La Ruée vers l être
108 pages
Français

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La Ruée vers l'être , livre ebook

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Description

C’est l’histoire d’une amitié entre deux acharnés de la vie marginale, Rita et Manille. Après avoir été testeur de médicaments pour un groupe pharmaceutique, puis abusé d’autres drogues beaucoup moins légales, Rita développe un sixième sens qui le rend extralucide. Hélas, il ne voit se produire que des catastrophes en temps réel. Il ne peut rien prévenir, rien empêcher, seulement en être le témoin accablé et le spectateur horrifié. Sa vie devient un cauchemar, jusqu’au jour où à bout de force, il demande à son ami de l’aider à mourir. Tous deux partent pour un road trip décalé et déjanté censé s’achever par la mort de Rita.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748378443
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Ruée vers l'être
Pierre Minot
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
La Ruée vers l'être
 
 
 
 
 
 
 
Je suis au bord de la falaise. Je tremble face au vide. Quelle hésitation me prend tout à coup ? C’est comme si je réfléchissais, sauf que je ne pense à rien. Bizarre, cet état. Je n’y arrive pas. Je n’arrive pas à me mettre à ma place. Rita m’appelle. Il veut s’en aller. Il a froid. On s’en va. On traverse la Normandie dans l’autre sens. Les vaches noires, les vaches blanches, l’herbe verte et la pluie transparente. Comme moi. Je suis transparent, translucide. Je me passe à travers. Je suis une goutte d’eau débordant loin de son vase. Celle qui bat votre front. Celle qui tombe à heure fixe et dont l’attente rend fou. Je voudrais écrire quelque chose de beau. Un livre en somme. Une liberté en sommeil.
 
Je me mets en condition. J’essaie de comprendre ce qui pousse Rita à vouloir en finir avec la vie de manière récurrente. Je ne nie pas qu’il existe des raisons de vouloir mettre un terme à son existence, mais dans le cas de Rita, je ne vois pas. Bonne santé, bon mental, il déconcerte. Il a cessé toute activité physique, y compris sexuelle, mais cela n’est probablement pas une raison suffisante. Légèrement déprimé, mais qui ne l’est pas. Refusant de travailler pour le principe, Rita cultive les paradoxes. Il dit qu’il aimerait devenir. Juste devenir, c’est tout. On dirait qu’il manque un mot. Si vous le lui faites remarquer : « Devenir quoi ? », il vous traite de réac. Rita rit peu. Rita ne rit plus. Il a perdu cela. La mort aussi est réac.
 
Nous sommes dans la voiture, roulant vers Paris. Dans ma poche se trouve un révolver. Je le garde toujours sur moi, pour éviter que Rita ne s’en serve. Dans la boîte à gants se trouvent des gants et une cagoule. J’enfile tout cela uniquement lorsque je pénètre dans une pharmacie, muni de mon arme qui n’a jamais fait couler autre chose que des mots. Je formule invariablement la même ordonnance, à savoir :
— Personne ne bouge ! La caisse vite, si tu tiens à la vie !
Cette formule fonctionne assez bien. On peut en déduire que les pharmaciens sont attachés au principe de la vie, ce qui est rassurant. Rita attend au volant de la caisse, l’autre caisse. L’automobile, c’est sa partie. Rita nous concessionne en véhicules. Bien qu’un peu déséquilibré, il est très calé. Je m’appelle Manille. Comme vous pouvez vous en douter, Rita & Manille ne sont pas nos vrais noms, mais je suis obligé d’en passer par là, car il y a de tout dans une population, y compris parmi celle des lecteurs. Les balances ne croient qu’à ce qui est lourd. Elles ne penchent jamais du bon côté. Les déséquilibrés, elles les donnent pour rien. Je ne suis pas un contrepoids. Je suis le troisième plateau.
 
Prendre pour partenaire dans une entreprise aussi périlleuse un homme qui a des velléités suicidaires comporte quelques risques. La raison en est que Rita est mon ami. Nous faisons partie, Rita et moi, d’une espèce en voie d’apparition. Il ne faut surtout pas demander laquelle. Cela pourrait être dangereux. Rita aime à croire que nous ne sommes pas seuls et qu’il y a de la vie ailleurs qu’ici. Rita aime à croire que nous ne sommes pas là et qu’il y a de la vie ailleurs que maintenant, à un autre endroit qui pourrait être au-dessus, au-dessous, ou bien à côté, dans une autre dimension qui ne nous échappera plus très longtemps. Rita croit que tout est lié dans un vaste réseau d’interconnexions allant de son cerveau plein à mon révolver vide. C’est un exemple. Rita tient le cap sur mystique. Rita croit au père Noël. Il nie, mais à en juger par la fréquence de ses visites dans les églises, nul doute n’est permis. J’ai connu bien des gens au cours de mon existence, mais aucune personne ne m’a éclairé autant que Rita sur la vie en général et la mort en particulier.
 
Rita me parle de ses rêves. Plus exactement de son rêve car il fait toujours le même. Je raconte son rêve comme si vous y étiez :
— Quand je suis né, on m’a greffé un truc dans le cerveau. Je suis une sorte d’organisme génétiquement modifié. C’est très pratique. Je ne suis jamais malade. Je ne dévie jamais. Bien sûr, il m’arrive d’avoir des bugs. Par exemple, l’autre jour, en écoutant les cours de la bourse à la radio, j’ai eu une érection. J’en ai parlé à ma docta-peute. Elle m’a conseillé d’écouter de la Music Classic, you know, Andy Warhol, Woody Allen, Martin Scorcese, Will, Art & Reproduction, staff like that…
Rita s’est inventé ce rêve, lui qui ne fait que des cauchemars. Pour l’heure, Rita n’invente rien. C’est moi qui raconte ce qui arrive. C’est tout ce que j’arrive à faire. Je dormais à Belleville, rue Denoyer. Rue Denoyer est la dernière rue communarde de Paris. Rue Denoyer, dépêchez-vous d’y aller avant la fermeture car tout va disparaître. À commencer par le souvenir de la libération de l’être. C’est de là que tout est parti. C’est ici qu’a commencé la ruée vers l’être.
* * *
À Belleville j’avais connu une Chinoise. Très jolie et très jeune. Elle s’appelait Micky. Arrivée en France à l’âge de cinq ans, elle parlait couramment le français. Elle suivait des études de comptabilité générale. De combativité générale aussi. Certains soirs, elle donnait un coup de main, lors du coup de feu, dans le restaurant familial de la rue de l’Orillon. Toute sa famille y travaillait. La première fois que j’y suis allé, j’étais un client comme un autre. J’ai dragué la serveuse. C’était sa mère. Si on m’avait dit qu’elle avait une fille de dix-sept ans encore plus belle, l’aurais-je cru ? Micky est sortie des cuisines, a traversé la salle, et est venue directement renverser le plat que j’avais commandé sur mon pantalon. Elle me regardait de son œil noir sans s’excuser. J’ai adoré ça. Une préméditation totale. Rita ne disait rien, totalement indifférent à ce qui m’arrivait. J’ai souri à Micky. Elle est repartie en cuisine, furieuse. Le lendemain, j’y suis retourné avec des fleurs en plastique. J’avais glissé un mot d’humour à l’intérieur. Un brin. Une sorte de déclaration d’humour. C’était il y a une semaine jour pour jour, œil pour œil.
 
Rue Denoyer, le soleil divisé en rayons blanchâtres passe à travers les persiennes. Je regarde Micky endormie nue. Ce que j’aime aussi chez elle, c’est sa myopie incroyable. Quand je pense qu’elle veut être comptable, j’en ai mal pour elle. Je la verrais davantage dans un film de Jarmusch plutôt qu’assise sur un siège, même social, d’un quelconque cabinet d’experts. Mon jeu favori consiste à cacher ses lunettes. Je la caresse. Elle se réveille et s’étire comme une chatte. Elle tend un bras pour récupérer ses lunettes, mais ne les trouve pas. La voir s’étirer ainsi, féline, me rend félin. Elle me laisse l’être et se laisse faire. À ce jour, je n’ai rien vu de plus beau et de plus excitant que Micky faisant le tour du matelas à quatre pattes à la recherche de ses binocles que je porte sur le nez. Je l’appelle ou la chatouille, c’est selon. Elle devine ma traîtrise et me traite de je ne sais quoi en chinois. C’est drôle le chinois. C’est sec et nerveux, avec des fins de phrases parfois très envolées. Il y a un côté image accélérée, un peu comme ces films muets qu’on tournait à la manivelle et dont certains sont beaucoup moins vieux que certaines denrées prémâchées que l’on nous sert, hors d’œuvre, à la baguette. Micky parle le chinois à la manivelle. Micky a découvert le pot aux roses. Micky m’assaille. Une seconde après, on est l’un sur l’autre. Magiciens, on s’apprend nos tours de passe-passe sans détour. Encore une seconde après, je suis en elle, moi Merlin, elle en chanteuse. Toujours une seconde après, je suis en nage. Le chinois est une langue vivante et mouvante.
 
Je dois partir en Italie pour affaire. Je préfère ne rien dire à Micky. Cela pourrait ne pas lui plaire et cela me déplaît. Et puis s’expliquer est pénible. Je lui ai dit que j’écrivais des trucs. Enfin, que j’essayais. Écrire est une couverture pratique, même si elle ne tient pas toujours très chaud. Ce matin, je ne caresse pas Micky, je ne la réveille pas et ne cache pas ses lunettes. Je quitte le lit en souplesse et m’habille en silence. Micky dort sur le côté, nue. Je dépose un baiser manquant sur sa hanche. Elle miaule. Après avoir rabattu le drap de soie sur elle, je sors mon marqueur et écris en grosses lettres noires indélébiles sur le mur jaune tournesol : « Tu es mon petit canard laqué préféré ! »
 
Au moment de franchir la porte, j’ai un doute. Et si je faisais une connerie ? Si ma vie était à Belleville avec Micky ? Mais non, je me dis toutes les fois la même chose. Allons, pas de forfaiture sentimentale. Pas d’attache. Il faut vivre sa vie. Il faut y aller. Faut-il ? Et puis ce n’est pas un adieu, je l’appellerai sur la route, ou ce soir, ou demain en arrivant en Italie, ou jamais. Micky, tu es si jolie. Farewell Micky !
 
Dans l’escalier, mon révolver pas réveillé tombe de ma poche et dévale quelques marches. Un black me croise sans s’étonner de rien. Je le ramasse, ouvre la porte à moitié défoncée de l’immeuble et me voici dans la rue. La rue Denoyer. Je me retourne vers les persiennes de la chambre de Micky. Je passe de l’autre côté. Micky ne s’est pas réveillée. Elle ne sait pas que je pars, elle n’a pas vu le mot sur le mur. Elle tend le bras et me cherche. Elle caresse ma place dans le lit et sourit sans ouvrir les yeux. Elle a senti la chaleur, mais ce n’est plus la mienne, c’est celle du soleil qui passe à travers les per

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