La Souche
274 pages
Français

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La Souche , livre ebook

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Description

Voilà trois mois que la canicule s'est installée. Trois longs mois pendant lesquels la température a atteint quarante degrés le jour et trente cinq la nuit.



Pont-Joli-Sous-Bois se racornit, se dessèche, s'étiole dans l'air saharien brûlant qui semble s'y être installé définitivement.



Dans le ciel planent de drôles d'oiseaux. Leurs cris stridents percent les tympans et sèment la terreur...



- Qu'est-ce qu'elle voulait la police ?



- Ce qu'elle voulait ? Comme d'habitude... J'en ris encore !



La Souche met en scène des personnages qui tentent de survivre dans un monde injuste et de plus en plus violent, fait pour ceux qui ont déjà tout. Les faits se situent en 2024, autant dire aujourd'hui !

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 août 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414476893
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
194, avenue du Président Wilson - 93210 La Plaine Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-47688-6

© Edilivre, 2020
I
Et puis il y a Madame Raphaëlle Bitov.
Imaginez un être transparent qui accuse, et elle a bien raison, une petite cinquantaine d’années. Imaginez un courant d’air, une bulle de savon à forme humaine, une personne qui cherche surtout à rester invisible. Ni grande ni petite, ni blonde ni brune et encore moins blanche ou chauve, vêtue sans recherche d’un éternel pantalon suffisamment ample pour cacher quelques rondeurs dont, si elles existent, elle a honte et d’un chemisier qui met en valeur une absence de poitrine qui la désole, elle trottine à l’ombre, toujours au ras des murs ou des arbres, semblant fuir la lumière comme la peste.
L’impossible s’est produit un soir, alors que le jour baissait rapidement, pressé de laisser la place aux quelques insectes nocturnes rescapés des campagnes de vaporisation d’insecticides. Elle s’est arrêtée brusquement devant moi, bouche entrouverte, étonnée ou effrayée, je parierais plutôt pour ce dernier. Elle semblait découvrir tout à coup l’existence de ce type, assis dans la pénombre sur la souche qui lui sert quotidiennement de siège, juste en face et à dix mètres de l’entrée (et de la sortie aussi, c’est pratique) de son immeuble « Le Chêne Vert ».
J’ouvre ici une parenthèse comme on ouvre une porte sur un nouveau développement. Je ne ne manquerai pas de la refermer, par peur des courants d’idées que certains considèrent comme dangereux. Voilà un drôle de nom pour un bâtiment construit il y a une cinquantaine d’années à un endroit où n’a jamais poussé aucun chêne, le terrain marécageux étant plus propice aux arbres grands buveurs d’eau tels les saules ou les peupliers. Je pense qu’on avait voulu, lors de la construction de quatre immeubles dans un village qui n’en avait pas besoin, « verdir », grâce à ce nom, un bétonnage immonde mais financièrement intéressant. Les architectes avaient alors choisi le nom d’un arbre noble, solide, capable de devenir centenaire et qui évoque un avenir radieux grâce à son abondante production de glands. Non je ne parle pas de nos gouvernants. C’était, dans les années 75, une période où beaucoup de gens prenaient lentement… lentement… la-la-la-la-la-la-lère… très lentement conscience d’une possible catastrophe climatique à venir. Quoique… Ils prenaient conscience mais la lâchaient vite.
Assis dignement sur ma souche d’arbre coupé il y a quelques années afin de laisser pousser le béton, je ne manque jamais de saluer les personnes qui passent devant moi. Et ce pour des motifs plus ou moins avouables. D’abord parce que je suis le pur produit d’une éducation qui se voulait rigoureuse. Ensuite pour plein d’autres raisons : sécuritaires, alimentaires. J’aimerais ouvrir encore une parenthèse mais les parenthèses gigognes ne sont pas recommandées, parce qu’au bout d’un moment elles n’en font plus qu’à leur tête de parenthèse et personne ne maîtrise plus la situation. Revenons donc à notre brebis…
Madame Raphaëlle Bitov ne se nomme ni Raphaëlle ni Bitov. Ou alors ce serait un drôle de coïncidence : la probabilité en est quasi nulle, mes notions de mathématiques l’affirment. J’ai bien été obligé de lui trouver un nom et un prénom puisque, les yeux rivés sur une ligne lointaine, celle de ses images intérieures, elle ne me voit pas et n’entend pas plus mon sempiternel « Bonjour Madame ! », peut être un peu trop poli pour être totalement désintéressé. Il en est ainsi depuis que je suis assis à cette place, c’est-à-dire depuis plusieurs années et qu’elle passe devant moi, au mètre près, tous les jours à la même heure pour aller saisir des chiffres sur un ordinateur dans une administration. Elle n’entend pas ? Elle ne veut pas entendre, plutôt, car cette femme, je l’ai découvert depuis, désire avant tout ne pas exister.
Alors pourquoi Raphaëlle ? Mais pourquoi pas après tout ? J’ai choisi ce prénom parce qu’il peut (dans ma tête, mais est-ce un critère valable ?) aller comme un gant aussi bien à une grande brune sévère (ce qu’elle n’est pas), à une petite rousse avenante (ce qu’elle n’est pas non plus) ou à une blonde respirant la joie de vivre (ce qu’elle est encore moins). Constatant qu’elle pourrait être et n’est pas un peu tout cela à la fois, j’ai pensé, sans aucune raison recevable je l’admets (mais j’attends qu’on me démontre le contraire), que le prénom de Raphaëlle lui conviendrait parfaitement. En homme méticuleux, j’ai cependant pris le temps de l’observer davantage, longtemps, jour après jour, avant de lui inventer un patronyme, exercice des plus délicats. Sa surdité chronique à chacun de mes bonjours, son éternel air absent et préoccupé, ses doigts qui tapotent nerveusement sur sa cuisse droite quand elle se déplace m’ont soudain évoqué un compositeur sourd en train d’aligner les notes d’une sonate. Bitov. Raphaëlle Bitov ! Ça sonne bien.
Et si c’était son vrai nom ? Si je ne l’avais pas inventé mais entendu un jour, par hasard, d’une autre souche ? Non, les souches ne parlent pas. Quoique… D’une autre bouche ? Ridicule.
J’ai longtemps pensé que Raphaëlle avait peur. Oh pas seulement de moi mais de tout ce qui bouge et encore plus de ce qui ne bouge pas dans ce monde. Une souris pressée de se cacher dans son trou du Chêne Vert.
Alors pourquoi m’a-t-elle aperçu précisément ce jour-là ? Mon image a dû s’infiltrer puis s’imprimer dans un coin de son cerveau déprimé. Une question de lumière peut-être. Elle a lancé pour la première fois une conversation que j’ai vite rattrapée au vol et, plus étonnant encore, elle l’a commencée non pas par le classique « Bonjour » mais par mon « Et puis » ! Ça alors ! Ma méthode, car c’en est une, serait-elle universelle ?
— Et puis si vous voyez passer un monsieur avec un chapeau, un monsieur « bien » autrement-dit, vous pourrez lui dire que je suis partie ? Je reviendrai chez moi plus tard dans la soirée. Du moins je l’espère. Je peux compter sur vous, Albert ? Je sais que rien ne vous échappe…
La courbe des décibels a baissé, baissé sous le poids des mots. J’essaie de deviner pourquoi. Cette femme a honte, elle a l’impression de s’être mise à nu devant moi. Elle n’en revient pas d’avoir eu l’audace de parler à cet inconnu pourtant bien connu. En effet, tout le monde dans le quartier s’est habitué à ma silhouette, assise la plupart du temps. Raphaëlle sait même mon prénom ! Mais jamais au grand jamais elle ne se serait crue capable de se dévergonder ainsi. En une phrase courte, elle vient de m’avouer qu’elle a un amant à chapeau, ce que tout le monde avait deviné pour l’avoir aperçu (l’amant, pas le chapeau) qui se faufile certains soirs dans un sens et le matin dans l’autre. Le fait est qu’un amant à chapeau est plus honorable qu’un amant tête nue, n’est-il pas ? Pire, elle m’a fait complice et elle réalise le désastre. Regrettant de ne pas être moi-même affublé d’un chapeau, je me fais très aimable dans l’espoir d’être (un peu) aimé.
— Avec plaisir, Madame… Madame… ? Effectivement je connais ce monsieur, je l’ai déjà aperçu une fois ou deux.
Avouez que j’agis avec tact, mais je ne saurai pas son nom. Peinant à déglutir, elle me répond au prix d’un grand effort.
— Merci beaucoup. Ne vous trompez pas, hein ? C’est un monsieur, il porte un chapeau et c’est chez moi qu’il doit aller. Le balcon sans fleurs, au dernier, là-haut.
Une image insupportable lui vient alors, celle de pétales de fleurs gisant sur une table sous un bouquet. Et elle s’énerve tout à coup :
— Vous comprenez, les fleurs, c’est bien joli pendant quelques temps, mais ça finit toujours par faner. Je ne supporte pas. C’est sale les fleurs ! Ça dégoûte ! Comme les pigeons, heureusement qu’il n’y en a plus beaucoup de ces sales bêtes ! Parce que ça dégoûte à force.
Je songe. Cette femme n’aime pas les gens, elle a horreur des pigeons, elle déteste les fleurs et elle aime tout ce qui est propre, lisse, net ! Comment pourrait-elle aimer la vie ? Elle insiste, inquiète à l’idée que je pourrais expédier son monsieur à chapeau chez une voisine ou pire, introduire un inconnu chez elle :
— Vous ne vous tromperez pas, hein ?
Ben oui, Raphaëlle, je vais envoyer n’importe qui, femme ou homme chez… n’importe qui, puisque je ne sais toujours pas ton véritable nom ? Mais je la rassure : il n’y aura pas de problème, elle peut compter sur moi.
— C’est que… je suis obligée de partir, je suis convoquée à la P.P. Ça dégoûte !
Voilà pourquoi elle s’est fait violence jusqu’à m’adresser la parole et me demander un service. Sa voix tremble pendant un temps x indéterminé qui répond à l’équation x = t1 (temps dû à l’émotion) + t2 (temps dû à la peur) + t3 (temps de tremblements compulsifs sans cause clairement établie) . La P.P ! Autrement dit le Service Spécial de Protection de la Population, le terrible S.S.P.P que tout le monde préfère nommer P.P parce que c’est plus court, on s’en débarrasse ainsi plus vite et surtout on évite les deux lettres S.S de sinistre mémoire. Une convocation à la P.P, qu’elle soit adressée par message, lettre ou coup de téléphone, inquiète mais ne se refuse pas, ne s’oublie pas. Il n’est pas question de leur poser un lapin, eux non plus n’aiment pas les animaux.
Elle n’en a pas dit plus ce soir-là. Madame Raphaëlle Bitov a tourné le dos et s’est enfuie, encore toute émue, en direction de son inquiétude. Exceptionnellement elle ne rasait pas les murs et arpentait le trottoir en pleine lumière, attaquée cruellement par les photons comme par une nuée de moustiques, ce qui m’a permis de découvrir pour la première fois et avec émotion le balancement de ses hanches. Elle n’est donc pas seulement ombre mais un peu femme aussi

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