L Œuf du serpent
114 pages
Français

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Description

Exilé des jardins sans fleurs du vivimancien, Sarisse, une âme plus qu'un homme, part à la recherche du général Burrows, être implacable admiré de ses soldats sudistes... Dans un autre univers, une tisserande argentine, bercée par des rêves de glace, croise le chemin de monsieur Pradesh, un étrange mage indien... Autre époque, dans un coin de l'Argentine épargné par la fin du monde, des hommes survivant sous terre inventent une nouvelle cosmogonie et évoluent sous l'œil vigilant d'un riche propriétaire terrien, épaulé par sa terrible milice : los Colorados...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 juillet 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342008821
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'Œuf du serpent
Roxane Athanassoff
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
L'Œuf du serpent
 
 
 
À ma mère rayonnante, c’est elle les rêves qui me hantent.
 
 
 
 
 
 
 
« Il y a mille hommes comme ça : faibles, puants, creusant la terre pour s’y terrer, plutôt que de la modeler à leurs désirs. Il y a d’autres hommes qui ne se cachent pas et deviennent fous quand leur canon désigne leur frère. Il y en a qui cherchent un père sous le costume galonné d’un général, d’autres qui trouvent la misère supportable aux côtés de leurs semblables et partent la fleur au fusil.
Il y a mille hommes qui laissent une femme pleurer en silence et des enfants qui jouent bruyamment entre les brins d’herbe desséchés qui parsèment la terre battue ou le sable d’un village désolé.
 
Il y a un marcheur entre les fils tissés de cette guerre, qui ne saurait se fondre avec l’une ou l’autre des belliqueuses présences. Sa simple robe noire dessine à son cou toujours droit et tendu un col pastoral, initialement blanc, que la poussière et l’horreur ont sali de leurs bassesses. Huit grains manquent au chapelet qui entaille son poignet droit avec le temps mais quelques nœuds solides les ont remplacés.
Ses cheveux noirs attirent les monstres dans sa tête lors de ces nuits d’encre et de givre qu’il connaît par leur nom.
Un serpent le suit toujours où qu’il aille, s’enroule à ses chevilles quand il se repose et ne craint jamais le froid qui glisse sur ses écailles.
 
Aucun âge ne se dessine sur les traits du visage, parfois doux, parfois assassin, de l’homme que l’on appelle Sarisse. Nul ne connaît son origine et personne n’a jamais vu, sinon le serpent, le contenu de son sac en cuir qui laisse toujours une lourde trace sur son épaule.
 
Une seule certitude a pénétré ceux qui croisèrent un jour son chemin : c’était le général Burrows qu’il cherchait à travers la poussière et la brume. »
 
 
 
« J’enverrai dans l’arène de ce monde celui qui n’aura pas de père ni de mère. Il saura trouver le chemin de ta douleur, et je m’endormirai enfin, avec cet enfant que tu ne voulais pas. »
Rituel de Maya
 
 
Loin derrière l’école, le général restait debout. Sa barbe grisonnante reflétait un nuage dévorant qui dévalait une à une les heures jusqu’à la tombée de la nuit.
 
Au saloon d’en face, quelques cris d’allégresse tonnaient entre les notes faiblardes d’un piano fatigué et le tintement des verres plein d’oublis et d’espoirs, perdus ou retrouvés.
John contemplait le balancement des rires entre les murs, en distinguait les échos qui valdinguaient d’une bouche à une autre. Ils n’avaient plus la force des premiers jours, quand tous ces pauvres fous n’étaient que de simples volontaires caressant le rêve de devenir un homme ou de garder de noirs esclaves pour les servir.
 
Perdu au milieu de nulle part, dans le wagon solitaire de sa pensée rouillée par le présent et le défunt passé, John ignora les cuisses roses qu’une petite brune souriante lui dévoilait avec acharnement.
 
Douglas le cogna à l’épaule et John eut l’étrange et violente sensation qu’on le poignardait en plein sommeil. Il se réprimanda intérieurement de n’être pas sans cesse en état d’alerte comme l’exigeait l’art d’être soldat… Mais tout ce qui lui arrivait ces derniers temps luttait pour qu’il y pense sans cesse, alors même qu’il ne le souhaitait pas… surtout alors qu’il ne le souhaitait pas.
 
Il rendit à la brune son joli sourire et quitta le saloon, laissant derrière lui un amas de chair ruisselante, lascive, alcoolisée, vivante.
 
Il traversa le village sous les yeux de jeunes filles à leur balcon qui admiraient l’uniforme plus encore que le porteur. De vagues acclamations fusèrent à droite et à gauche et quelques ignorants le supplièrent avec avidité de vendre au prix le plus bas les maigres trésors volés aux vaincus.
Il n’eut guère besoin de répondre, d’autres s’acquittèrent de cette tâche. On savait que le général Burrows tenait la victoire comme unique récompense, qu’un champ de bataille ne sentait pas l’or, les montres ou les cigarettes mais qu’il sentait la survie, la revanche sur une entité diabolique qui rend l’existence si fragile et qu’on renforce à chaque coup de fusil.
Bien sûr, on savait aussi que des hommes sans foi suivaient de près le régiment du général Burrows, attendant patiemment qu’il eût fait place nette et levé le camp, avant de se jeter sur les pauvres cadavres encore chauds…
 
Les habitants étaient donc raisonnablement mitigés à la venue du général. C’était un honneur, une grande fierté de le recevoir, et la fascination qu’il exerçait sur ses hommes ne se limitait aucunement à ceux-là. Il comblait ses pertes sans difficultés grâce aux nouveaux volontaires qui se présentaient à lui dans chaque ville.
Mais celles-ci étaient sûres d’abriter des hors-la-loi pendant les jours à venir, et parfois leur cruauté débordait jusque dans les rues, souillées par leur imaginaire macabre.
 
John dépassa le barbier, puis l’église, et s’arrêta enfin devant l’école. Une ombre fila comme le vent à travers le peu de souvenirs qu’il avait gardé de sa ville natale, abandonnée huit mois auparavant, un peu après la sécession de la Louisiane.
Mary avec ses grands yeux bleus et son amour immodéré pour Sé, le petit voleur de maïs aussi noir que les arbres qui le cachaient… Mary la maîtresse, entourée de livres aux dorures moins éclatantes que ses cheveux qui brillaient à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.
Mary qui ne pleurait jamais. Mary qui ne le saluait que s’il se plantait devant elle. Mary qui s’était retenue de « l’égorger comme le porc qu’il était » à son départ chez les unionistes.
 
John n’était pas amer ni même triste en revoyant les traits si fins du visage de Mary se durcir au gré de ses souvenirs. Avec toute l’intelligence dont elle se vantait et qui l’autorisait à le regarder de si haut – quand elle daignait seulement le regarder – John savait bien qu’elle ne pourrait jamais comprendre ce qu’il faisait là… et pourquoi il souhaitait y rester. Comment pourrait-elle un jour appréhender la fierté qui l’habitait depuis qu’il servait sous les ordres du général Burrows ?
 
Alors même que la question s’effaçait dans la poussière, sous les pas du jeune sudiste autour de l’école, ce dernier s’arrêta. Ses yeux cendrés se figèrent sur la silhouette immobile qui, dos à lui quelques mètres plus loin, semblait se recueillir face à l’horizon, déplorant peut-être de l’atteindre aisément à chaque fois.
 
« Je me souviens de cette ville. J’étais toute petite… Ce n’est pas là que tu nous as achetées, ma mère et moi ? »
Selmon Burrows se rappelait avec une précision extraordinaire l’événement. La ville n’était pas aussi grande à l’époque et il était rare qu’on se sépare de ses esclaves alors qu’il restait tant à faire…
Il avait échangé un cheval robuste et docile contre la triste Maya et sa petite Jeline. Celle-ci se tenait face à lui à présent. Un dernier rayon de soleil creusait avec bravoure la grisaille funeste et ambrait tendrement sa peau de satin.
Depuis le tout début, il n’avait jamais cédé à la superbe idiotie d’une réponse quelconque alors même que ces êtres qui l’entouraient en permanence ne possédaient rien pour l’entendre. Ils n’étaient que vent, fatigue et passé, spectres trop lâches pour quitter leur misérable enveloppe, trop stupides pour trouver la lumière après leur mort ou peut-être trop mauvais pour mériter de l’atteindre.
 
Maya apparut, enceinte, égale à la dernière image d’elle-même qu’elle offrit au monde mortel huit ans auparavant. Elle était assise dans un cercle de craie dessiné sur la terre rouge qui s’embrasait violemment, meurtrie par un soleil dont les flammes avides accrochaient chaque fêlure… de l’âme et du décor.
 
John et ses cheveux roux brûlèrent avec la journée achevée. Ses doigts s’écorchaient sur la pierre chaude du mur, nerveux sous l’attente de la chose à faire. Ses idées se cognaient les unes contre les autres, telles des aveugles éméchées : il rattrapait celles qui tombaient, puis en aidait une autre, avant de ramasser encore celle qui l’avait préoccupé l’instant d’avant… Le temps filait sans qu’il ait fait quoi que ce soit. Le général était toujours debout, ses bottes battaient une pulsion fantastique sous d’innombrables coups de talons. Sa stature restait droite, majestueuse, et John imagina que, s’il y avait effectivement un dieu en haut, il ne devait regarder que cet homme.
 
Maya murmura quelques mots indécis dans ses mains chaudes et le vent porta son souffle jusqu’au général. « Un homme te cherche. » Selmon s’approcha du mirage qui offrit soudain sa nudité dorée à ses yeux de braise et d’acier.
Le long de la gorge descendaient deux lignes noires et rouges, fleuves mortuaires se jetant dans l’abysse du nombril nourricier et l’abreuvant de sang. Il en admira l’ondulation sur le corps paisible quelques instants avant d’entendre un second souffle derrière lui qui ne le surprit nullement. Un nouveau spectre déposa au creux de sa pensée ces quelques mots :
« Tu regardes l’Orénoque et l’Amazone. »
 
Les trois corps se dissipèrent dans le néant bleuté de la nuit. Le soleil, avalé par la gueule rocheuse de l’Ouest, tirait une ultime flèche à travers de pauvres nuages qui saignaient orange et jetaient une dernière lumière sur deux longues lézardes dans le sol.
 
 
 
« Le général méprise les victoires faciles : s’il se bat contre un manchot, il se coupera une jambe. »
Les mémoires d’Eliah
 

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