La main brune
230 pages
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Description

Arthur Conan Doyle (1859-1930)



"Tout le monde sait que Sir Dominick Holden, le fameux chirurgien des Indes, me choisit pour son héritier, et qu’à sa mort j’échangeai en une heure ma pénible condition de petit médecin contre l’état de gros propriétaire. Il est également connu de bien des gens qu’entre l’héritage et moi s’interposaient cinq personnes, à qui le choix de Sir Dominick parut tout à fait arbitraire et baroque : je puis assurer qu’elles se trompaient et que, pour n’avoir connu Sir Dominick que sur la fin de sa vie, je n’en avais pas moins des titres positifs à sa bienveillance. Encore que le témoignage en vienne de moi-même, nul homme, à vrai dire, ne fit jamais pour un autre plus que je ne fis pour mon oncle. Je ne me flatte pas de l’espoir qu’on veuille ajouter foi à cette histoire ; mais elle est si singulière qu’il me semblerait manquer à un devoir si je ne la consignais dans ces pages. Voici les faits. On y croira ou non : c’est affaire personnelle."



Recueil de 9 nouvelles :


"La main brune" - "Retiré des affaires" - "Le docteur noir" - "L'étrange collègue" - "La chambre scellée" - "Une visite nocturne" - "Le voyage de Jelland" - "L'île hantée" - "Le chat du Brésil".

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 septembre 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782384421152
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La main brune


Arthur Conan Doyle

traduit de l'anglais par Louis Labat


Septembre 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-115-2
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1113
La main brune
Tout le monde sait que Sir Dominick Holden, le fameux chirurgien des Indes, me choisit pour son héritier, et qu’à sa mort j’échangeai en une heure ma pénible condition de petit médecin contre l’état de gros propriétaire. Il est également connu de bien des gens qu’entre l’héritage et moi s’interposaient cinq personnes, à qui le choix de Sir Dominick parut tout à fait arbitraire et baroque : je puis assurer qu’elles se trompaient et que, pour n’avoir connu Sir Dominick que sur la fin de sa vie, je n’en avais pas moins des titres positifs à sa bienveillance. Encore que le témoignage en vienne de moi-même, nul homme, à vrai dire, ne fit jamais pour un autre plus que je ne fis pour mon oncle. Je ne me flatte pas de l’espoir qu’on veuille ajouter foi à cette histoire ; mais elle est si singulière qu’il me semblerait manquer à un devoir si je ne la consignais dans ces pages. Voici les faits. On y croira ou non : c’est affaire personnelle.
Sir Dominick Holden, chevalier du Bain, de la Couronne des Indes et de je ne sais quoi encore, était le plus distingué chirurgien des Indes. Sorti de l’armée, il exerçait à Bombay la médecine civile. On venait le consulter de tout le pays. Son nom reste lié à la création de l’Hôpital Oriental, qu’il faisait vivre. Un beau jour, sa robuste constitution ayant fini par se ressentir visiblement du long effort auquel il l’avait astreinte, ses confrères, qui peut-être n’y mettaient point un désintéressement absolu, furent unanimes à lui conseiller de retourner en Angleterre. Il essaya de tenir bon ; mais, à la longue, les symptômes d’une affection nerveuse très caractérisée s’accentuèrent, et la maladie l’avait brisé quand il rentra dans son comté natal de Wiltshire. Il acheta un domaine considérable, dépendant d’un ancien manoir, au bord de la plaine de Salisbury. Et il y consacrait ses vieux jours à l’étude de la pathologie comparée, qui avait été la marotte scientifique de sa vie et lui avait valu l’autorité d’un maître.
On imagine avec quelle émotion, dans la famille, nous apprîmes le retour de cet oncle riche et sans enfant. Quant à lui, sans pousser l’hospitalité à l’extrême, il ne laissa pas de reconnaître ce qu’il devait aux siens ; et chacun de nous successivement reçut une invitation à lui rendre visite. Visite mélancolique, au dire de mes cousins ; en sorte que j’éprouvai des sentiments assez mêlés lorsqu’à mon tour je me vis prié à Rodenhurst. L’invitation excluait si nettement ma femme que mon premier mouvement fut de refuser. Mais les intérêts de nos enfants méritaient réflexion ; si bien que, ma femme y consentant, je convins d’un après-midi d’octobre pour ma visite à Wiltshire. Je n’en prévoyais guère les conséquences.
La propriété de mon oncle était située à la limite de la plaine labourable, là où commencent à s’arrondir les hauteurs crayeuses qui caractérisent cette contrée. Tandis qu’à partir de la station de Dinton une voiture m’emmenait dans la lumière déclinante de ce jour d’automne, je subissais fortement l’étrangeté du décor. Les monuments des âges préhistoriques écrasaient de leur énormité les quelques chaumières paysannes éparses dans la campagne, tellement qu’ici le présent faisait l’effet d’un songe, tandis que le passé semblait l’importune et toute-puissante réalité. La route serpentait dans des vallées, entre des successions de mamelons herbeux, découpés et disposés à leur crête selon un plan de fortification très méthodique, les uns circulaires, les autres carrés, tous de taille à braver les vents et les pluies de plusieurs siècles. Que ces travaux soient d’origine romaine ou britannique, c’est ce qu’en fin de compte on n’a jamais éclairci, non plus que la raison qui a fait tendre sur ce coin de pays un tel réseau de défenses. Çà et là, sur les longues pentes lisses, couleur d’olive, s’érigeaient de petits tertres ronds ou tumuli . Ils gardent les cendres de la race qui tailla si profondément ces collines : une jarre remplie de poussière représente un homme qui lutta sous le soleil.
Telle était la contrée peu banale que je traversais pour rejoindre la résidence de mon oncle Rodenhurst. La maison s’adaptait à son cadre. Deux piliers en mauvais état, portant les traces des intempéries et surmontées d’emblèmes héraldiques mutilés, flanquaient l’entrée d’une allée mal entretenue. À travers les ormes qui la bordaient sifflait une bise froide ; des feuilles mortes tourbillonnaient dans l’air. Sous l’arcade obscure des arbres, à l’autre bout de l’allée, une lampe brillait d’un éclat fixe. Je pus, à la demi-clarté du crépuscule, distinguer un long bâtiment bas projetant deux ailes irrégulières, avec des avant-toits profonds, des combles en croupe, et des murs à pans de bois entrecroisés dans le style des Tudors. La lueur joyeuse d’un feu dansait derrière les treillis d’une grande fenêtre, à la gauche d’un porche bas. Je devinai à cette particularité le cabinet de mon oncle ; et ce fut là qu’en effet le maître d’hôtel m’introduisit auprès de lui.
Je le trouvai pelotonné près de son feu, car le froid humide de l’automne anglais le glaçait aux moelles. Il n’avait pas allumé sa lampe ; mais le reflet pourpre des braises me montra une large figure abrupte, un nez et des joues de Peau-Rouge, et, courant des yeux au menton, mille profondes crevasses, sinistres indices d’une secrète nature volcanique. Il se leva vivement à mon entrée, avec une courtoisie qui tenait presque d’une autre époque, et me souhaita chaleureusement la bienvenue. On fit de la lumière : je pus alors me rendre compte que deux yeux scrutateurs me guettaient sous la broussaille des sourcils, comme des éclaireurs sous un buisson, et que cet oncle exotique était en train de fouiller dans mon caractère avec l’aisance d’un observateur averti et l’expérience d’un homme du monde.
De mon côté, je ne m’arrêtais pas de le regarder ; car je n’avais jamais vu un homme dont l’aspect méritât davantage l’examen. Bâti en colosse, il avait dépéri au point que son pardessus tombait lamentablement raide du haut de deux vastes épaules saillantes. La maigreur consumait ses membres énormes. Je considérais malgré moi ses poignets bosselés, ses longues mains noueuses. Mais ce qu’il y avait de plus remarquable chez lui, c’étaient les yeux, ces yeux bleus limpides qui vous épiaient à la dérobée ; et non pas seulement à cause de leur couleur, ni à cause des sourcils derrière lesquels ils semblaient en embuscade, mais à cause de l’expression que j’y pouvais lire. Car la physionomie du personnage était hautaine, comme ses allures, et l’on se fût attendu à trouver dans ses yeux une arrogance correspondante : au contraire, j’y découvrais le regard qui dit une âme intimidée et opprimée, le regard furtif et anxieux du chien dont le maître prend la cravache. Je n’eus qu’à voir ces yeux, si lucides à la fois et si humbles, pour former mon diagnostic : je jugeai mon oncle atteint d’une maladie mortelle, conscient d’un risque permanent de mort subite, et terrorisé par cette idée. En quoi je me trompais, comme la suite m’en fournit la preuve. Je n’ai noté le détail que pour aider à comprendre le regard qui m’apparut dans ses yeux.
Il me fit, ai-je dit, un accueil plein de bonne grâce. Une heure plus tard environ, je me trouvais assis entre sa femme et lui devant un dîner copieux, à une table couverte de friandises piquantes et bizarres ; un domestique oriental, vigilant et diligent, se tenait derrière sa chaise. Le vieux couple en était arrivé à cette heure tragique de l’existence où deux époux, ayant perdu ou disséminé derrière eux leurs intimes, se retrouvent comme à leur point de départ, seuls, face à face, leur œuvre accomplie, et tout proches de leur terme. Ceux qui ont atteint ce stade dans la paix et l’amour, ceux qui peuvent changer leur hiver en un tiède été de l’Inde, ceux-là ont traversé victorieusement l’épreuve de la vie. Lady Holden était une petite femme alerte, au regard plein de bienveillance, et ce regard parlait en faveur de sir Dominick lorsqu’il se posait sur lui. Pourtant, si leurs yeux disaient une mutuelle affection, ils disaient aussi une horreur mutuelle ; et je discernais sur sa figure, à elle, un reflet de cette secrète épouvante que j’avais reconnue chez lui. Leur conversation était tantôt gaie, tantôt triste ; mais leur gaîté avait quelque chose de factice, au lieu que le caractère naturel de leur tristesse m’avertit qu’à mes côtés battaient deux cœurs gonflés de peine.
Nous nous attardions à table après le dîner, et les domestiques allaient quitter la salle, quand la conversation prit un tour dont je remarquai immédiatement l’effet sur mon hôte et mon hôtesse. Je ne me rappelle pas comment nous vînmes à parler de surnaturel ; mais je fus amené à déclarer que, comme bien des neurologistes, je m’étais beaucoup attaché à l’anormal en matière psychique. Et je conclus en narrant mes expériences du temps où, comme membre de la Société des recherches psychiques, j’avais fait partie d’un comité de trois personnes qui passa la nuit dans une maison hantée. Nos aventures n’avaient rien de palpitant ni de convaincant ; mais, tel quel, le récit en parut intéresser au plus haut point mes auditeurs. Ils m’écoutaient muets et tendus, et je surpris entre eux un regard d’intelligence dont le sens m’échappa. Puis, lady Holden, se levant, quitta la pièce.
Sir Dominick poussa devant moi la boîte de cigares, et nous restâmes un moment à fumer sans rien dire. Sa grande main desséchée se contractait quand il portait le manille à ses lèvres. Évidemment, ses nerfs vibraient comme des cordes de violon. Mon instinct m’avertissait que j’étais à deux doigts d’une confidence intime, et je craignais, en parlant, de tout compromettre. À la fin, il se tourna vers moi avec un geste convulsif, comm

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