L homme à l étui
406 pages
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L'homme à l'étui , livre ebook

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Description

Anton Tchekhov (1860-1904)



"Dans la grange de l’ancien du village(1) de Mironôssitskoé, tout au bout du pays, deux chasseurs attardés s’installèrent pour la nuit. C’était le vétérinaire Ivane Ivânytch et le professeur de lycée, Boûrkine.


Ivane Ivânytch avait un nom de famille assez étrange : Tchîmcha-Guimalâïski, mais, comme ce double nom ne lui allait guère(2), on l’appelait simplement dans tout le district par son prénom et son patronyme.


Ivane Ivânytch demeurait dans un haras, près de la ville, et était venu à la chasse pour prendre l’air. Le professeur passait tous les étés chez le comte P... et se trouvait dans le pays comme chez lui.


Les chasseurs ne dormaient pas ; Ivane Ivânytch, grand vieillard maigre, à longues moustaches, fumait sa pipe près de la porte de la grange, éclairé par la lune, et Boûrkine, étendu en dedans, sur le foin, était invisible dans l’ombre.


Les deux hommes avaient raconté diverses histoires. Entre autres, ils avaient dit que la femme de l’Ancien, Mâvra, personne vigoureuse et pas sotte, n’était jamais sortie de son village natal et n’avait jamais vu ni la ville, ni le chemin de fer. Ces dix dernières années, elle restait tout le jour assise sur le four et ne sortait de sa maison que la nuit."



Recueil de 36 nouvelles.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782384420186
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'homme à l'étui

et autres nouvelles


Anton Tchekhov

Traduit du russe par Denis Roche


Janvier 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-018-6
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1016
L’homme à l’étui
Dans la grange de l’ancien du village (1) de Mironôssitskoé, tout au bout du pays, deux chasseurs attardés s’installèrent pour la nuit. C’était le vétérinaire Ivane Ivânytch et le professeur de lycée, Boûrkine.
Ivane Ivânytch avait un nom de famille assez étrange : Tchîmcha-Guimalâïski, mais, comme ce double nom ne lui allait guère (2) , on l’appelait simplement dans tout le district par son prénom et son patronyme.
Ivane Ivânytch demeurait dans un haras, près de la ville, et était venu à la chasse pour prendre l’air. Le professeur passait tous les étés chez le comte P... et se trouvait dans le pays comme chez lui.
Les chasseurs ne dormaient pas ; Ivane Ivânytch, grand vieillard maigre, à longues moustaches, fumait sa pipe près de la porte de la grange, éclairé par la lune, et Boûrkine, étendu en dedans, sur le foin, était invisible dans l’ombre.
Les deux hommes avaient raconté diverses histoires. Entre autres, ils avaient dit que la femme de l’Ancien, Mâvra, personne vigoureuse et pas sotte, n’était jamais sortie de son village natal et n’avait jamais vu ni la ville, ni le chemin de fer. Ces dix dernières années, elle restait tout le jour assise sur le four et ne sortait de sa maison que la nuit.
– Qu’y a-t-il là d’étonnant ? demanda Boûrkine. Il est beaucoup de gens, solitaires par nature, qui, comme l’écrevisse, aux goûts érémitiques, ou l’escargot, tâchent de se cacher dans leur carapace... Sans aller plus loin, il y a environ deux mois mourut dans notre ville un certain Bièlikov, mon collègue, professeur de grec. Vous avez certainement entendu parler de lui. Il était remarquable en ce qu’il ne sortait jamais, même quand il faisait très beau temps, qu’avec son parapluie, ses caoutchoucs et un pardessus ouaté.
Son parapluie avait un fourreau, sa montre, un étui de peau grise, et son canif, quand il le tirait pour tailler son crayon, était aussi dans un étui. Il semblait que son visage lui-même fût dans un étui, parce qu’il le cachait sans cesse dans son col relevé.
Il portait des lunettes fumées, un gilet de laine, mettait du coton dans ses oreilles, et, quand il prenait une voiture, il faisait relever la capote. Bref, on remarquait en cet homme le désir irrésistible et constant de s’envelopper d’une carapace, de se faire pour ainsi dire un étui qui l’isolât et le protégeât des influences extérieures.
La réalité l’effrayait, l’irritait, le tenait en perpétuel émoi. Et c’est peut-être pour justifier son effroi, son dégoût du réel qu’il vantait constamment le passé et l’inexistant. Les langues anciennes, qu’il enseignait, étaient en somme pour lui comme ses caoutchoucs et son parapluie grâce à quoi il s’abritait de la vie réelle.
– Ah ! disait-il d’une voix douce, combien sonore et belle est la langue grecque !
Et, à l’appui de ce qu’il disait, fermant l’œil et levant le doigt, il prononçait : Anthropos !
Sa pensée, Bièlikov tâchait de l’abriter, elle aussi, dans un étui. Seuls étaient nets pour lui les circulaires et les articles de journaux où l’on interdisait quelque chose. Quand les circulaires défendaient aux élèves de sortir dans la rue après neuf heures du soir ou que quelque part on s’élevait contre l’amour physique, cela c’était clair, déterminé. « C’est défendu, il suffit ! » Dans la permission ou le congé, il y avait pour lui quelque chose de suspect, de vague et d’incomplet. Lorsqu’on donnait l’autorisation d’ouvrir en ville un cercle dramatique, une salle de lecture, ou une salle de thé, Bièlikov hochait la tête et disait à voix basse :
– Évidemment c’est bien ; tout cela est parfait ; mais pourvu qu’il n’arrive rien !
Les infractions de toute sorte, les écarts, les violations des règles le jetaient dans l’abattement, alors même que cela semblait ne le concerner en rien. Si l’un de ses collègues arrivait en retard à un office religieux ou si le bruit courait de quelques farces de collégiens ; si l’on rencontrait le soir, tard, une surveillante de classes avec un officier, il s’agitait beaucoup et disait toujours : « Pourvu qu’il n’arrive rien ! »
Aux réunions pédagogiques, il nous fatiguait tous par sa circonspection, ses défiances et ses conceptions proprement d’« homme à l’étui ». Si l’on disait que les lycéennes et les lycéens se conduisaient mal, faisaient beaucoup de bruit en classe : « Ah ! pourvu, s’écriait-il, que la direction n’en sache rien ! pourvu qu’il n’arrive rien !... Mais si l’on renvoyait Pétrov, l’élève de seconde, ou Iégôrov, celui de quatrième, comme ce serait bien !... »
Et que croyez-vous ? Avec ses soupirs, ses plaintes, ses lunettes fumées sur son petit visage pâle, – tout juste un petit museau de taupe, – Bièlikov nous opprimait tous ; nous cédions. On donnait une moins bonne note à Pétrov et à Iégôrov, et, au bout du compte, on les chassait...
Bièlikov avait l’étrange habitude de visiter nos demeures. Il arrivait chez l’un de nous, s’asseyait et se taisait, comme s’il observait quelque chose. Il restait assis ainsi une ou deux heures en silence, et repartait. Il appelait cela « entretenir de bonnes relations avec ses collègues ». Évidemment, venir chez nous, et y rester assis était, pour lui, pénible ; il n’y venait que parce qu’il regardait cela comme un devoir de camaraderie. Nous, ses collègues, nous le craignions. Et le proviseur le craignait aussi. Songez donc : nous étions tous des gens habitués à penser par nous-mêmes, profondément convenables, élevés d’après Tourguénièv et Chtchédrine, et, malgré cela, ce petit bonhomme, qui ne quittait jamais ni ses caoutchoucs, ni son parapluie, tint en haleine, pendant quinze ans, tout le lycée.
Le lycée, ce n’eût été rien : il y tenait toute la ville ! Nos dames n’organisaient pas de spectacles le samedi : elles craignaient qu’il ne l’apprît ; le clergé, devant lui, se gênait pour faire gras et jouer aux cartes. Sous l’influence d’un homme comme Bièlikov, on se mit, en ville, ces dix ou quinze dernières années, à avoir peur de tout. On craignait de parler haut, on craignait d’envoyer des lettres, de faire des connaissances, de lire des livres, d’aider les pauvres, d’apprendre à lire et à écrire...
Ivane Ivânytch, voulant dire quelque chose, toussota, se mit à allumer sa pipe, regarda la lune, puis il prononça, en espaçant les mots :
– Oui, des hommes réfléchis, convenables, lisant Chtchédrine, Tourguénièv, toute sorte de Buckle, et autres ; et ils se soumettaient, enduraient tout !... Voilà ce qui en était...
Bièlikov, poursuivit Boûrkine, habitait dans la même maison que moi, sur le même palier ; nos portes étaient face à face ; nous nous voyions souvent et je connaissais sa vie intime. Chez lui, c’était la même histoire : robe de chambre, calotte, persiennes, verrous, toute une kyrielle de protections, de prohibitions, de restrictions et de : « Ah ! pourvu qu’il n’arrive rien ! »
Le maigre lui faisait mal, et, faire gras, cela ne se pouvait pas ; on n’eût pas manqué de dire que Bièlikov n’observait pas les jeûnes. Alors il mangeait de la persique frite au beurre, nourriture qui n’était pas maigre, mais que l’on ne pouvait pas dire non plus être du gras. Il n’avait pas de servante, redoutant que l’on ne pensât du mal de lui. Il avait pour cuisinier un bonhomme de soixante ans, ivrogne et à moitié fou, nommé Afanâssy, qui, ayant jadis été ordonnance, savait faire un peu de cuisine. Afanâssy se tenait d’habitude près de la porte, les bras croisés, marmottant toujours la même chose en poussant un profond soupir :
– Il y en a beaucoup de ceux-là aujourd’hui !...
La chambre à coucher de Bièlikov ét

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