigué quelques mois dans mon enfance à bord de deux ou trois bâtiments convoyeurs : c’était là sans doute peu de chose, mais c’était néanmoins quelque chose, ou, en définitive, un prétexte pour me présenter moins gauchement que si je n’avais jamais vu la mer, à quelque brave capitaine ou à quelque bon enfant d’armateur, si toutefois, parmi les armateurs, je réussissais à trouver l’homme qu’il me fallait.
J’allai, pour mon malheur ou pour mon bonheur peut-être, me présenter à l’un des spéculateurs maritimes les plus en renom dans mon pays, en lui disant, comme je le répétais à tout le monde : Je suis jeune, je sors de l’armée, j’ai déjà navigué, et je voudrais naviguer encore. Je viens vous demander un emploi, quel qu’il soit, à bord de l’un de vos navires !... Le pauvre diable n’avait tout au plus qu’une part dans la plus faible portion d’un mauvais petit brick !
Cette moitié de négociant se rengorgea d’abord, en devinant le ton d’impertinence qu’il pouvait se permettre avec moi. Il fit cinq à six fois tourner bruyamment sa clef de montre entre ses doigts chargés de gros anneaux creux, après quoi il daigna me demander :
–  Quel âge avez-vous ?
–  Bientôt vingt-trois ans, monsieur.
–  C’est bien vieux ! Et quelle somme êtes-vous en état de payer à l’armement pour votre apprentissage ?
–  Monsieur, répondis-je au gros petit suffisant, je croyais, en cherchant à continuer un métier que j’ai déjà fait, pouvoir gagner quelque chose et ne pas être obligé de payer la faveur de donner mon temps à ceux qui consentiraient à m’employer.
–  M. de Seigneley, se prit aussitôt à crier l’armateur du brickaillon, en s’adressant à un de ses commis noble et très noble apparemment, à en juger par son nom : n’oubliez pas de faire le compte aux deux cents tonneaux d’esprit que j’expédie à Rio-Janeiro.
Le brick du pauvre diable n’aurait pas porté en tout, j’en suis plus que sûr, cent bons tonneaux bien jaugés !
Tout fut dit dès lors entre mon armateur et moi. Le patron de M. de Seigneley ne daigna plus seulement abaisser ses regards sur mon infime et vulgaire individu. Il venait de laisser en repos sa clef de montre, pour élever ses lunettes sur son nez retroussé, jusqu’à la hauteur approximative de ses deux yeux, usés probablement par le travail excessif de ses bureaux .
Les yeux des armateurs, comme on le sait, sont ceux qui travaillent le moins à la lumière, et qui, en France, mais en France seulement, réclament le plus volontiers le secours artificiel des lunettes. Ce sont leurs commis qui s’oblitèrent la vue à leur service, et ce sont eux qui portent des bésicles pour leurs commis. Revenons à notre affaire principale, après cette trop longue digression sur les yeux et les lunettes des armateurs français.
Le résultat de cette première démarche ne m’engagea que fort médiocrement, comme on le prévoit déjà, à en tenter une nouvelle auprès des autres expéditeurs du petit port que j’habitais. Je m’adressai, en désespoir de cause, à un capitaine de navire, qui, après m’avoir écouté avec attention et bienveillance, me répondit avec franchise :
–  Commencer un noviciat pénible à l’âge que vous avez, pour courir vers un but encore fort incertain, n’est pas, selon moi, ce que vous avez de mieux à faire. Si le désir de naviguer est chez vous

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