La Valise
182 pages
Français

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La Valise , livre ebook

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Description

« L’extraordinaire se trouve sur le chemin des gens ordinaires. » Paulo Coelho S OMMAIRE Titre Exergue Chapitre 1 Chapitre 2 Chapitre 3 Chapitre 4 Chapitre 5 Chapitre 6 Chapitre 7 Chapitre 8 Chapitre 9 Chapitre 10 Chapitre 11 Chapitre 12 Chapitre 13 Chapitre 14 Chapitre 15 Chapitre 16 Chapitre 17 Chapitre 18 Remerciements Légendes des photos Copyright Cahier photos Collection CHAPITRE 1 – Mais puisque je te dis que tu étais artiste peintre ! – Non. Chauffeur de taxi ! – Oui, mais ça, c’était avant ! Avant de devenir peintre. Un grand peintre ! Mais souviens-toi enfin ! – Mais non ma Minette, tu te trompes, pas peintre, chauffeur de taxi ! – Peintre, papa, peintre ! Aquarelliste ! – Chauffeur de taxi ! Comme le monsieur, là ! Il me désignait d’une main molle le chauffeur de taxi assis à l’avant du véhicule qui nous emmenait à « La Maison des artistes » de Nogent-sur-Marne. Plus nous approchions, plus je paniquais. Comme son nom l’indiquait, on y acceptait seulement des artistes, pas des chauffeurs de taxi ! Se pouvait-il que mon père ait perdu la mémoire, et peut-être aussi la raison, en une nuit ?!! Le choc avait sans doute été trop grand… Je l’observais, engoncé dans son costume bleu marine, son ventre proéminent qui avait rendu impossible toute fermeture de veste, la moustache contrite, les yeux fixés sur rien, avec son écharpe blanche qui pendait sans conviction autour de son cou.

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Date de parution 14 octobre 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782810436316
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

« L’extraordinaire se trouve sur le chemin des gens ordinaires. »
Paulo Coelho
S OMMAIRE
Titre
Exergue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Remerciements
Légendes des photos
Copyright
Cahier photos
Collection
CHAPITRE 1

– Mais puisque je te dis que tu étais artiste peintre !
– Non. Chauffeur de taxi !
– Oui, mais ça, c’était avant ! Avant de devenir peintre. Un grand peintre ! Mais souviens-toi enfin !
– Mais non ma Minette, tu te trompes, pas peintre, chauffeur de taxi !
– Peintre, papa, peintre ! Aquarelliste !
– Chauffeur de taxi ! Comme le monsieur, là !
Il me désignait d’une main molle le chauffeur de taxi assis à l’avant du véhicule qui nous emmenait à « La Maison des artistes » de Nogent-sur-Marne. Plus nous approchions, plus je paniquais. Comme son nom l’indiquait, on y acceptait seulement des artistes, pas des chauffeurs de taxi ! Se pouvait-il que mon père ait perdu la mémoire, et peut-être aussi la raison, en une nuit ?!! Le choc avait sans doute été trop grand…
Je l’observais, engoncé dans son costume bleu marine, son ventre proéminent qui avait rendu impossible toute fermeture de veste, la moustache contrite, les yeux fixés sur rien, avec son écharpe blanche qui pendait sans conviction autour de son cou. Nous arrivâmes devant une magnifique demeure aux airs de petit château, flanquée d’une longue véranda et entourée d’un immense parc. Mon cœur voulait sortir de ma poitrine tant il battait fort. Nous nous sommes dirigés vers l’entrée, une femme très chic est venue à notre rencontre, j’implorai une dernière fois mon père du regard, et il m’a glissé à l’oreille :
– Tu vas arrêter maintenant, hein, avec tes histoires de peinture !
 
 
 
C’est ce souvenir qui me vient en premier. Pourtant, sur la photo, papa a vingt ans, il se balade en bras de chemise dans un champ avec un accordéon. Mais c’est le souvenir de son arrivée dans cette maison qui resurgit.
Je regarde l’étrange patchwork que forment toutes les photos éparpillées sur le grand tapis bleu. Je viens d’ouvrir la lourde valise que l’on m’a confiée, et que j’ai eu du mal à hisser en haut des escaliers qui mènent à ma chambre.
Lorsque je l’ai ouverte, des centaines de photos s’en sont échappées, heureuses d’être enfin libérées. En noir et blanc, ocre et terre de Sienne, ou bien pourpres, avec des petits liserés blancs ou de délicates dents tout autour, ou encore des polaroïds jaunis, des photos carrées des années 1960 qui ont viré à l’orange. Des visages, des silhouettes de tous les âges m’apparaissent sens dessus dessous, entremêlés, serrés les uns contre les autres, empilés. Tant de personnages qui peut-être ne s’étaient jamais croisés avant la valise…
Et je deviens à présent l’unique gardienne de toutes ces vies.
De toute ma famille.
Il est fantastique, mon héritage !
J’ai la présence d’esprit d’aller fermer ma porte, pour que la chatte ne vienne pas me perturber. Il arrive en effet que « Le Niaaa » (chatte persane blanche achetée après une invasion de souris dans l’appartement, et qui doit son nom à son cri, « Niaaa », et sa masculinisation à de lointains souvenirs, lorsque je m’appelais Le Sophie. Mais vous comprendrez plus tard…) s’attaque aux pages de mes livres de chevet ou qu’elle lacère quelques paperasses, importantes de préférence…
Je pioche dans le tas, comme si je tirais les cartes pour lire la bonne aventure, et à chaque fois je ressens l’excitation d’une nouvelle histoire, grâce à une photo qui m’emmène loin de mes quatre murs parisiens : dans les champs, au bord de la mer, en Haute-Savoie, en Italie, à Lyon, dans une Ford T, un side-car, ou sur une bicyclette cabossée.
Je découvre avec ravissement des visages sérieux, beaucoup de moustaches, de chapeaux, de corps rigides, engoncés, prenant la pose dans des costumes étriqués ou des robes vaporeuses, moi à sept ans en maillot de bain avec une glace, maman à vélo, un bébé inconnu, le mariage d’un frêle monsieur avec une grosse dame. Une petite fille avec un cerceau…
Au dos de certaines photos, l’écriture fine et courbée d’Irma, ma grand-mère paternelle, avec les noms, les lieux et les années, précieuses indications qui vont me permettre d’identifier des cousins, grands-oncles, grands-tantes et arrière-grands-parents dont les visages ne me disent rien. Je ne me doutais pas que ma grand-mère avait réussi à réunir tant de trésors tout au long de sa vie. Ce qui me surprend le plus, c’est qu’elle ait pu aussi se procurer des photos des membres de la famille de ma mère.
Avant de prendre la main de tous ces personnages pour les extirper de leurs prisons de clichés et faire un bout de chemin avec eux, je photographie mon œuvre éphémère. Pour me souvenir de ce moment, du moment des souvenirs…
Je retourne une petite photo dentelée. Je dois avoir trois ans. Je suis au premier plan, l’air sage dans mon petit manteau rose. Autour de moi, papa, maman, papy, mamy, tante Zette et oncle André me regardent tendrement.
J’étais fille unique dans une famille sans enfants…
J’étais arrivée par hasard, au grand étonnement général, alors que maman, qui avait quarante ans, après quinze ans de mariage, n’espérait plus de miracle.
Un jour, lorsque j’étais adolescente, elle me confia qu’elle m’avait eue malgré la volonté de papa. Non pas qu’elle ait dû le forcer à faire l’amour, mais qu’elle avait un peu « poussé les choses ». Je lui demandai comment on pouvait « pousser les choses » pour avoir un bébé, et quelles pouvaient bien être ces choses, mais maman me répondit par un petit rire, en agitant une vague main près de son visage et en disant, rougissante : « J’ai un peu aidé la nature. » Et c’était tout ce que j’avais pu en tirer.
Son docteur lui avait dit qu’elle ne pourrait pas avoir d’enfant et qu’elle devait renoncer à cette idée. C’était mal connaître maman, qui n’avait jamais renoncé à quoi que ce soit dans sa vie, si ce n’est à son Bob, mais j’en parlerai plus tard…
C’est ainsi que je naquis, je ne saurai jamais par quel sortilège, et que maman en fut si heureuse, et papa carrément consterné. Car mon papa était en fait un enfant caché dans un corps d’adulte, et l’arrivée d’une petite sœur le perturba quelque peu. Il ne sut d’ailleurs jamais vraiment comment s’approcher de moi, voyant en ma frêle personne une insupportable concurrente, une terrible rivale, un être encombrant qui allait désormais lui ravir sa dévouée femme. Et je le sentis très tôt. Il paraît qu’à chaque fois qu’il tentait de me prendre dans ses bras, je faisais pipi sur lui. Tout en hurlant, bien entendu.
Il a fallu qu’on s’apprivoise lui et moi. Cela a duré toute une vie. On avait presque réussi quand il est mort…
Maman avait un frère, qui avait de grands enfants qu’on ne voyait jamais, mon père avait une sœur qui n’avait pas pu en avoir.
Mes grands-parents, mes parents, la sœur de papa et son mari formaient tout un petit monde qui m’était entièrement dévoué.
J’étais une enfant reine. Et heureuse.
Mes arrière-grands-parents, Benedetto et Pelerine, étaient des Napolitains immigrés à Lyon vers 1880. Ils n’eurent qu’un seul fils, Antoine. Pas Antonio. Ils avaient le désir de s’intégrer et lui donnèrent donc un prénom français. Et on devait aussi prononcer leur nom de famille à la française : Forte. Et non pas Forté.
Sur la photo sépia, le couple, très sérieux, est assis dans une traction avant. Lui, fier, visage fin mangé par une trop grosse moustache, en costume trois-pièces à rayures. Elle, visage carré, corps épais débordant d’une robe à boutons au col de dentelle, écrasée par un grand chapeau aux larges bords, avec un oiseau piqué au sommet ! Je me demande comment elle se débrouillait pour le garder sur la tête lorsque la voiture était en marche…
Qu’ai-je en moi de ces gens ? Ai-je hérité du moindre de leur trait ? Et ils me semblent tellement mal assortis ! Car lui paraît si beau, si distingué, auprès de cette drôle de petite femme au visage fermé, au corps tassé et massif.
Les Forte.
Forte (Fort) : adjectif qui évoque la force physique, la puissance, la compétence, la résistance, la corpulence…
Il paraît que le nom de famille fait partie intégrante de notre personnalité. Il exerce une influence considérable sur le comportement, le mode de pensée, la manière de vivre, le destin.
– On dit Forte ou Forté ?
– Ben, ici en France on dit Forte, mais en fait c’est Forté. C’est italien.
– Ah, vous êtes italienne ?
– Oui… En grande partie, oui…
– Mais vous êtes née en France ?
– Oui. Ce sont mes grands-parents qui ont immigré d’Italie.
– Ah…
Ou bien :
– Sophie Fort ?
– Non, FortE. Comme Forte…
– Ah oui… Comme Forte, évidemment.
Ou bien :
– Elle est forte, Sophie !
Voilà ce que j’entends depuis ma naissance.
Et même si je suis toute petite, plutôt frêle et souvent fébrile face à la vie, je me dois donc d’honorer ce nom. Alors je fais comme si j’étais forte.
Et souvent, ça marche…
*
Sur la photo en noir et blanc que je viens de piocher, le bel homme, dont on devine le corps musclé sous la chemise blanche, doit avoir une vingtaine d’années. Il pose royalement sur une grosse moto. Un air d’acteur américain, cigarette au bec, mèche rebelle, sourire désinvolte.
Un tombeur ! Sur le cliché on ne voit pas qu’il a les yeux bleus, mais on le sent. Il a un regard d’yeux bleus.
Et il ressemble incroyablement à son père, c’est saisissant !
Mon grand-père paternel, Antoine Forte, avait soixante-sept ans quand je suis née.
Pas très grand, mais bien bâti, fines mains noueuses, yeux bleu piscine, avec les paupières qui tombaient sur les côtés, ce qui lui donnait un regard de chien battu qui vous perçait l’âme.
Il fumait des Gauloises jaunes, l’une après l’autre, et on aurait dit que c’était toujours la même cigarette qui pendait inlassablement au coin de sa bouche. Il parlait, l

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