La brume des jours
156 pages
Français

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La brume des jours , livre ebook

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Description

Ce récit est un périple tourmenté dans le passé. C’est une histoire de tendresse où des existences sont décrites sans ressentiment, malgré les douleurs traversées.C’est un livre de chaleur, un magma de souvenirs qui vibre au son d’une passion rageuse éteinte sur les charbons ardents d’une fatalité implacable. Il a pour décor les forêts de cèdres de l’Atlas, les venelles de la médina de Fez et leurs insondables mystères, ou encore les lagunes de Oualidia.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2022
Nombre de lectures 1
EAN13 9789954210792
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La brume des jours Roman
Du même auteur
• Amours inachevées, roman  Horizons Méditerranéens, Casablanca, 1994
Dorhan, roman  L’Harmattan, Paris, 1999
Sur tes pas, roman  L’Harmattan, Paris, 2OO1
Plus que tout au monde, roman  Afrique Orient, Casablanca, 2005
La vie volée, roman  Marsam, Casablanca, 2005
Editions Marsam Ateliers : 6, rue Oskofia (derrière BNDE)  Rabat Bureaux : 15, avenue des Nations Unies  Rabat Tél : 037 67 40 28  Fax : 037 67 40 22 email : marsamquadrichromie@yahoo.fr
Compogravure flashage Quadrichromie
Impression Yadini
Dépôt légal : 2007 / 0548 I.S.B.N. : 9954  21  079  2
Mamoun Lahbabi
La brume des jours Roman
Couverture Vue de Fès huile sur toile, 200 x 200 cm Mohamed Krich Collection Marsam
L’air se fit soudain plus frais. Les branches des pins frémirent, abandonnant sur le sol rocailleux leurs aiguilles prématurément jaunies. Alertés par cette incursion automnale, des oiseaux de proie se réfugièrent dans le ciel pour fuir la progression du vent dans la forêt. Un lézard se jucha sur un rocher pour mieux humer la brise et le parfum de résine charrié. Tout alentour, les flancs des collines ondulaient dans un rythme lent et régulier. Les pins se tendaient comme pour mieux se rapprocher d’un lac à portée de branches dont les eaux, jadis généreuses, furent mystérieusement absorbées par les entrailles de la terre. De cette étendue verdâtre ridée par les vents des montagnes de l’Atlas, il ne restait plus rien. Le lit offrait désormais sa face grisâtre et craquelée. De la berge molle, un véhicule s’engagea dans l’étang, s’enfonça dans les profondeurs arides, et déchira le lit, en son milieu. Une clameur s’élança de la voiture pour saluer la victoire du temps sur le temps. Une main s’échappa de la fenêtre arrière et, d’un geste désinvolte, balança une canette vide. Lentement, le ronflement du moteur s’estompa avant de disparaître derrière le rideau étanche d’un large bouquet de joncs. Puis, imperceptiblement, le vent s’apaisa. La forêt se relâcha comme pour reprendre son souffle. Un hibou hulula, renvoyant sur les ver-sants alentours un écho prolongé. Derechef, le lézard réapparut, tendit le cou pour mieux happer le silence retrouvé et la fraîcheur vespérale. Sami Cham ne put réprimer quelques frissons. Il se délecta goulûment de cet air vif et pur. Cela faisait plusieurs heures qu’il se tenait immobile sur une large pierre lisse, le regard planté dans le paysage. Le crépuscule l’avait surpris sans affecter ni sa patience,
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ni la soif qu’il avait de remonter le temps à travers les eaux absentes du lac. Il sourit au décor et poursui-vit son exode, des questions puériles suspendues aux lèvres :“Ce lac asséché devrait-il garder le nom de Daït Aoua ? Faudrait-il rayer ce nom des cartes et des pancartes pour éviter de tromper les voyageurs ?” Les mains en conque, il poussa un “ouh” prolongé dans cette atmosphère silencieuse. Il attendit en vain un écho perdu dans la forêt. Il renouvela son appel sans recevoir le retour de sa voix et en ressentit une parfaite solitude. Il savoura alors cet instant rare, laissa couler en lui la fraîcheur vivifiante et la remontée fougueuse des souvenirs. Durant toute son enfance, il avait passé ses vacances d’été dans cette région, entre parties de pêche au bord du lac et pique-niques dans les forêts à la lisière d’Ifrane, le village où ses parents possé-daient une résidence. L’été y était clément et les bourgeois de Fez y affluaient dès le mois de juin pour fuir la canicule qui rendait leur ville insupportable. Avec ses coquettes maisons aux toits de tuiles vertes, ses platanes aux larges feuilles ombrant les rues l’été et tapissant le sol dès les premiers jours d’automne, ses marronniers sauvages répandant généreusement leurs fruits et sa couronne verdoyante de pins, Ifrane ressemblait à une carte postale choisie pour suggérer beauté, quiétude et sérénité. L’État avait intelligemment renoncé à perturber la morphologie de ce village montagneux légué par la présence coloniale. L’allure de cette station de ski célèbre dans tout le pays fut ainsi miraculeusement préservée. Certes, la patinoire avait fait les frais de manque d’entretien et de l’indifférence d’une jeu-nesse acquise à d’autres activités, le club de jazzfermé pour cause d’obsolescence et du fait de la montée de mœurs plus rigoristes, l’unique cinéma abandonné par la sécheresse culturelle et l’invasion de la vidéo pour films ankylosant, l’épicerie fine reconvertie pour cause de paupérisation. Ainsi le
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village avait été dépouillé de son âme et ramené à un dortoir pour jeunes en mal d’imagination et de vieux en attente du temps qui passe, mais la structure appa-rente avait été maintenue, les murs régulièrement repeints, les toitures réparées, les jardins minutieuse-ment entretenus, les rues nettoyées et asphaltées. Ifrane ressemble maintenant à un écrin qu’il est désormais inutile d’ouvrir. Le visiteur assoiffé d’émotions devra se contenter de le caresser du regard avant de poursuivre son chemin en enjambant une mémoire engloutie faute de témoins. Dans une anamnèse nostalgique, Sami Cham tra-versa une nouvelle fois les années de son adoles-cence. Des promenades le long des ruisseaux, il parvint au souvenir sirupeux des étreintes juvéniles aux pieds des grands cèdres. Les mots tendres susur-rés en guise de conversation, les regards qui s’em-poignaient et se nouaient avant de se perdre dans des promesses au parfum de toujours, le cœur gravé sur l’écorce, les deux initiales incrustées pour sceller le serment d’éternité, les caresses furtives, juste le temps de happer quelques frissons, la mèche décou-pée en gage d’amour, les tremblements de la pre-mière étreinte, le baiser déposé sur les lèvres et les corps qui implosaient, les doigts dans les doigts et le bonheur de la passion partagée, le silence dans le silence, et le chemin du retour. Sami Cham ressentit brusquement l’irrépressible envie de retrouver le vieux cèdre et les empreintes patiemment gravées il y avait une vingtaine d’an-nées. Un ardent désir le poussait à vérifier si l’arbre avait conservé dans sa chair ce que le temps avait épargné dans son propre cœur. Ce premier amour était resté intact, comme toutes les grandes amours, malgré les vicissitudes traversées durant ces années. Certes, il y avait désormais un brin d’amertume, mais le sentiment était tenace, encore présent. À l’évocation de cette fille rêveuse et sensible, il res-sentait un trouble singulier et des vestiges de passion
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remontaient en crue, derechef, en enjambant le temps. Bien que le destin l’eût arrachée à lui sans ménagement, il ne pouvait rayer de son cœur l’image de cette adolescente frêle et délicate, lui réservant toujours un pan de ses souvenirs. Elle était encore là, à peine éraflée par l’usure, douce et amoureuse. Et cette timidité à travers laquelle elle irradiait une ten-dresse permanente, toujours prête à renvoyer l’écho d’un regard, d’une caresse. Tous deux aimaient ces longues promenades à l’abri des curieux, quelques poèmes récités l’un à l’autre, le monde fait et refait dans des projets chimé-riques, la connivence des avenirs et cette litanie savoureuse des “Je t’aime”. Yara affectionnait les lettres d’amour. Elle le pres-sait de lui en écrire, comme si ces billets les eussent rapprochés davantage. Alors, il lui en offrait souvent, dans la cour de ce lycée qu’ils fréquentaient tous deux, parfois, discrètement en classe, en contournant la surveillance du professeur. Elle conservait religieusement les feuillets reçus dans un petit coffret en bois de chêne. Les missives se résumaient souvent à un mot, à une phrase : “Tu es ma lune et mon soleil”, ou encore, “Je suis à toi en entier partage”. Parfois, le texte était plus long : “À tes côtés, je voudrais que le temps se dédouble, je voudrais que le temps magique déployé par ta pré-sence se prolonge sur l’éternité. Je voudrais que le temps me contourne, qu’il m’accorde à jamais cet instant de grâce. Je voudrais que mon souffle soit le parfum que tu exhales, je voudrais que tes yeux soient mes yeux, que tes doigts dans ma main se fondent. Je voudrais te dire que tu pares ma vie d’une beauté impalpable et que je ne veux pas du temps s’il doit être sans toi.” Sami Cham se redressa, balaya du regard le pay-sage une dernière fois, agita sa main pour un au revoir et rejoignit sa voiture. Rasséréné par la pers-pective de retrouver le vieux cèdre, et peut-être
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encore l’empreinte du cœur, il entonna le refrain d’une chanson ancienne apprise dans son enfance, dans un camp de scouts. Tout au long de cette route rectiligne qui le ramenait à d’autres souvenirs, il retrouva à nouveau, dans un ressac fougueux, ses escapades libidineuses d’Imouzer, à quelques kilo-mètres de là. Avec plusieurs copains, il s’offrait périodiquement une virée érotique dans ce village chétif qui semblait éteint l’hiver. Dans sa partie basse, en contrebas de la place du marché, un dédale de grottes donnait une allure troglodyte aux quelques passants emmitouflés dans d’épaisses capes de laine râpeuse. Les hommes déambulaient sans but à tra-vers ces rues pierreuses, enjambant un rocher pour accéder à une venelle, s’immobilisant dans un coin, le temps de scruter les apparences, et de reconnaître, parmi les étrangers, ceux qui venaient pour les filles, puis, discrètement disparaissaient dans une caverne avant de donner le relais à une forme féminine qui, d’un hochement de tête et d’un petit geste de la main, invitait à pénétrer dans la grotte. Sami Cham et ses amis ressentaient invariable-ment la même confusion à proximité de ces proposi-tions. L’un étendait sa main gauche sur ses sourcils pour se camoufler le regard, l’autre baissait la tête pour éviter de répondre aux invitations, le troisième marchait de biais pour ne livrer de lui-même que le profil. Les prix étaient connus, trop élevés pour la bourse d’adolescents boutonneux, mais le marchan-dage était de mise. Les filles y adhéraient ou le reje-taient en fonction des saisons et peut-être aussi de l’allure des visiteurs. Les rencontres duraient une dizaine de minutes, se prolongeaient parfois d’une courte demi-heure autour d’un verre de thé, contre un supplément. C’est dans ce lupanar caverneux que Sami Cham reçut sa première leçon sexuelle, à l’âge de quinze ans. Sans même avoir distingué les traits de la fille qui l’appelait, il s’était engouffré dans une ouverture,
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aussitôt refermée par une lourde porte métallique. L’intérieur était faiblement éclairé. L’absence de fenêtre interdisait toute incursion. Une lampe à pétrole brûlait d’un côté, un brasero se consumait de l’autre. Pour tout mobilier, deux lits en équerre, un guéridon au milieu, une épaisse couverture en guise de tapis. Il s’habitua rapidement à la pénombre et put enfin discerner le visage de sa partenaire. Elle avait le même âge que lui ou un peu moins, un nez aplati, presque invisible dans ce minois arrondi où per-çaient, telles des émeraudes, de grands yeux verts. Elle n’avait pas dénoué le foulard protégeant ses cheveux. Pas un mot n’avait encore été prononcé. Répondant au regard timide et attendri de son visi-teur, elle esquissa un sourire, porta ses mains à sa nuque et retira son fichu. De longues mèches noires coulèrent sur ses épaules, accompagnant le retour de ses bras. Engoncé dans une gêne grandissante, Sami Cham effleurait à peine des yeux les gestes de la jeune fille, fixant son regard sur un pan de mur blanchi à la chaux. Il par-vint toutefois à articuler une phrase : “Comment t’appelles-tu ?” Elle demeura muette quelques secondes essayant de deviner le sens d’une question dans une langue qu'elle ne parlait pas. Puis, se rappe-lant la sonorité des mots, elle répondit : “Ito”. Ce fut le premier échange verbal entre elle et lui pendant cette rencontre fugace des deux sexes sur ce lit froid, sous cette couverture rêche, dans cette pénombre involontaire, au milieu de cette odeur de moisi, à la veille de cet hiver sec, dans cet univers dépouillé livré à la fréquence imprévisible des voyageurs et des citadins en quête de sexe bon marché. Elle ne s’était pas déshabillée, avait seulement retiré son pantalon bouffant, remonté sa longue jupe au niveau des hanches, conservé ses chaussettes. Quand elle agitait les mains, ses bracelets d’or cli-quetaient. Elle était fière de sa parure. Elle s’allon-gea, tendit les deux mains, puis prononça une phrase
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