L’Observeur de mer
274 pages
Français

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L’Observeur de mer , livre ebook

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Description

« Et si elle avait connu la suite, elle serait restée passer une nuit supplémentaire avec lui, comme il le lui avait demandé. Ces trois jours à Rabat seraient en effet les seuls qu’ils vivraient sans contrainte, ensemble tous les deux, sans savoir même qu’ils allaient tant s’aimer, tant en souffrir et, en ce qui concernait Anne, bouleverser totalement sa vie et la plonger dans une solitude personnelle qu’il faudrait cacher et surmonter sans cesse. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 février 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342000467
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’Observeur de mer
Marianot
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
L’Observeur de mer
 
 
 
« La matière de nos livres, la substance de nos phrases doit être immatérielle, non pas prise telle quelle dans la réalité, mais nos phrases elles-mêmes et les épisodes aussi doivent être faits de la substance transparente de nos minutes les meilleures où nous sommes hors de la réalité et du présent. C’est de ces gouttes de lumière qu’est fait le style et la fable d’un livre. »
Marcel Proust
 
 
 
 
Chapitre 1. Anne
 
 
 
« L’amour, même en dehors du mariage, est toujours moral un mariage sans amour est toujours immoral. »
Ellen Kay
 
 
Anne Richard-Gilbreth sortit dans son jardin. La vieille porte tourna en grinçant sur ses gongs rouillés. Elle s’arrêta un instant pour respirer l’air frais et profiter des odeurs matinales qu’une pluie récente avait exacerbées ; elle huma le parfum des forêts de conifères, des champs et des pâturages, des herbes et des fleurs. Son regard distrait suivit les pas d’un chat sur la clôture en pierre, puis la silhouette des cyprès, dont le vert plus foncé tranchait avec le fond du ciel clair et s’arrêta sur le pommier sauvage qui avait fleuri pendant la nuit. Il semblait porter une couronne de fleurs blanches que les gouttes de pluie faisaient briller au soleil.
Si les cyprès avaient l’air de vieillards qui s’éloignaient vers les coins taciturnes de la nuit, cette jeune mariée étrange s’élevait vers le jour lumineux en montrant au créateur toute la beauté éphémère de son âme.
 
La ville se réveillait doucement et ses bruits habituels donnaient la calme certitude que la journée serait comme les autres. Anne sentit couler le long de son cou un filet d’eau venant de ses cheveux mouillés, enroulés dans sa serviette de bain, et l’inquiétude qui l’avait fait sortir dans le jardin tôt ce matin-là l’envahit à nouveau.
 
Elle avait passé une nuit agitée, seule dans son lit, partageant le chagrin de Marc dont la mère s’éteignait. Le mal dont elle souffrait s’était brusquement aggravé et généralisé. Au bout du fil, elle avait entendu la voix de Marc lui annonçant ce décès imminent, inévitable depuis quelque temps déjà, mais elle avait surtout décelé dans son timbre le désarroi et la solitude d’un adulte redevenu un instant petit garçon.
 
Anne, sans mère depuis l’âge de cinq ans, connaissait ce vide, ce manque, cette amputation affective : elle savait bien qu’on pouvait se sentir orphelin à tout âge, que ce n’était pas une faiblesse, que c’était normal ! Elle ne lui aurait pas tenu les propos conventionnels de tout son entourage : « Ta mère était âgée, c’est mieux ainsi… » Non, elle l’aurait bercé contre son sein, lui aurait embrassé les yeux pour obliger les larmes qu’il retenait à jaillir enfin et les aurait doucement léchées pour les effacer et le consoler. Voilà ce qu’elle aurait fait et il le savait bien, lui qui lui avait dit, pour se raccrocher à la vie : « Continue mon petit cœur à être douce et à me faire profiter de tes charmes, physiques et intellectuels, car la vie est trop courte. »
Ce n’était pas là le bête compliment d’un amant mais la soudaine panique d’un petit garçon qui, n’ayant pu empêcher sa mère de vieillir et de s’en aller, espérait par ce souhait stopper le temps pour lui-même et pour ceux qu’il aimait.
 
Anne n’ayant pu s’endormir, avait passé sa nuit à réfléchir : elle était très triste de l’état aggravé de cette maman et avait du mal à penser que ses enfants dussent assister à cette triste fin après l’avoir déjà tellement perdue dans la défaillance de son esprit.
 
La mort de cette mère l’affectait d’autant plus que la sienne aurait exactement le même âge si elle n’était morte si jeune !
Depuis trois ans, elle avait toujours été tentée de demander à Marc de l’amener voir sa mère en la faisant passer pour une soignante… Il lui semblait que poser les lèvres sur sa main lui donnerait l’illusion d’embrasser celle de la sienne, comme si la force de ses liens avec son amant lui donnait ce droit affectif !
Mais bien sûr, elle ne l’avait pas fait. Marc était marié et leur relation devait rester absolument secrète pour sa famille.
Anne ne connaîtrait donc jamais sa mère. Elle avait pourtant l’intime impression que cette personne avait toujours inconsciemment su que son fils avait une femme lointaine, née pour lui, et qui le comblait. Puisse-t-elle être morte en emportant cette conviction !
À l’inverse du cognitif, l’affectif n’avait pas complètement disparu de son esprit malade, ils en avaient parlé Marc et elle la dernière fois qu’ils s’étaient revus.
Ils se promenaient au bord de la mer et Marc racontait que malgré son état « végétatif », sa mère avait pleuré en apprenant l’année précédente la mort de son mari, preuve qu’elle éprouvait encore des sentiments même si elle ne pouvait les exprimer.
Comme il fallait profiter des derniers moments de cette fugitive mémoire ! Anne comprenait donc exactement ce que Marc vivait en ce moment. Elle l’avait pressenti dès qu’elle avait su que l’aide-soignante l’avait appelé ! Elle aurait même pu le raconter à l’identique avant même qu’il ne lui en eût fait part.
 
Pensant à la famille de son amant, Anne s’était souvent demandé pourquoi il avait rejeté, lorsqu’il était encore temps, cette opportunité de vivre avec elle qui était issue d’une famille si proche en tout point de la sienne : même éducation désuète voire dépassée, même enfance soumise à des règles vieillottes mais indélébiles.
Il lui avait fallu du temps pour comprendre que jeune garçon en révolte avec sa famille, Marc n’eût pas voulu les satisfaire en leur amenant une épouse qui aurait trop correspondu à leurs vœux. L’avait-il regretté quelquefois ? Même pas sans doute, Marc était trop sûr d’avoir toujours raison et d’avoir toujours fait le bon choix de vie à tous les niveaux.
Au fond d’elle-même et sans prétention aucune, Anne savait qu’elle aurait été la femme idéale pour lui. Elle espérait aujourd’hui qu’il ne paierait pas cher son entêtement.
 
Quand elle le voyait s’occupant de son infantile épouse comme s’il eût été une mère attentive, quand elle constatait qu’il avait pour elle sacrifié des ambitions personnelles auxquelles ses capacités lui donnaient accès et qu’elle l’aurait aidé de toute sa force à obtenir, quand elle le voyait porter des vêtements qu’il repassait lui-même, cuisiner, faire les courses et tout ce qui concernait la vie matérielle ; elle ne pouvait s’empêcher de penser que c’était un beau gâchis et espérait de toute son âme qu’au moins un très grand amour expliquait tout cela et que cet amour lui était rendu au centuple.
Anne n’occupait qu’une toute petite place dans la vie de Marc, mais elle savait à quel point elle aurait plu à sa mère et sa mort la touchait autant que si elle l’eût réellement connue. Elle s’appropriait toujours la mort d’une mère, comme s’il se fût agi de celle qu’elle n’avait pas eue.
 
Elle se savait ridicule d’avoir tant de mal à mûrir intérieurement, mais elle avait compris depuis longtemps que l’amputation affective subie à la mort de sa propre mère avait fait d’elle une éternelle petite fille. Elle appelait cela son « syndrome de l’abandon » et toute rupture affective l’y ramenait obligatoirement.
Alors un des souvenirs les plus tendres qu’elle avait de ses relations premières avec Marc ne concernait pas les pauvres quelques nuits d’amour que la vie leur avait si parcimonieusement octroyées, mais plutôt un geste si maternel qu’elle ne l’oublierait jamais.
 
Ils étaient ensemble chez une amie commune, sur cette terre d’Afrique, berceau de leur rencontre, et comme Anne se plaignait d’avoir mal au crâne, il s’était levé et était revenu avec un verre d’eau sucrée dans lequel il avait fait fondre un cachet d’aspirine. Il faisait tinter la cuillère sur les bords du verre et lui avait dit en le lui tendant que c’était le bruit qu’il entendait, enfant, lorsqu’étant souffrant, sa mère lui apportait un cachet dans son lit.
Ce fut alors pour elle un geste si tendrement affectueux qu’elle avait été surprise que personne autour d’eux ne s’aperçut ce jour-là de l’amour profond qui les liait déjà et pour toujours.
Plus jamais, depuis, personne ne lui avait apporté de cachet.
Anne demeurait torturée par ses propres réflexions sur l’impossibilité d’arrêter le temps, sur les milliers de kilomètres qui les séparaient Marc et elle et qu’aujourd’hui elle trouvait insupportables.
Elle était toujours tellement surprise que, vivant tous deux à une si grande distance l’un de l’autre, étant restés des années sans se voir une seule seconde, ils soient aujourd’hui tellement proches que leurs deux esprits communiquent et se correspondent aussi parfaitement que le moindre millimètre carré de leur peau quand ils faisaient l’amour dans un même lit !
Marc, professeur, enseignait à Oxford. Anne partageait son temps entre sa maison de Saint-Bonnet-le-Château remplie de souvenirs familiaux et la maison qu’elle avait louée en Bretagne pour se rapprocher de l’Angleterre. Elle revenait aussi parfois en Provence l’été, près d’Avignon où la poussait son âme d’artiste. Elle faisait partie d’un club de peintres amateurs.
 
Malgré le rayonnement matinal du jardin, elle n’arrivait pas à faire taire en elle souvenirs et regrets. Ce pommier fleuri, portant sa couronne de mariée, était là comme un miroir soudain dans lequel elle se revoyait toute jeune mariée, certes, mais ce n’était pas Marc le marié. Elle n’avait

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