La Salamandre
404 pages
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La Salamandre , livre ebook

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Description

Eugène Sue (1804-1857)



"Vers le milieu de la rue de Grammont existait à Paris, en 1815, un bureau de tabac fort achalandé ; rien n’y manquait : on voyait a l’extérieur le long rouleau de fer-blanc qui renfermait une lampe sans cesse allumée, l’énorme tabatière de buis ; et, au-dessus, une fresque de quatre pieds carrés représentant l’inévitable priseur qui, le pouce et l’index à la hauteur de ses narines dilatées, aspirait avec délices la poudre odorante. Aussi, une foule d’Allemands, de Russes, de Prussiens, de Bavarois, d’Anglais, désireux de charmer les loisirs du corps de garde, se pressaient chez M. Formon, qui leur débitait d’innocentes distractions en carottes, chiques ou cigares.


Par un beau soir de juillet, l’air était tiède, le ciel pur, et l’atmosphère se chargeait d’une poussière épaisse qui tourbillonnait sous les pieds des chevaux ; de brillants équipages se croisaient dans tous les sens, et les plumes bigarrées qui ondoyaient sur les shakos étrangers se mêlaient aux voiles et aux écharpes blanches dont toutes les femmes se paraient alors ; les boulevards s’émaillaient pour ainsi dire d’une foule de cocardes aux couleurs vives et variées, sans compter les riches dolmans des cosaques de la garde russe, le costume pittoresque des chasseurs écossais, et le sombre aspect des hussards de la mort, qui faisait encore ressortir l’élégance de ces splendides uniformes, tous étincelants de broderies et de galons."



La "Salamandre" est une fière goélette dont l'équipage n'a rien à lui envier ! Mais que se passera-t-il si le nouveau commandant n'est autre qu'un marchand de tabac incompétent et couard ? Quel comportement devra avoir le second afin de préserver le navire, l'équipage et l'honneur ?

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782384420544
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Salamandre


Eugène Sue


Avril 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-054-4
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1052
I
Le bureau de tabac

Par divers moyens on arrive à pareille fin.
M ONTAIGNE .

Les mouvements les plus minutieux de sa méchante femme étaient réglés aussi juste que la meilleure montre marine fabriquée par Harisson.
B YRON . – Don Juan.

Vers le milieu de la rue de Grammont existait à Paris, en 1815, un bureau de tabac fort achalandé ; rien n’y manquait : on voyait a l’extérieur le long rouleau de fer-blanc qui renfermait une lampe sans cesse allumée, l’énorme tabatière de buis ; et, au-dessus, une fresque de quatre pieds carrés représentant l’inévitable priseur qui, le pouce et l’index à la hauteur de ses narines dilatées, aspirait avec délices la poudre odorante. Aussi, une foule d’Allemands, de Russes, de Prussiens, de Bavarois, d’Anglais, désireux de charmer les loisirs du corps de garde, se pressaient chez M. Formon, qui leur débitait d’innocentes distractions en carottes, chiques ou cigares.
Par un beau soir de juillet, l’air était tiède, le ciel pur, et l’atmosphère se chargeait d’une poussière épaisse qui tourbillonnait sous les pieds des chevaux ; de brillants équipages se croisaient dans tous les sens, et les plumes bigarrées qui ondoyaient sur les shakos étrangers se mêlaient aux voiles et aux écharpes blanches dont toutes les femmes se paraient alors ; les boulevards s’émaillaient pour ainsi dire d’une foule de cocardes aux couleurs vives et variées, sans compter les riches dolmans des cosaques de la garde russe, le costume pittoresque des chasseurs écossais, et le sombre aspect des hussards de la mort, qui faisait encore ressortir l’élégance de ces splendides uniformes, tous étincelants de broderies et de galons.
Or, ce soir-là, le bureau de tabac de M. Formon ne désemplissait pas ; mais les habitués cherchaient en vain derrière le comptoir la bonne et longue figure du débitant. À toutes les questions qu’on lui faisait à cet égard, son commis François répondait d’un air mystérieux qui irritait encore la curiosité générale. C’était : – Si vous ne prisez que le tabac que mon maître vous vendra désormais, vous n’éternuerez guère. À un autre, militaire imberbe, qui demandait à haute voix des cigares, et des plus forts, François disait d’un air sarcastique : – Si mon maître était ici, c’est la main au chapeau que vous l’approcheriez, au lieu de frapper sur le comptoir avec votre grand sabre (qui ne ferait pas de mal à un enfant), de frapper sur mon comptoir comme un forgeron sur son enclume ! Et cent autres propos pareils. Enfin chacun s’étonnait de la disparition de M. Formon, dont la patience et la douceur étaient généralement connues et appréciées. L’absence du débitant surprendra moins quand on saura la scène bizarre qui se passait dans un petit appartement simple et modeste placé au dessus du bureau de tabac, et occupé par M. Formon. Or ce digne homme allait, venait, s’agitait au milieu de son étroit salon, tantôt s’approchait de la fenêtre pour y jeter un timide regard, tantôt revenait s’asseoir et consultait sa pendule avec inquiétude.
M. Formon pouvait avoir cinquante ans, était grand, maigre d’épais cheveux gris couvraient son front bas et déprimé ; ses yeux d’un vert clair, son menton rentré, sa bouche très éloignée de son nez court et camard, donnaient à sa figure une expression de simplicité remarquable.
– Élisabeth, dit-il en s’arrêtant devant une femme d’une quarantaine d’années, qui, courbée sur une petite table, écrivait avec rapidité, Élisabeth, que pensez-vous de ce retard ? presque huit heures et rien de nouveau... On aura trompé mon cousin, et j’aime autant cela.
Élisabeth fit un violent geste d’impatience, et jetant sa plume avec vivacité :
– Trompé... trompé... Vous le désirez, sans doute ?
– Allons, allons, ne va pas te fâcher : ça te fait plus de mal qu’à moi, tu le sais bien.
– Me fâcher ! s’écria-t-elle, et ses petits yeux fauves étincelaient sous les longues dentelles d’un bonnet à barbes. Me fâcher... n’en ai-je pas le droit ? N’est-ce pas malgré votre répugnance que j’ai tenté de vous faire rendre une position décente ? que j’ai tenté de vous arracher à votre ignoble comptoir où vous passeriez votre vie à vendre, sans rougir, du virginie et du makouba.
– Chère amie, le makouba est supérieur au virginie. Dis donc : à vendre, sans rougir, du makouba, etc.
– Quelle turpitude ! Et vous n’avez pas honte de la bassesse de vos goûts ?
– Mais non, mais non ; je me trouve bien comme cela ; je suis au fait de tout ce qui se passe dans le quartier où l’on m’aime assez : car, il faut être juste, je ne fais de mal à personne, et je rends service quand je le puis ; j’ai mes petites habitudes bien douces, bien tranquilles, mon café au lait le matin, le soir ma partie de dominos et ma bouteille de bière ; jamais de soucis, mon débit me rapporte assez pour ne pas m’inquiéter de l’avenir. Ma foi ! si ce n’est pas là le bonheur, où diable faut-il le chercher ?... – Et encore j’oublie de parler de mon excellente, de ma parfaite compagne, ajouta le bon débitant en faisant l’agréable.
L’impatience de sa parfaite compagne ne connut plus de bornes. Se levant de sa chaise avec vivacité, elle saisit son mari par le bras et le traîna presque jusqu’au fond du salon. Là, tirant un léger voile de gaze, elle découvrit le portrait d’un officier de marine dont le costume paraissait appartenir au siècle dernier. Au-dessus du portrait, incrusté dans le cadre, brillait un riche écusson, fond de gueules avec une étoile d’azur, supporté par deux lions à queue recourbée, et surmonté d’une couronne de marquis.
– Tenez ! s’écria-t-elle en poussant si rudement le malheureux Formon qu’il tomba agenouillé sur le sofa ; tenez, regardez... et mourez de honte en songeant à ce que vous fûtes et à ce que vous devriez être.
Le débitant soupira en jetant les yeux sur cet antique portrait, secoua tristement la tête, essuya une larme et reprit d’un ton de reproche :
– Allons, encore ce portrait. Mon Dieu ! Élisabeth, quelle cruauté de réveiller sans cesse de tels souvenirs ! Tout ceci est fini et ne peut revenir, pas plus que l’espérance de revoir notre terre de Longetour, où j’ai passé une si heureuse jeunesse. Pauvre vieux château où j’ai serré la main mourante de mon père ! où j’ai baisé les cheveux blancs de ma bonne mère qui s’éteignit en me disant : « Albert, tu seras heureux, car tu es un bon fils, » Pauvre mère, si charitable, si chère aux infortunés... Ils ont jeté tes cendres au vent, détruit ta chapelle, et notre ancien château si plein de souvenirs domestiques... Ah !
Ici le bonhomme fit une pause, resta un instant absorbé, et reprit, en passant rapidement la main sur son front :
– Bah !... bah... Tout ceci est passé, oublié : ainsi n’en parlons plus, le t’en supplie. J’ai pris, tu le sais, Élisabeth, d’autres goûts, d’autres habitudes ; maintenant l’obscurité convient mieux à mon âge et à mon caractère. Je n’ai jamais eu d’ambition ; laisse-moi mourir ici, tranquille, en paix. Abandonne les démarches que tu as tentées : tu sais mieux que personne dans quelle pénible position tu me places, si l’on m’accorde ce que tu as demandé en mon nom et bien malgré moi.
– Mais je vous trouve encore singulier ! reprit sa femme avec un accent de colère concentrée. Est-ce donc pour vous seul que j’ai mis en jeu tant de puissantes protections que la restauration nous a rendues ? non vraiment ; vous n’en valez pas la peine ; c’est pour notre nom.
– Notre nom, notre nom ! dit le débitant avec une légère nuance d’impatience ; notre nom ! Tu peux bien dire mon nom. Et si je renonce volontairement à mon titre, tu peux bien y renoncer aussi, car enfin... toi qui es si fière...
– Eh bien ! achevez donc, monsieur, achevez.
– Eh bien ! je ne te dis pas cela pour te fâcher, puisque tu es l’épouse de mon cœur... de mon choix ; mais enfin, ton père était... frangier, drapier, rue aux Ours.
Quoique cette dernière partie de sa phrase fût prononcée presque inintelligiblement par le débitant, je ne sais pourtant ce qui fût arrivé, à voir les éclairs que lançaient les yeux d’Élisabeth, si François n’eût interrompu ce dangereux dialogue.
– Madame..., madame..., dit-il en entrant, voici un paquet qu’un gendarme vient d’apporter. Et il présenta à sa maîtresse une volumineuse dépêche ministérielle scellée de trois cachets.
– Donnez, et sortez, dit Élisabeth d’une voix impérieuse ; puis elle rompit précipitamment l’enveloppe, tandis que son mari la regardait avec autant d’anxiété qu’un patient qui attend son arrêt.
– Bravo ! s’écria-t-elle avec transport, après avoir lu. On ne m’avait pas trompée, on m’a tenu parole.
Et s’avançant vers son mari :
– Monsieur Formon, marquis de Longetour, nous pouvons enfin reprendre notre titre.
– Notre titre ! dit le marquis entre ses dents.
– Grâce à la puissante protection de notre famille.
– Notre famille ! soupira encore le débitant.
– Grâce à notre famille, le grade de capitaine de frégate vous est accordé ; car le temps que vous avez passé en émigration et dans votre ignoble comptoir, ce temps vous compte comme service effectif. De plus on vous nomme au commandement d’une corvette de guerre, et vous êtes chargé d’une mission importante ! Lisez...
Le marquis demeurait stupide et ébahi. Enfin il s’écria :
– Allons donc, Élisabeth ! une corvette ! une corvette de guerre à moi qui n’ai pas navigué depuis vingt ans, à moi qui, avant la révolution, n’ai fait qu’une traversée de Rochefort à Bayonne... Mais c’est absurde ! Que le diable vous emporte..., car vous êtes la femme la plus folle que je connaisse, dit enfin le marquis désespéré. – Je refuse le commandement, ajouta-t-il en jetant la dépêche sur la table.
– Vous le re-fu-sez, articula sourdement la marquise en faisant sentir à son mari la pointe de ses ongles aigus. – Vous le re-fu-sez..., répéta-t-elle. Non, non, je ne crois pas

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