La Fille du chasseur
362 pages
Français

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La Fille du chasseur , livre ebook

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Description

« Est-ce que c’était moi ? Est-ce que vraiment j’ai vécu ça ? Ou est-ce que c’est une autre, ou est-ce que c’est un rêve ? Mon enfance dans le désert, les grandes traversées avec le Groupe Nomade, mon gavage, mes mariages avec... Est-ce que ça a existé ? C’est tellement loin de moi. Et puis si c’était vraiment moi, qui suis-je maintenant ? »


La voix de Mariem s’élève du pays au million de poètes, de ce désert mauritanien où le vent de sable efface toutes les traces, et voue la vie des hommes à l’oubli.


Portés par sa parole magistralement mise en scène par Sophie Caratini, nous traversons le miroir du mythe pour atteindre à la vérité d’une femme et découvrir un monde saharien, bédouin, que le choc colonial va totalement bouleverser.


Avec Mariem, reprennent sens des savoirs perdus, d'autres manières d'être au monde. Grâce à elle, nous accédons à la forme de vie et aux métamorphoses intérieures de tout un peuple.


Sophie Caratini est écrivain et anthropologue. Spécialiste de la Mauritanie et du Sahara Occidental, elle est directrice de recherche au CNRS, membre de l’Équipe Monde Arabe et Méditerranée.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 24
EAN13 9782362800191
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

SOPHIE CARATINI
LA FILLE DU CHASSEUR






© 2011 Éditions Thierry Marchaisse
Conception visuelle : Denis Couchaux
Mise en page intérieure : Anne Fragonard-Le Guen
Reproduction de couverture : Mariem en 1966 © D. R.

Éditions Thierry Marchaisse 221 rue Diderot, 94300 Vincennes
http://www.editions-marchaisse.fr

Diffusion : Harmonia Mundi

ISBN (ePub) :978-2-36280-019-1
ISBN (papier) :978-2-36280-000-9

www.centrenationaldulivre.fr




À Fatimatou mint Ahmed Bilal et El-Kory ould Touileb IN MEMORIAM

Et à nos enfants : El-Hussein, Mroum, Aline, Jérôme, Véronique, Elie, Jacques, Clément, Jibril, Morgane, Sophie, Mohamed, Soraya





Que nos filles épousent nos ennemis
PROVERBE MAURE





PROLOGUE

Pour moi, tout a commencé par le fait extraordinaire que mes parents n’étaient pas de la même tribu. Et ça, c’est extraordinaire, tu le sais bien.
C’était extraordinaire, surtout à l’époque. Mon père était Nmadi, tribu de chasseurs. Les Nmadi nomadisaient dans l’est de la Mauritanie et coursaient les antilopes à pied, avec des lévriers. Ma mère était Ladem, tribu de pasteurs. Les Ladem étaient des porteurs de fusils. C’est incroyable qu’ils aient donné une fille à des Nmadi. Des guerriers, donner une femme à un chasseur ! Parce que nous, les Nmadi, nous sommes des gens différents. Ceux qui nous connaissent bien considèrent que notre statut est à part, mais pour la plupart des Mauritaniens qui ne savent rien de notre histoire, nous sommes des gens de basse condition. Certains disent : « C’est des tributaires. » D’autres disent : « C’est des sauvages. » Il y en a même qui disent : « Leurs hommes sont des chiens, seules leurs femmes sont normales » ! L’autre problème était qu’en plus, nous étions des mécréants pour eux : ce n’était pas des gens très religieux, les Nmadi.
Les Ladem voulaient que ma mère épouse un Ladem, mais ils ne pouvaient pas l’y obliger. Dans la société maure, la coutume veut que lorsque la fille a été mariée une fois, elle peut refuser les prétendants qu’on lui propose par la suite. Elle peut même choisir qui elle veut ; elle a le droit. Or les premiers mariages se passent souvent mal. Quand on te donne à un homme à neuf ou dix ans, ou même à douze, fatalement, tu divorces plus tard ! Souvent, c’est parce que tu ne l’aimes pas, parce qu’il n’est pas du même âge que toi, parce que tu veux découvrir autre chose. C’est toujours les femmes qui paient les pots cassés. J’ai vu beaucoup de mariages. Beaucoup. La femme supporte jusqu’à ce qu’elle devienne un petit peu autonome, un peu plus âgée, et là, elle cherche à échapper, elle fait tout pour se faire répudier, elle ne veut plus de son mari !
Une répudiation, c’est un divorce, la seule différence est qu’il faut que l’homme le prononce, et parfois il ne veut pas. Mais la femme a quand même des droits, elle peut aller devant le cadi. Moi, c’est ce qui m’est arrivé, c’est d’ailleurs une des choses que je vais raconter. Et pour ma mère, c’était pareil. Ses parents l’avaient mariée à quatorze ans à son cousin, elle avait eu un fils et avait divorcé. Donc elle était libre, du moins théoriquement. De fait, elle aurait pu épouser sans choquer personne le Ladem de son choix, mais quelqu’un qui n’appartenait pas à sa tribu, non, ça ne se faisait pas. Seules les femmes de l’Adrar et de l’Inchiri pouvaient épouser des hommes étrangers à leurs tribus, elles étaient plus libres qu’ailleurs. C’est pourquoi certaines n’ont pas hésité à s’unir aux Français et aux tirailleurs noirs ; elles se sont mariées. Enfin, mariées… Les Français ne les ont pas épousées ! Ni devant la loi française, ni devant personne. Ce qu’on appelait « mariage local » se faisait sans cadi ni marabout, ni maire. Sans rien. Il y avait quand même une dot, mais on ne pouvait pas faire de cérémonie religieuse : dans l’islam, pour que le mariage soit reconnu, il faut que l’homme soit musulman, peu importe la religion de la femme. Au début, la plupart des pères refusaient de donner leurs filles aux Français, mais quand ils ont pris la mesure des enjeux économiques de ce genre d’union – économiques et politiques –, certains ont fini par accepter. Car la fille qui allait vivre avec un capitaine, avec un lieutenant ou même un simple adjudant, elle avait son mot à dire, c’était déjà quelqu’un, tu comprends ; et pour les Français, c’était aussi un moyen d’avoir des liens privilégiés avec les tribus maures.
Elles, les femmes, elles ne savaient pas qu’il existait un mariage civil ; elles n’étaient pas au courant. Donc elles vivaient comme ça, sans être mariées légalement, on dirait ici en « concubinage ». Après, ça dépendait des gens. Il y avait des hommes très corrects qui avaient même des rapports avec leur belle-famille, et d’autres, abjects, qui utilisaient les femmes pendant qu’ils étaient là, mais qui s’en fichaient éperdument et repartaient sans accorder la moindre pension aux enfants qui restaient. Les enfants, c’est malheureux, c’est eux qui ont le plus souffert. Et ça, je connais bien le problème : je suis un peu passée par là parce que j’ai été mariée quelques années avec un Français. Un militaire qui se faisait passer pour un musulman ! Eh oui… En plus, dans ma famille, j’ai des grands-tantes qui ont été prises de force par les Français, d’autres qui étaient consentantes, et il y a beaucoup d’enfants métis. C’est quelque chose dont on ne parle jamais en France, pourtant c’est important.
Je vais te raconter mon histoire, tu vas comprendre comment les choses se sont passées. C’est terrible, il faut être très équilibré. Il y a des jours où je me demande : est-ce que c’était moi ? Est-ce que vraiment j’ai vécu ça ? Ou est-ce que c’est une autre, ou est-ce que c’est un rêve ? Ma vie dans le désert, les grandes traversées avec le Groupe Nomade, mon gavage, mes mariages avec… Est-ce que ça a existé ? C’est tellement loin de moi. Et puis si c’était vraiment moi, qui suis-je maintenant ?






LE NMADI





LE RAPT DE FATIMATOU

La rencontre de mes parents ressemble à l’histoire de Roméo et Juliette . C’est ma mère qui me l’a racontée.
Un jour, mon père est venu, et il l’a vue. Il s’était bagarré peu de temps avant : il se bagarrait toujours. C’était un homme très fort qui n’aimait pas qu’on le contrarie, et il n’était pas diplomate du tout, il ne cherchait pas à savoir qui avait tort, qui avait raison. S’il se sentait provoqué, c’était la force, c’est tout.
Il avait le type berbère, grand, avec les yeux bleus-blancs ; un bleu très pâle. Toute la famille Touileb du côté de mon père était comme ça ; mon grand-père aussi, et toutes mes tantes. Tu vois le noir qu’on a là, c’était presque blanc, un bleu-blanc. C’était en 1934 ou 1935 ; en Mauritanie, on dit ‘am neysan , « l’année des pluies », car il est tombé cette année-là des pluies diluviennes comme on n’en a plus jamais vu, ni avant, ni après.
Il avait entre dix-huit et dix-neuf ans, il était tout jeune. Elle, un peu plus : elle avait cinq ou six ans de plus que lui. C’était un vadrouilleur, mon père : quand il ne chassait pas, il montait sur son chameau – si ses parents ne lui en donnaient pas, il en prenait à une tante, à un cousin ou même à un voisin – et faisait tous les puits, tous les campements de la région. En général, c’était l’été, car les grandes chasses avaient lieu l’hiver. Et l’été, les éleveurs étaient tous installés autour des puits. Le puits, ça veut dire quelque chose. Toi, tu connais. Ce n’est pas seulement le puits lui-même, c’est le rendez-vous de tous les nomades, de tous les chameliers qui viennent faire boire leurs troupeaux. Avant, c’était autour des puits qu’on trouvait les campements, qu’on voyait les jolies filles.
Donc, un beau jour de 1934, mon père est arrivé, et il a vu ma mère. Il venait de se battre, il avait son dra’a , son boubou, déchiré à moitié, et elle, elle s’est un peu moquée de lui : un jeune homme avec son fusil et son dra’a à moitié déchiré, tu vois, ça fait pas très sérieux. Alors elle a ri quand elle l’a aperçu. Elle l’a regardé, et elle a ri parce que ça lui paraissait drôle. Lui, comme c’est un nerveux, il lui a dit :
– Qu’est-ce qui te fait rire ?
D’abord elle a été un peu intimidée, puis elle a répondu :
– Mais, ça ne va pas, avec… tu ne veux pas que je recouse ton boubou ?
– Si, pourquoi pas, tu le ferais ?
– Mais oui, si tu veux.
Il l’a prise au mot et s’est aussitôt déshabillé. Elle est allée chercher une aiguille et lui a réparé son vêtement. C’est ainsi que tout a commencé. Elle a vu mon père torse nu parce qu’il ne portait pas de chemise, il avait juste son séroual , son pantalon, et sa ceinture ; et lui, il l’a regardée. Elle avait de beaux yeux noirs, des traits fins avec les pommettes saillantes, elle était très belle. Il l’a observée en silence pendant qu’elle s’appliquait à l’ouvrage, et il est tombé amoureux. Dans ces cas-là, le garçon demande :
– Où habites-tu, où sont tes parents, quel campement, de quelle tribu es-tu ? Est-ce que je peux venir te voir ce soir ?
Elle n’a pas dit « oui », elle n’a pas dit « non ». Elle a dit :
– Si tu veux.
On ne dit jamais oui. Mais on dit un non qui veut dire oui :
– Si tu veux, tu peux toujours essayer.
Il est parti le soir même, il a cherché le campement, et il a trouvé ma mère avec toutes les jeunes filles chez la servante. Mes grands-parents n’avaient pas beaucoup d’esclaves, ils avaient deux hommes et cette femme qui était mariée à l’un des hommes. Je ne l’ai pas connue, elle est morte avant, mais j’ai rencontré son époux, Mahmoud. Dans le campement, il y avait juste ma grand-mère et ses frères. Mes grands-oncles étaient indépendants, ils étaient mariés, d

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