L Étudiant en sociologie
248 pages
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L'Étudiant en sociologie , livre ebook

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Description

« On voyait bien, lorsque le regard se portait vers la Montagne Noire, des fumées opaques et tournoyantes monter à l’assaut du Pic de Nore. (...) À un moment, un homme avait traversé la place, les bras et les mains tendus devant lui pour griffer le jour et la figure gonflée, pareille à une baudruche violette, en hurlant comme un égorgé, puis était disparu derrière le musée ; l’attroupement s’était figé, interloqué ; l’homme venait de là-bas, donnait l’impression de s’en être échappé, de souffrir, ce n’était pas un canular ! (...) C’est seulement en allant au centre-ville qu’Archipel commença à réaliser que quelque chose d’étrange, d’irrémédiable, perdurait depuis l’explosion, en tout cas quelque chose qui pourrait le concerner. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 03 avril 2015
Nombre de lectures 1
EAN13 9782332899514
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composér Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-89949-1

© Edilivre, 2015
I
Il retourna dans la maison. La fraîcheur du hall y était délicieuse, et les rais de lumière douce filtrés par les vitraux de la porte soulignèrent aussitôt le silence. Ce recueillement lui plut, et il s’arrêta un instant pour le savourer. Puis il fit quelques pas jusqu’au pied de l’escalier. Son regard se fixa au départ de la rampe, sur la grosse boule en verre à peine ambré, dont les reflets concentraient tout le décor ; il se pencha sur elle, mais n’y découvrit rien, rien de magique en tout cas ; juste quelques minuscules bulles d’air, emprisonnées là depuis des lustres, et qu’il n’avait jamais remarquées auparavant.
Levant la tête, il suivit alors des yeux la trajectoire de la rampe, ses contorsions régulières qui se resserraient en s’élevant vers les étages. Il lui sembla que, tout en haut, la lumière était plus vive, comme si la spirale de bois avait atteint l’infini du ciel. Depuis son enfance, il était resté fasciné par les rampes d’escalier ; en une sorte de vertige inverse, il se laissait hypnotiser par l’énorme vis creuse dont l’enroulement perpétuel laissait deviner les paliers d’accès à d’autres univers qu’il n’osait imaginer, afin de préserver le plaisir d’une éventuelle découverte.
La main guidée par ce fil d’Ariane, il se contentait de gravir mentalement les degrés menant aux portes successives ; à quoi ressemblaient les microcosmes qu’elles cachaient, ces portes ? Qui se dissimulait derrière elles ? Et si elles n’étaient qu’un trompe-l’œil ? A moins qu’elles ne fussent que des pièges diaboliques, ouverts sur des abysses incommensurables, ou sur le sombre vide intersidéral ? Chaque fois que son regard embrassait une telle perspective, son cœur battait un peu plus fort…
Pourtant, il la connaissait parfaitement, cette cage ; et il savait qu’à part lui, la maison était vide. Mais cette paix tamisée qui le baignait contrastait tellement avec la fournaise du dehors, il s’y sentait si léger, dans la plénitude de son isolement, que ses vieux rêves avaient resurgi, avec cette exaltation contenue que procure une longue expérience, juste épicée par la pointe de nostalgie inhérente à son âge.
Combien de temps est-il resté là, les yeux levés, une main sur la boule de verre, perdu dans l’écheveau de ses pensées ? Il se sentait incapable de le dire, et de toute façon, cela n’avait pas la moindre importance. Simplement, machinalement, il a fini par consulter sa montre : dix-sept-heures dix.
Il pensa que, vraisemblablement, il avait encore une heure de solitude devant lui, et sortant un peu de ses brumes onirique, à demi-réveillé, il se dirigea vers le salon. Les antiques chevrons du parquet de chêne gémirent sous ses pas, et il prit un malin plaisir à les torturer. Il fit ainsi le tour de la pièce, s’arrêta devant la fenêtre qui donnait sur la place, tentant d’apercevoir quelque chose à travers les fentes des persiennes fermées ; puis remonta vers l’autre fenêtre en vis-à-vis, parcourut du regard le jardin clos inondé de soleil, avant de choisir un fauteuil, et de s’y laisser choir.
Depuis son arrivée, la veille au soir, il n’avait pas eu de répit. Les retrouvailles, après toutes ces années, cette fébrilité un peu tendue, ces éclats joyeux, ces plongées intermittentes dans les souvenirs, avaient bousculé ses idées, les avaient enchevêtrées en une formidable pagaille ; et quand, fort tard, il avait rejoint sa chambre, le sommeil l’avait happé sournoisement, pour une nuit épaisse peuplée de rêves chaotiques dont il n’aurait pu préciser la teneur, au réveil.
Une obligation prévue de longue date avait contraint Martine et Jean-Jacques à s’absenter pour la fin de l’après-midi, et il n’avait pas été fâché de se retrouver seul un moment. En même temps qu’il avait renoué ces liens distendus depuis si longtemps, il avait pu mesurer sur leurs visages les effets de l’âge ; c’étaient toujours Martine et Jean-Jacques, mais si changés ! Les autres nous donnent un reflet de nous-même incomparablement plus pénétrant que le miroir de notre salle de bain ; et instantanément il s’était vu, dans tout le réalisme de son état présent. L’effet de surprise aidant, cette image l’avait troublé, plus qu’il ne l’eût voulu.
Maintenant il savait… Douillettement calé dans son fauteuil, ses pensées s’étaient remises à dériver, mais pas n’importe où ; le courant ne pouvait les entraîner que vers ELLE…
Ida, trois lettres, trois petites lettres de rien du tout… Et pourtant, elles avaient brûlé sa vie, enflammé son corps et son âme… Rien qu’à cette évocation, son cœur s’était accéléré, jusqu’aux palpitations douloureuses ! Ida ! Ses yeux pers, ses cheveux noirs, mi-longs, coupés si nettement qu’on eut dit une perruque, ses traits d’une régularité quasi-parfaite, sa peau lisse et à peine ocrée, qu’elle tenait d’un ancêtre asiatique, ses lèvres pulpeuses dont elle usait en une infinité de moues, de grimaces, de sourires, une bouche qui subjuguait, instantanément, avant même qu’un son en sortît ! Ida… Quand ça le prenait, même les yeux ouverts, il ne voyait, n’entendait plus qu’elle… Sa voix, naturellement un peu basse, et qu’elle modulait avec une virtuosité ! Une voix qui caressait, et qui, l’instant d’après, pouvait mordre cruellement, une voix qui transportait au paradis, aussi aisément qu’elle glaçait, une voix délicieuse et chaude de confidente, ou alors une voix sans réplique, qui laissait penaud, muet, désarmé… Et ses mains, les mains d’Ida, des mains magiques, qui parlaient, qui calmaient, qui guérissaient, qui… Il en frissonnait… Et ses seins… Et… lorsqu’il n’était pas seul, il devait déployer des efforts prodigieux pour la sortir de sa mémoire, pour la fuir… Son bas-ventre réagissait si vite ! Plusieurs fois, il en avait été particulièrement gêné…
Ida, neuf mois d’amour fou, de bonheur infini, sans une seconde de pause, neuf mois de plaisirs partagés jusqu’au geste le plus anodin, sans l’esquisse d’une fausse note, neuf mois d’embrasements en chaîne, neuf mois d’un inépuisable soleil, neuf mois pour accoucher… du néant !
Il avait pile trente ans ; c’était le jour de son anniversaire… Et pour une surprise, ce fut une surprise ! Dans chaque vie il faut affronter, au moins une fois, ces moments-là où le temps s’arrête, coups de frein d’une brutalité inouïe, qui vous plient en deux, l’estomac au bord des lèvres, pupilles dilatées devant ce mur incompréhensible surgi on ne sait d’où…
Retenu par un client, il était rentré plus tard que d’habitude… Quatre à quatre il avait grimpé l’escalier ; dans sa tête une seule image, un seul parfum, une seule voix : Ida ! Son anniversaire, il n’en avait cure ; détail sans importance, fioriture inutile… Il allait retrouver Ida !
La porte palière était fermée à clef. Premier indice qui ne l’avait même pas effleuré. Fébrilement il avait sorti son trousseau, et dès le paillasson franchi, il avait su… Sensation animale, inexplicable, primitive, viscérale, du vide, de l’absence ! Vingt ans après, son émotion était intacte…
Repoussant son instinct, il avait refusé la vérité ; il s’était forcé à imaginer qu’elle avait été retardée par son patron, qu’elle n’avait pas pu le prévenir… Ce sont des chose qui arrivent, non ? L’argument lui avait donné un peu d’air, assez pour ne pas rester planté dans le hall d’entrée. Il était allé d’abord dans la cuisine, – le courage a ses limites ! – ; évidemment, rien n’avait changé depuis qu’il l’avait quittée ce matin. Alors, stimulé par ces quelques pas, il était revenu dans l’entrée, et en tremblant, il avait ouvert le placard en grand. Malgré le voile qui lui obscurcissait le regard, séquelle d’une lutte intérieure à son paroxysme, il n’avait pas pu ne pas voir son propre imperméable, son manteau, ses blousons, ses vestes, et rien, rien, rien d’autre !
Juste pour faire quelque chose, à moins que ce ne fût par besoin d’aller au bout de sa souffrance, il s’était précipité dans la chambre, puis dans la salle de bain, avant de s’écrouler dans un fauteuil du salon. Combien de temps était-il resté prostré, les yeux fixes, dans ce fauteuil ? Il ne se souvenait plus que d’avoir eu froid tout à coup, un froid colossal, à claquer des dents, un froid qui lui glaçait les tripes, comme s’il se vidait de son sang. Il s’était traîné jusqu’au réfrigérateur, tel un automate, avait pris le bac à glaçons, s’était réinstallé dans le même fauteuil, muni d’un verre et d’une bouteille de Scotch. L’alcool l’avait un peu réchauffé… Il s’était mis à parler tout seul
– « Ida… Ida… Ida… Pourquoi ? Pourquoi ? »
Puis il s’était tu ; avant de s’agiter à nouveau. Si seulement il avait pu la haïr, se mettre en colère, l’injurier, casser la vaisselle… Mais c’était impossible ; il l’aimait trop Ida, Ida, Ida…
– « Tu m’assassines, Ida, pourquoi ?… Si c’est pour ton bonheur… Je veux bien, tant pis pour moi… Je veux bien crever pour toi ! »
– « Tu m’entends ? », avait-il crié, avec ce qui lui restait de force, avant de sombrer dans un profond coma éthylique.
Trois jours, il était resté cloîtré dans son appartement, pantelant, sans se raser ni se laver, englué dans une sorte de brume où, par moments, désespérément, il cherchait avec une avidité infantile à renifler, ne fût-ce qu’un souffle, une trace, un atome du parfum d’Ida, pauvre relent de son amour défunt.
II
Il était encore sous l’emprise de sa mémoire, quand Jean-Jacques et Martine sont rentrés, tout guillerets.
– « Alors Rémi, tu n’as pas trouvé le temps trop long ? »
Il protesta, énergiquement, afin de se réveiller tout à fait.
– « Penses-tu ! J’étais tellement bien installé dans ce fauteuil que j’ai failli m’endormir ! »
– « Hé là ! Pas

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