La terre tremblante
43 pages
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La terre tremblante , livre ebook

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Description


Dans La Terre tremblante, le lecteur verra que ce qui se cache derrière une montagne, c’est une autre montagne, et ainsi de suite.

Son père tout frais enterré, Bartholomé de Ménibus fuit l’archétype du village dans la vallée — sa laiterie, son abattoir et son café — pour aller voir à quoi ressemble l’autre versant de la montagne. Dans le pays d’à-côté, les routes asphaltées crachent des engins et, sur un banc, les vieux se languissent et attendent leurs enfants qui les ont abandonnés pour partir en vacances. Les vaches portent des hublots pour qu’on jauge : « C’est une vitrine sur le produit » explique le paysan. Bartholomé décide de poursuivre et d’enjamber la montagne suivante.

La Terre tremblante est un ouvrage troublant. Paradoxes et autres perles d’inventivité ouvrent la voie à une sagesse plus profonde : si les montagnes se ressemblent et mènent apparemment à d’autres montagnes, chaque ville rencontrée par Bartholomé est unique, aux prises aux rapports de production effrénés ou à la gestion des déchets ou à des impuretés à cacher ou enterrer.

La Terre tremblante pourrait passer pour une fable écologique. Ce serait s’arrêter à la première couche de cette œuvre riche et exponentielle. Au milieu de son écorce revient inlassablement la question du peuplement du monde par les humains, puis, comment ils le quittent. Derrière le style énigmatique et proprement urechien, on découvre une tendresse ingénue et un humanisme poétique.
















Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 09 mars 2023
Nombre de lectures 0
EAN13 9782940700288
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LA TERRE TREMBLANTE
MARIE-JEANNE URECH
www.helicehelas.org
© Marie-Jeanne Urech, 2018
© macbe pour le dessin de couverture, 2018
© Pierre Yves Lador pour la postface, 2018
© Hélice Hélas Editeur, 2018
ISBN Numérique : 9782940700288
Collection Mycélium mi-raisin



Tu as quitté notre village un huit mai. Peu après l’enterrement. Ceux qui y assistèrent en témoigneront, le cercueil glissa dans la fosse comme une ancre. Est-ce la crainte de le voir remonter un jour à la surface qui te décida à t’en aller ? Au lieu de rejoindre les autres au café, on t’a vu prendre le chemin de la montagne, une main encore souillée de cette terre qui nourrit mieux les morts que les vivants.
Tu t’es arrêté une première fois à mi-côte pour reprendre ton souffle. Tout en bas, le train rouge labourait la vallée, semant les champs de saisonniers qu’il rendrait à leur famille l’automne venu. Le village semblait si petit que tu aurais pu le mettre dans ta poche. Mais à quoi bon s’encombrer d’une laiterie, d’un abattoir, d’un café et de tous ceux qu’il contenait quand tu pensais revenir le soir même, au pire le lendemain matin, après avoir vu ce qui se cachait de l’autre côté de la montagne.
Depuis toujours, tu observais la cabane perchée sur la crête, tantôt illuminée par un voyageur éphémère, le plus souvent l’attendant. Chaque matin, ses fenêtres réfléchissaient les premiers rayons du soleil, ceux qui viendraient ensuite réveiller notre vallée à dix heures trois précises. Tu rêvais d’y grimper un jour, d’embrasser l’horizon qui n’existait pas en bas et de voir à quoi ressemblait l’autre côté, au-delà de ces montagnes qui t’avaient enfanté.
Tu as déboutonné ton gilet, tu t’es débarrassé de ta cravate, vestiges inconfortables des funérailles, et tu as repris ton ascension à travers les sapins. Quand tu es enfin arrivé au sommet, peu avant le crépuscule, ta déception a dû être grande : de l’autre côté de la montagne se cachait une seconde montagne qui limitait à son tour ton horizon. Tu ne le savais pas encore, mais derrière chacune d’elles s’en cachait une nouvelle. C’est toute une chaîne de caillasse qui se dressait devant toi. Pourquoi n’as-tu pas rebroussé chemin pour regagner le village ? Tu n’avais pas même emporté de quoi boire. La veilleuse de la cabane a brillé toute la nuit. Au matin, on t’a vu en sortir, contempler la vallée en contrebas, nous saluer d’un geste ample, puis disparaître de l’autre côté de la montagne.
Ainsi commença ton tour du monde, Bartholomé. Tu es parti pour un voyage d’un jour avec comme seul bagage la clé d’une maison dont tes aventures ne cesseraient de t’éloigner. Tu t’es permis de contredire les scientifiques qui affirment que la terre est ronde, puisque jamais tu n’es revenu à ton point de départ.

Derrière la première montagne
Je débouchai sur une route. Une belle route asphaltée, bien différente des chemins caillouteux de notre vallée. Le trafic était dense. De grosses berlines engraissées d’enfants, de valises, de vélos, de rames et de chiens se suivaient docilement, le moteur asphyxié par une chaleur élevée pour la saison. Parfois, l’une d’elles s’arrêtait un instant. Toutes celles qui la suivaient s’immobilisaient dans une symphonie de klaxons, d’injures et de poings levés. Le convoi repartait à petite allure, à l’ombre des cyprès qui remplaçaient les bornes kilométriques. Le trafic était dense, disais-je, mais uniquement dans un sens. La voie opposée était aussi dépeuplée que le crâne de notre curé. Assis sur un banc en bordure de cette chaussée vide, un vieillard. Les mains croisées sur le pommeau de sa canne, il fixait ce point d’où rien ne semblait venir. Il m’invita à m’asseoir.
« Une chance qu’ils aient construit ces bancs, me dit-il en guise de salut.
– N’auraient-ils pas dû les tourner face au paysage ? hasardai-je en pointant une belle étendue de champs derrière lui.
– L’avantage, c’est qu’on peut s’y asseoir à trois. L’attente est ainsi moins longue.
– Le bus ?
– Il n’y a pas de bus.
– Qu’attendez-vous, alors ?
– Mon fils. » Le vieillard se tourna vers moi et me passa en revue. « Vous étiez à une noce ?
– Un enterrement.
– Il y en a qui ont de la chance.
– De la chance ? Je ne comprends pas. »
Il fixa à nouveau son regard vers ce point où tout convergeait, mais duquel rien ne venait. Pas même un bus.
« Les morts, eux, n’ont pas besoin d’attendre. En plus, ils sont couchés, ce qui est plus confortable quand on souffre du dos comme moi. »
Des coups de klaxons retentirent, signe que le ballet des automobiles était à nouveau suspendu par une voiture à l’arrêt. Pourquoi ne la dépassaient-ils pas, puisque aucune voiture ne venait en sens inverse ? Franchir la ligne médiane portait malheur, m’apprit le vieillard.
« A quelle heure votre fils doit-il arriver ?
– Quand ses vacances seront finies.
– Aujourd’hui ? précisai-je.
– Aujourd’hui, demain, la semaine prochaine, je ne sais pas. Cela dépend de ses heures supplémentaires, du nombre de jours fériés dans l’année, des vacances qu’il a déjà prises, des congés maladie à soustraire. C’est un calcul compliqué. Il ne m’en a pas dit plus.
– Vous allez l’attendre ici pendant tout ce temps ?
– En voilà une drôle de question. Bien sûr ! Regardez ! dit-il en pointant sa canne vers le trafic qui redémarrait lentement. Une nouvelle ! »
A travers le flot des automobiles s’inscrivit une silhouette immobile, plantée en bordure de route comme un poteau télégraphique, un cyprès, une borne kilométrique. Elle fixait ce point où toutes les voitures disparaissaient et d’où rien ne venait. Le vieillard lui fit signe de traverser. Une demi-heure plus tard, elle nous rejoignit. C’était une vieille femme, comme l’était ma grand-mère, mais sans l’habit de deuil. Ses mains étaient secouées de tremblements.
« A deux, ce sera mieux, lui dit le vieillard d’une voix rassurante en lui indiquant une place sur le banc.
– Vous vous connaissez ? demandai-je.
– Pas besoin. Elle est comme moi. On vient de l’abandonner sur la route des vacances.
– Comment ça, abandonner ?
– Il n’est pas d’ici, précisa le vieillard à sa voisine qui me regardait bizarrement. Chez eux, ils les enterrent.
– Ils ont acheté un chien, sanglota la dame. Il a pris ma place.
– Un classique, le chien ! Puis ils profitent de la faiblesse de nos vessies pour nous lâcher dans la nature et filer, m’expliqua le vieillard. On est trop encombrants pour nos familles. Surtout quand arrivent les vacances !
– Les enfants étaient tristes, je l’ai bien vu, soupira-t-elle. ...

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