L homme que j aime
138 pages
Français
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Description

1 - Abscence d'ouverture des yeux1 - Pas de réponse verbale5 - Réponse motrice orientéeSi elle avait pu savoir qu'elle en serait là, elle aurait pris une autre décision. Mais est-ce certain ? Lui n'a voulu que la garder, l'aimer, et l'aimer plus encore avec cette valeur ajoutée. Il aurait fallu que leur scénario se déroule comme prévu, que la vie ait été plus conciliante, moins perverse envers eux, ne serait-ce- qu'au regard de cet amour. Les implications de leur foudroyante histoire, ils ne seront pas seuls à les endurer. Et c'est une formidable histoire, malgré tout.

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Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

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Extrait

Folakè Chantale
L’HOMME QUE J’AIME
ROMAN
Copyright © 2021 par FCaudioÉdit une marque FCbyus SAS Lomé -TOGO 1
Ce livre est à la mémoire de mes âmes de lumière qui de là-haut veillent sur moi.
Mon père et mon frère.
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Chapitre I
Ce fut un vingt-six février à six heures cinquante-deux du matin, il y a dix-sept ans. Ma mère ne souffrit pas particulièrement. La délivrance fut rapide, car je me jetai avidement dans la vie. Va savoir pourquoi… Je m’appelle Ephraïm, un prénom de garçon donné à une fille, sans la moindre mention féminine. J’aurais aimé ce précieux "e" à la fin, comme un sous-entendu que j’aurais sans relâche revendiqué parce qu’il serait important, je n’y ai pas eu droit. Ma mère n’est pas une activiste de quelque genre que ce soit. Elle n’est animée d’aucune sorte d’envie de subvertir l’ordre ou même de désir de gommer les distinctions existantes, mais elle n’a jamais su me fournir une explication sur le choix de ce prénom. Ce qu’elle m’a dit c’est qu’au moment de ma naissance, lorsque la sage-femme m’a posée contre son sein et qu’elle a compris qu’une nouvelle vie démarrait en cet instant, elle n’a eu aucune envie d’y mettre la forme. Elle était lasse. Harassée par ce qu’elle venait d’endurer, lessivée. J’aurais aimé Constance. Constance est un ravissant prénom qui laisse augurer une jolie fille. Parfois j’aperçois cette fille dans le miroir, Ephraïm et Constance se mélangent et font apparaître une intéressante Constraïm que je trouve pas mal. J’ai toujours été amusée par les regards interloqués de mes professeurs lorsqu’ils débarquent le premier jour de classe, procèdent à l’appel, parcourent la salle des yeux et découvre celle qui répond au prénom de Ephraïm. Ils doutent, se sentent un peu bêtes, dressent le sourcil devant l’évidence de ce paradoxe, puis ils capitulent et tout le monde en rigole. Ma mère n’a pas dû penser à ces incidences. Elle ne pouvait imaginer que son bébé, son petit bout de trois kilos, portant ce prénom de garçon, deviendrait au fil des ans une Ephraïm à la féminité exacerbée. Malgré tout, ce n’est pas la dissonance entre mon prénom et ma personne qui provoque cette étrange lueur dans ses yeux. Je surprends des regards fugaces, indéchiffrables, et leur acception ne m’apparaît pas puisqu’ils s’évaporent aussitôt que je tente de les saisir. Je suppose que je grandis trop vite. Que ce n’est rien, sinon l’attention d’une mère observant son enfant sur le chemin de la vie. C’est une explication comme une autre pour justifier les ambiguïtés et me décharger du poids de cette impression qui fait de ma présence à ses côtés un fait surréaliste. C’est étrange de voir l’amour, le soulagement et la frayeur entremêlés dans une même émotion et manifestés chaque jour par une même personne qui ne se rend pas compte de la difformité des sentiments qu’elle offre. Et pourtant, tout ceci à une explication. Cette situation énigmatique, qui donnait à toute notre vie commune ce je-ne-sais-quoi de pas normal à un fondement. À présent, je le sais.
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Ce que je ne sais pas, c’est si beaucoup ont eu le privilège d’entendre la mélodie de sa voix. Ce grain exceptionnel qui me fait susciter de brûlantes émotions toutes les fois que je l’écoute. Je suis émerveillée. À chaque moment où ma mère entre dans ma chambre, qu’elle entonne cette chanson, sa préférée, elle me bouleverse. Cette chanson est devenue ma chanson. « I was born by the river… » Etavec ce nonchalant couplet modifié à mon intention : i « And then I go to my daughter I said daughter help me please… » Elle me sourit quand elle finit, elle me dit : « Oui les choses changent… » Puis elle soupire et ajoute : « Toi petite, tu es toute ma vie ». La plupart du temps, je me contente de me lover dans ses bras. Elle s’approche de moi, je pose ma tête contre son épaule, je ressens sa respiration saccadée qui reprend un rythme normal, je ferme mes yeux, je demeure ainsi de longues minutes. Puis elle finit par me donner un baiser sur le front et m’exhorte à faire ce qu’elle était venue me demander. Mon requiem a souvent lieu les dimanches et nous célébrons à notre manière notre messe suivie d’une partie de crêpes. Ma chanson, notre chanson est magnifique, mais je la trouve triste. Un sentiment qui ne provient pas de moi, mais que me laisse ma mère. Cette merveilleuse femme avec sa voix vibrante et mélodieuse fait jaillir en moi ce mélange compliqué, ce sentiment dont l’origine demeure floue.
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 À mes seize ans – juste une semaine après –, ma mère me fit un cadeau encore plus étrange que mon prénom. « Ce que je m’apprête à te dire, je te le dois, parce qu’à seize ans, tu dois pouvoir le gérer. » Sa tonalité me provoqua des frissons. Mes poils se hérissèrent au point où elle dut me frictionner pour me transmettre un peu de sa chaleur, car elle était brûlante. C’était un beau matin de mars et le soleil avait décidé de gratifier le ciel de son plus bel éclat. À mon réveil ce matin-là, je m’étais dit qu’une belle journée s’annonçait. J’étais confiante, épanouie, j’étais d’humeur allègre. « Ma chérie, je te connais, je sais que tu vas bondir dès mes premiers mots, mais il faudra que tu me laisses poursuivre… Que tu m’écoutes jusqu’à la fin. » La demande était si claire que je n’avais plus bougé. Mon souffle s’était pendillé au son de sa voix et je m’étais accrochée à ses yeux avec une ardeur et une attention soutenues. Mon esprit commençait à surchauffer alors que je n’avais encore rien entendu. Ce matin-là dans ma chambre, en ce lieu immaculé de toutes mes innocences, des propos abscons ont jailli de la bouche de ma mère. Étranges et surprenants. C’était la bouche de ma mère, non pas celle d’une démone aux intentions suspectes. Je ne reconnaissais pas cette nouvelle lueur dans ses yeux, mais je connaissais cette femme. Ce qu’elle disait n’avait pas de sens, pourtant c’était elle qui le disait et sans le moindre doute, j’ai su que c’était la vérité. Il y a souvent dans ces circonstances, cette étrange illumination dans le regard. Une clarté invraisemblable, mais qui rend le propos si authentique qu’on ne peut soupçonner la moindre supercherie. Cette lumière était là. Et dans ma tête, je me suis dit merde, si tout ça est vrai, puisque tout ça est vrai, ma vie n’a aucun sens. Mon avenir est couru d’avance.
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 Chapitre II Enfin ! Au milieu du vaste vestibule qui sert de salle d’audience pour les prestations, dans une angoisse insoutenable, les quarante candidats sont regroupés. La sélection débute dans trente-cinq minutes, mais tous sont arrivés à l’avance. Folakè est enfermée dans l’anonymat de cette communauté. Elle sait à ce stade qu’ils sont tous dans un pareil apeurement, au même niveau de stress. Cette boule au ventre qu’elle ressent, elle doit la transformer en énergie positive au bon moment. Alors, elle se conditionne pour ne pas se laisser envahir, s’affranchir de la peur et s’apprêter à briller. Mais elle se sent nauséeuse et son cerveau ne cesse de lui envoyer des signaux contradictoires. Fuir, rester, pleurer, rire, vomir, respirer. Il faut tout contenir pour se libérer sur scène. Cela fait si longtemps qu’elle se prépare pour ce concours. Un moment exceptionnel qui justifie tous ses choix et qui va légitimer son vécu. C’est un rêve de se trouver en ce lieu, à deux mètres de cette scène sur laquelle elle montera lorsqu’elle entendra son nom, pour enfin démontrer toutes ses prétentions. Elle en a le potentiel, pourvu qu’elle maîtrise ses émotions. Elle se concentre, respire, se motive. Depuis que l’audition a débuté, elle a sorti de son sac le volumineux casque qui lui engloutit les oreilles et l’isole du monde. Elle a investi dans cet objet, non seulement parce qu’elle ne vit que par la musique, mais ce casque parvient aussi avec une extrême efficacité à l’extraire de tout. Il l’enferme, l’enveloppe dans un cocon bien à elle, il la berce de rythmes, de mélodies. Avec lui, elle se maintient, elle devient inaccessible, forte. ii Dans ses écouteurs, c’est.« Le Carnaval Des Animaux » La cadence du jeune artiste entraîne Folakè loin des autres participants, loin de leurs prestations. Ne rien entendre pour demeurer concentrée dans cette salle où tout le monde mérite sa place et où la compétition s’annonce rude. Assise sur le banc en retrait, elle observe, elle décrypte l’excellence des uns, l’échec des autres, car le carnaval des animaux n’empiète pas sur le bal musical qui se joue. Les douze candidats qui passent devant elle semblent satisfaits de leurs prestations. La treizième sur la fiche c’est elle. Elle dépose son casque sur le siège et elle s’élance. Tout se joue à cet instant précis. C’est son moment, celui qui déterminera le commencement du reste de sa vie. Elle trouve sa place au milieu de la scène, sans hâte, sans précipitation. Elle baisse le micro de quelques centimètres pour qu’il soit à sa hauteur, prend une grande inspiration en balayant du regard les juges. Ils sont sept, elle les avait déjà comptés. Ils sont alignés sur la troisième rangée devant la scène, groupés, concentrés et attentifs.
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Elle capte le bon rythme pour respirer, s’apaiser et offrir son âme aux examinateurs. Elle ferme les yeux. La première note est forte et vibrante. Folakè la propulse à l’exacte façon dont elle le désire. Elle aime ce son qui se répercute à son oreille, elle aime cette situation ; elle sourit et se jette à corps perdu dans sa prestation. Cette chanson, elle l’a répétée des centaines de fois. Elle l’a analysée, l’a apprivoisée, elle se l’est appropriée. Aujourd’hui, elle la chante comme si elle l’avait écrite, cette chanson c’est son âme, c’est son corps, ses envies, ses peurs, c’est elle. Elle sent tous les regards braqués sur elle. Elle les devine décortiquant ses notes, ses moindres oscillations, à l’affût de l’inconséquente erreur. Mais elle vibre et sa voix l’accompagne à travers toutes les courbes, sillonnant chaque tracé de sa vie. Enfin, tout prend forme.
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Merci Léo. La technique qu’elle vient d’utiliser est celle que Léo lui a conseillée. Son frère lui avait raconté la façon terrible qu’il avait de gérer le trac avant chaque examen crucial, lorsqu’il s’asseyait devant sa feuille blanche, les mains moites, les intestins en ébullition, le cœur battant à folle allure. Le seul moyen qu’il trouvait pour désamorcer la crise de panique était de fermer les yeux. Il plongeait dans le noir et avait la sensation qu’un nuage descendait, le nimbait et remettait tout en place. Aussitôt que Folakè a senti l’angoisse lui nouer l’estomac et se répandre dans ses jambes, elle a utilisé l’astuce de son frère et s’est laissée emporter par le tourbillon de ses émotions. Lorsqu’enfin ses yeux s’ouvrent, la peur laisse place à une assurance toute puissante, la certitude qu’elle est capable de faire face aux juges et révéler son potentiel. C’est ainsi qu’elle s’approprie les regards du jury pour les détourner à son avantage. Elle les embarque pour les faire s’envoler dans son monde de douceur, avec émerveillement. Elle aperçoit des sourires, des yeux perçants et observateurs. Elle décèle des silhouettes qui se détendent et se calent dans leurs fauteuils. Elle obtient leur attention, transmet son émotion, offre toute sa sensibilité, à fleur de peau. Au moment où elle révèle la dernière note, elle est à bout de souffle. Elle délasse ses mains du micro et recule d’un pas. Elle ne sait pas s’il est approprié de faire une révérence, de remercier, ou s’il faut quitter la scène sans rien ajouter. Le doute à nouveau disséminé dans son esprit, elle opte pour un geste de la tête en guise de salutation et repart vers le fauteuil qu’elle occupait avant sa prestation. Elle repositionne son casque par automatisme, puis relance la musique. Les résultats de cette audition ne seront disponibles que dans quelques jours, et en quittant la salle, Folakè s’encourage à ne plus y penser. Sur le court trajet qui la mène de la salle vers les toilettes, alors qu’elle descend les escaliers, elle manque une marche, et faillit tomber. Elle se cramponne de justesse à la rambarde, se redresse rapidement et tente de recouvrer sa contenance. La chute évitée, elle s’efforce de quitter son univers parallèle pour reprendre pied. La musique est sa bulle, sa béquille, son socle. C’est au cœur de cet antre qu’elle est chez elle, en possession de tous ses moyens. Si elle se hasarde au dehors de ses frontières, il peut lui arriver n’importe quoi. Pour elle, le quotidien ordinaire est un espace régi par d’autres lois, sous l’égide de sens et d’occurrences qui échappent à son corps physique et que son cerveau musicalisé ne contrôle pas. Sans les notes, les mélodies, les accords, les voix, elle perd tout maintien, elle trébuche sans le moindre besoin d’obstacle, vacille, s’égare, se confond dans la dissonance entre son corps et son esprit. Or, portée par la musique,
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