L’Hôpital fou, souvenirs d’interne
110 pages
Français

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Description

L’hôpital : normalement, un endroit où l’on vainc les désordres du corps, où l’on s’occupe d’autrui, où on l’assiste dans les moments critiques de son existence. Un espace à part, où l’on s’attache à repousser ces maux qui touchent l’humanité, où l’on panse les plaies, où l’on accueille les nouveau-nés. Un lieu entièrement dédié au bien-être. Pas au Gabon, pas à Libreville, où ce sanctuaire n’a d’hôpital que le nom, où le chaos est maître, où les moyens sont insuffisants, où les parturientes doivent elles-mêmes fournir les outils médicaux à leur accouchement. Où encore rien ne fonctionne correctement, où l’on meurt bien avant d’avoir vu un médecin, où les bâtiments tombent en ruines, où la veulerie de certains n’a pas de limite...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 avril 2012
Nombre de lectures 2
EAN13 9782748380262
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’Hôpital fou, souvenirs d’interne
Léandre Buboté Mackaya
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
L’Hôpital fou, souvenirs d’interne
 
 
 
À mes parents
Je t’ai pris ta précieu s e plume qu’on adorait tant (mon père). L’immense sagesse de Dinisse (maman) m’a servi d’encre, et je me suis mis tout d’un coup à écrire .
 
 
 
À tous ces patients
Ces pauvres gens qui, chaque jour, et cela depuis des années, meurent par grappes « bêtement » à l’hôpital général de Libreville .
 
 
 
À tout le personnel soignant
Médecins, internes, sages-femmes , infirmières… Ces braves gens méprisés par l’État et respectés par le seul patient. Ils se sont dit : « Advienne que pourra. À la guerre comme à la guerre. »
 
 
 
 
Détails du produit
 
 
 
Cri et témoignage pour rendre hommage à de braves gens : les soignants et leurs patients. Tous pris dans la même tempête. Chaque fait de ce récit est à considérer avec détachement. Il pose la question grave de l’accès aux soins de santé adéquats là où le bien-être de l’homme, singulièrement celui de l’homme malade, n’est pas le but poursuivi.
 
« Doc… Docteur ! Docteur ! Docteur ! Oh ! Oh ! Oh ! Docteur Ipua… Docteur Ipuapu ! Kwa kwa kwa ! » Des claquements des mains. Coudou cou coudou cou ! Le cœur bat la chamade. « Docteur Ipua… Docteur Ipuapu ! » Vrou vrou vrou ! Le vent souffle très fort.
Un orage a assombri le ciel. La pluie vient de s’abattre brusquement sur l’hôpital général de Libreville, la capitale du Gabon. La presse du monde appelait ce pays « l’Eldorado équatorial », « l’émirat équatorial », un pays potentiellement riche ou plutôt bien riche pour être précis d’à peu près un million et trois cent mille habitants très pauvres. Un pays que l’on pourrait dire inhabité, grand comme la moitié de la France.
Les gouttes violentes dessinent des lignes obliques serrées dans le vide, alors que le tonnerre gronde au-dessus des toits des malades. Les objets légers voltigent tandis que la poussière est forcée à l’épandage un peu partout. Ceux dont les chambres s’inondent souvent s’inquiètent déjà, ceux qui le peuvent se dépêchent de faire quelques petits réarrangements des affaires, tandis que ceux dont les fentes des murs s’allongent et s’élargissent chaque jour un peu davantage étouffent leur angoisse. Les gens grouillent et se précipitent dans tous les sens afin de trouver rapidement un abri.
Tarsibus Mubokianu est un fonctionnaire d’une quarantaine d’années, le visage encadré par des favoris qu’il taille avec minutie, la mine grave. Sa ceinture noire ne tient plus sa chemise colorée et fleurie, pur pagne africain ; l’hémicôté droit est complètement sorti du pantalon. Le « folling » est sens dessus dessous. Essoufflé, transpirant, il court, haletant, la boule dans la gorge… Il a aperçu à un peu plus de cent mètres le docteur Ipuapu… Bézesse Ipuapu, du service de cardiologie. C’est lui qu’il essaie d’appeler désespérément en criant son nom et en battant des mains, dans la fougue de l’angoisse, le désarroi et avec le cœur qui bat la chamade.
Sa femme va bientôt accoucher. Elle se plaint de maux de tête atroces compliquant les douleurs des contractions utérines, qui viennent juste de rompre la poche des eaux. Il vient de la laisser à la devanture de l’exigu service des urgences, ayant l’air d’un dispensaire de village, où se bouscule un monde fou obstruant l’entrée. La plupart attendent depuis déjà plusieurs heures, debout devant les barreaux d’une porte métallique qu’on ouvre et qu’on ferme en fonction des sorties et des entrées, en cette heure de fin d’après-midi d’avril, sous une pluie diluvienne – la pluie équatoriale, avec sa tempête et sa tornade, qui, chaque jour, met à mal de bien modestes habitations.
L’attente est longue. Personne ne semble entendre les gémissements de cette malheureuse qui va bientôt accoucher. C’est pour cette raison que Tarsibus Mubokianu, emporté par une peur panique, court à la recherche d’un secours. Il se lance en quête d’une connaissance, de telle sorte que sa femme puisse être prise tout de suite. Dans l’esprit du public, il faut toujours avoir une connaissance à l’hôpital pour être rapidement pris en charge ou pour bénéficier de quelque attention. Il se dirige donc naturellement vers les services de médecine où il connaît quelqu’un : le docteur Bézesse Ipuapu. Comme par hasard, c’est lui qu’il a aperçu de dos à plus de cent mètres, poussant un patient sur un chariot que la pluie accable de gouttes bien frappées. Il avance en courant, en criant son nom et en battant des mains de plus belle. Il sait que chaque minute compte.
Mais le docteur continue son chemin accidenté, forçant tantôt sur des creux, tantôt sur des bosses. Il ne peut prêter oreille, car celui qu’il pousse sous la pluie est un malade grave, couvert juste d’un drap blanc et dont la perfusion flotte au gré du vent ; la blouse du médecin oscille telle une girouette et montre sa direction. Tantôt il pousse son patient avec empressement, tantôt il s’arrête pour l’ausculter. Mais il ne peut pas entendre ses râles, engloutis dans le fracas des gouttes d’eau qui s’écrasent sur les tôles ondulantes et celui du tonnerre dans le ciel.
Sans défibrillateur et sans oxygène, il le conduit en ce moment même au service de réanimation situé à l’autre bout de l’hôpital, et auquel on ne peut accéder autrement qu’en déboulant dans la cour à ciel ouvert, en se frayant un passage entre la marmaille de gens qui circulent à toute heure et qui n’ont jamais réussi à intégrer qu’il y avait une heure précise pour la visite des patients. D’autres viennent pour les consultations ou les bilans. S’il perd du temps, le patient mourra. Il n’a pas d’autre choix que de continuer. La pluie l’a surpris au beau milieu du parcours, faisant prendre au patient, malgré lui, une douche froide qui pourrait peser sur le pronostic. De toute façon, la morgue est sur le même chemin : elle est derrière, à côté de la réa. Lui qui, depuis plus d’une demi-heure, a cherché le brancardier en vain ! C’est déjà une chance d’en avoir dans cet hôpital… Le bonhomme, qui n’a rien à cirer du travail pour lequel il a été embauché, parachuté par népotisme comme le sont des tas de gens, est au bistrot. Il est planqué dans l’un des innombrables bistrots de fortune insalubres, érigés à la vaille que vaille devant le mur avant de la barrière de l’hôpital, à proximité du grand portail d’entrée.
Il est là, en train de se taper une cuite avec, entre autres compères, des patients qui viennent aussi là, à la devanture de l’hôpital public de référence du pays, se pinter follement. Ils n’ont qu’une seule chose à faire : se saouler la gueule, dégoûtés qu’ils sont de demeurer allongés dans des lits d’hôpital en attente d’un traitement – qui ne débute pas faute de médicaments – ou d’une prise de sang – sans cesse différée faute de réactifs ou d’argent. D’autres viennent là pour manger, tout simplement car, profitant de la malbouffe de l’hôpital ou du manque de bouffe tout court, des restaurateurs véreux s’y sont installés dans des conditions terribles d’insalubrité, sur un mode caricatural de fast-food. Mais pourquoi pas, si cela dépanne tout le monde, puisque même le personnel soignant y trouve son compte ? Certains sont très facilement reconnaissables à leurs blouses, qu’ils ne prennent même plus la peine d’enlever avant de s’y rendre, la chose étant devenue tellement naturelle. Et puis de toute façon, personne n’en est choqué, pas même le directeur de l’hôpital, un personnage flou que certains appellent à son insu : « Pourvu que rien ne change ». Il est inutile de chercher les vrais responsables de ces commerces de la honte, car une telle démarche mettrait facilement la personne qui s’y engagerait nez à nez avec de hauts responsables de l’hôpital, ou peut-être du ministère de la Santé, où l’on est très friand de ces francs de la communauté francophone africaine, que l’on détourne avec volupté et avidité. L’aspect global est un repaire de parasites et de bactéries, c’est-à-dire de tout ce qui peut mettre la vie du malade en danger.
Lorsqu’il ne pleut pas, il y a le soleil, parfois frappant à 40 °C. Les patients sont ainsi mobilisés en plein air, dans des états précaires. Il arrive que certains meurent en chemin, qu’il s’agisse d’aller faire une radiographie dont le service se trouve à l’autre extrémité, ou d’aller faire une consultation spécialisée dans un autre service. C’est une grosse promenade dans l’hôpital… parfois en croisant des voitures qui entrent et qui sortent à tout moment. Il n’est pas rare de voir un brancardier charriant un patient se ranger précipitamment dans un coin pour laisser passer un véhicule qui aurait pu les renverser. De même, il est courant d’en voir causant allègrement avec une connaissance qu’ils viennent de croiser dans la cour alors qu’ils ont un patient délicat à conduire dans un service. Il n’y a pas de corridor couvert aménagé pour sécuriser ce genre d’échanges quotidiens entre services : chaque service est jeté ici ou là sans souci de connexion avec les autres.
Pourtant, c’est cet hôpital qui accueille la majorité des Gabonais et des étrangers non occidentaux qui, par manque de moyens, ne peuvent pas s’offrir le luxe d’aller ailleurs. Il n’y a pas d’ailleurs pour les pauvres, presque l’ensemble de la population. On est halluciné de savoir qu’on est à un demi-siècle des indépendances, dans un pays particulièrement doté par le ciel. Le régime politique, dont il vaut mieux

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