L Illustre Docteur Troffort
110 pages
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L'Illustre Docteur Troffort , livre ebook

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Description

Où il apparaît que la pureté de l'ange est discutable, qu'il n'y a pas de meilleure pédagogie que celle du noisetier, que Caïn n'est pour rien dans le meurtre d'Abel, que l'eugénisme est le stade suprême du féminisme... Après Sur le plus haut trône du monde, Au Bouddha bar et Quand s'élève l'Helvétie (parus chez Publibook), Daniel Valot nous a mijoté un nouveau recueil de petites histoires plus ou moins farfelues et généralement hilarantes.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 18 mai 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342051322
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0056€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'Illustre Docteur Troffort
Daniel Valot
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
L'Illustre Docteur Troffort
 
 
 
 
 
Épitaphe
 
 
 
Rien de si aimable qu’un homme séduisant,
mais rien de plus odieux qu’un séducteur.
Ninon de Lenclos
 
 
La scène se passe dans la vaste maison des Chartier, à Saint-Germain en Laye. Le dîner vient de s’achever. Installés dans les fauteuils du salon, un verre d’armagnac à la main, les convives papotent gentiment de sujets divers autant que variés. L’armagnac, oui, d’accord, c’est bon, mais l’alcool de poire aussi a bien des mérites. Nos gouvernants, cette semaine… Non, non, non, mon cher ami, nous avons dit : pas de politique le samedi soir. Soudain, l’un des invités, Richard Chanteclair. lance à la cantonade : « Vous avez tous connu Philippe Simon, non ? »
 
— Oui, bien sûr, répondent les messieurs, d’un ton neutre.
 
— Oh oui, répondent les dames, pâmées. Qu’est-ce qu’il nous manque !
 
Et certaines d’entre elles ont les larmes qui leur montent aux yeux. « Oui, dit la maîtresse de maison. Philippe a été longtemps un habitué de nos soirées. Et puis, il y a un peu plus de deux ans, il a été emporté par une maladie épouvantable. C’était un homme charmant. Il nous manque beaucoup. Pourquoi cette question, cher Richard ? »
 
— J’ai appris, la semaine dernière, une nouvelle étonnante à son sujet.
 
— Quelle nouvelle ? demande l’assistance.
 
— Je veux bien vous la dire, bien sûr, mais je voudrais d’abord que vous me parliez de ce Philippe Simon, puisque, de mon côté, ayant rejoint votre cercle il y a 3 ans seulement, je l’ai assez peu connu. En fait, je l’ai juste croisé une ou deux fois.
 
— Eh bien moi, je vais vous dire, déclare la gracieuse Gladys McFarlane. Vous avez dit, chè’e Madame Cha’tier, que c’était un homme cha’mant, a charming gentleman. In fact, he was more than that. Sorry : il n’était pas juste un homme cha’mant, il était surtout un gwand cha’meur.
 
— C’est tout à fait vrai, confirme une ravissante blonde, Esther Bragance. Je l’ai bien connu. Il ne pouvait pas voir une femme croiser sa route sans se mettre aussitôt à tenter de la séduire. Son but n’était pas nécessairement de « concrétiser », comme on dit, mais il adorait flatter les femmes, leur faire un brin de cour, les faire sourire, les voir s’attendrir, et enfin voir naître dans leur regard une lueur complice. Et cela commençait très tôt : moi qui vous parle, combien de fois je l’ai vu se dépenser sans compter pour plaire à des jeunes beautés de 8 ou 10 ans. À chaque fois qu’il arrivait à les faire sourire, il devenait le plus heureux des hommes.
 
— Ce devait être infernal pour son épouse ? demande un des convives.
 
— Oui, bien sûr, répond Esther. Au début, Sophie était furieuse. Et puis, elle a rapidement compris que s’il aimait faire le beau avec les dames, il n’avait pas pour autant envie de la tromper. Il était très amoureux d’elle, et tout sauf volage. Mais il ne pouvait pas s’empêcher de chercher à plaire à tous les jupons. Bien sûr, tout ce cinéma, pour cette pauvre chère Sophie, cela lui tapait sur le système.
 
La maîtresse de maison, Amandine Chartier, intervient : « Cette chère Sophie ne participe plus à nos soirées du samedi depuis qu’elle est veuve, mais nous la revoyons de loin en loin. Maintenant, Richard, dites-nous : quelle est donc cette nouvelle que vous avez apprise la semaine dernière concernant ce pauvre Philippe Simon ? »
— J’étais allé faire un tour au Père-Lachaise, pour me recueillir sur la tombe d’un vieil ami. À un croisement, j’aperçois une tombe portant le nom de ce cher Philippe, l’ex-bourreau des cœurs. Il était pourvu d’une épitaphe incroyable…
 
— Que disait cette épitaphe ? demande l’assistance.
 
— Vous ne devinerez jamais. Ce n’était pas : « A notre père chéri », ni « A mon tendre époux ». Non, c’est beaucoup plus original que cela, et tout à fait en phase avec ce que vous m’avez dit sur ce bonhomme. J’imagine que son squelette, même s’il dort maintenant à six pieds sous terre, doit frémir de joie rien qu’en y pensant…
 
— Soyez gentil, dit le maître de maison, cessez de nous faire languir. Que dit cette fameuse épitaphe ?
 
— « Bonjour Mademoiselle ».
 
 
 
La pédagogie du noisetier
 
 
 
En 1892, le paléontologue suisse Jean Christian Lexumet a découvert dans la Pampa le squelette parfaitement conservé d’un mégathérium de neuf mètres vingt.
Un an plus tard, à l’automne 1893, mourait Jules Ferry.
Bien qu’il n’y ait aucun rapport de cause à effet entre ces deux événements, nous ne saurions manquer une si belle occasion de ricaner une fois de plus sur la tombe de cette baderne colonialiste à qui nous-mêmes et nos enfants devons de voir les plus belles heures de nos jeunes existences totalement gâchées en indigestes bourrages de crâne, cependant que, de l’autre côté des fenêtres grises de l’école sombre, le papillon futile lutine la frêle papillonne dont le cri de joie fait frémir le gazon tendre où perle encore la rosée, fragile et discret témoin de la jouissance émue jaillissant des humus à l’aube printanière
Pierre Desproges
 
 
G rand, gros, gras, joufflu, mafflu, fessu, rond, rubicond, patapon, impérieux, rocheux, volumineux, martial, impérial, monumental, tel était notre bon maître, Monsieur Rotin, instituteur de son état – on n’avait pas encore mis en place l’appellation un tantinet grotesque de « professeur des écoles », instituteur, disais-je, dans notre petit coin de la banlieue est, la riante bourgade de Bonbonne sur Marne.
 
Eussions-nous eu ne serait-ce qu’un brin de culture sculpturale, nous aurions sans doute comparé notre bon maître au Balzac de Rodin. D’ailleurs, aurions-nous ajouté, pauvres petits cuistres que nous étions, de Rotin à Rodin, y’a pas loin, pas vrai ? Peut-être les plus lucides d’entre nous auraient-ils ajouté un bémol : en termes de renom littéraire, la distance entre Rotin et Balzac nous semble être du même tonneau que la distance de la Terre à la Lune… Mais les eût-on crus ?
 
Eussions-nous eu pour trois sous de connaissances théâtro-littéraires que notre très cher instituteur eût sans doute été comparé au Père Ubu, qui était doté d’une très proéminente et très impressionnante gidouille, à l’instar de M. Rotin. D’ailleurs, pour créer Ubu, Jarry ne s’était-il pas inspiré de son propre instituteur, M. Hébert, dit le Père Hébé (puis le Père Ubu) qui symbolisait pour lui « tout le grotesque du monde » ? D’accord, mais tous les instituteurs ne se valent pas. On peut dire du nôtre qu’il est grand, gros, gras, etc., etc., et même monumental, mais pas qu’il est grotesque, non ? Sur ce dernier point, nous aurions probablement eu des débats animés, tant il est vrai que les gosses peuvent avoir, sur ce genre de sujet, des opinions très tranchées.
 
Eussions-nous eu ne serait-ce qu’un simple vernis de savoir géographique qu’à nos yeux de mômes le rapprochement se fut rapidement imposé avec l’un des plus impressionnants pitons de la baie d’Along, au Vietnam. Hélas, hélas, cent fois hélas, nous n’étions qu’une petite bande de jeunes cancres de la banlieue est, pas trop futés, pas du tout savants, et notre bon maître avait toutes les peines du monde à faire entrer dans nos crânes étroits quelques rudiments de savoir
 
À défaut d’être aussi glorieux que Balzac, aussi théâtral qu’Ubu, aussi impassible que les rocs de la baie d’Along, notre bon maître avait du métier, de la persévérance et des méthodes pédagogiques bien à lui. Quand un de nous se montrait par trop paresseux ou indiscipliné, notre bon maître tonnait : « Vauthier, ta main ! ». L’infortuné Vauthier tendait sa main vers le maître, et réunissait ses 5 doigts en une corolle tendue vers le plafond. Et bing, il recevait un bon coup de règle en fer sur les 5 doigts en même temps. Remarquable économie de temps et de moyens. Mais cette sanction, bien adaptée aux délits véniels, eût été trop douce face à des forfaits de plus grande ampleur. Aussi notre bon maître avait-il une botte secrète :
— Gonzalvès, hurlait-il de sa voix de stentor.
— Oui, Missié.
— Gonzalvès, tu passes par la rue des Chênes quand tu viens à l’école ?
— Oui, Missié.
— Dans la rue des Chênes, il y a toujours de beaux noisetiers ?
— Oui, Missié.
— Demain matin, en venant à l’école, choisis le plus beau noisetier que tu verras le long du chemin.
— Oui, Missié.
— Coupe une belle branche de noisetier, bien longue et bien souple, d’accord ?
— D’accord Missié, caquetait le jeune Gonzalvès, tout ému que le maître s’adresse à lui de façon aussi amicale, et tout heureux de pouvoir lui rendre un service, même minime.
Est-il utile de préciser que la première victime de la branche de noisetier fut le brave Gonzalvès lui-même ? Épris de productivité, notre bon maître avait, dès le premier jour de classe, installé au premier rang les cancres les plus notoires. Dès lors, il pouvait leur faire le coup des doigts en corolle sans avoir ni à se déplacer, ni à les appeler. Assis à son pupitre, il faisait voltiger avec adresse sa baguette de noisetier vers les cancres du premier rang. Bing, bang, bong, un vrai bonheur ! Nous étions dans les années cinquante, à peine sortis de la misère des années de guerre et d’immédiate après-guerre. On ne badinait pas avec l’autorité. Pour beaucoup, l’école était LE tremplin qui pourrait, peut-être, permettre de sortir de la pauvreté. Et si l’instit avait des méthodes un peu rudes, nul ne lui en tenait rigueur tant

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