L’ENFANT ASSIÉGÉ, Le lieu de soi - Tome 1
248 pages
Français

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L’ENFANT ASSIÉGÉ, Le lieu de soi - Tome 1 , livre ebook

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Description

Né au sein d'un hameau du Maroc rural, Fadi, le narrateur, fréquente jusqu'à l'âge de douze ans l'école coranique où tout a commencé. Ses études le mènent au Canada où il s'établit. Chercheur universitaire réputé et père de famille aimant, tout va bien pour lui si ce n'est de cette épouvante qui rampe en lui et menace de tout dévaster. Fadi décide d'entamer, dans ce roman qui se poursuit dans Le chant de la huppe, une enquête qui le plonge dans les abimes d'une culture de la domination et de la soumission, infernale fabrique de l'humiliation, de la honte et de la violence. Une traversée du désert en quête de compréhension et de rémission. Autopsie poignante d'un tabou au fondement de l'ordre liturgique. Appel au secours de l'enfant assiégé en l'homme atteint dans sa dignité. Sanglot inconsolable.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9789954744543
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le lieu de soi
Tome 1

L’ENFANT ASSIÉGÉ
Roman© Editions Marsam - 2019
Collection dirigée par Rachid Chraïbi
15, avenue des Nations Unies, Agdal, Rabat
Tél. : (+212) 537 67 40 28 / Fax : (+212) 537 67 40 22
E-mail : marsamquadrichromie@yahoo.fr
Conception graphique
Quadrichromie
Impression
Impression & Editions Bouregreg - Salé - 2019
Dépôt légal : 2019MO0379
I.S.B.N. : 978-9954-744-54-3M’hammed Mellouki
Le lieu de soi
Tome 1

L’ENFANT ASSIÉGÉ
RomanDu même auteur :
• Le lieu de soi : L’enfant assiégé, Ed. Marsam, 2019
• Le lieu de soi : Le chant de la huppe,
• La femme d’Issaguen, à paraître
Couverture
Mohamed Zouzaf
Sans titre, acrylique sur cuir, 70 x 66 cm, 2018
Collections Marsam À Alexandre
À Philippe
À OuafaaSi je dis l’inconcevable,
j’élève la voix.
Si je dis la certitude,
j’accentue mon chuchotement.
Abu al-Ala al-Marri
Rets d’éternité
Parmi toutes les voix qui parlent en moi,
je reconnais parfois la mienne.
G. Tunström7
Prologue
Québec, une nuit, mars 1997
Quelques pas devant, une fenêtre laisse échapper une
lueur qui s’abîme dans l’opacité de la nuit. Il doit être tapi
quelque part, aux aguets. J’avance avec prudence. Ce sera
notre dernière confrontation. Au tournant de l’une des
tortueuses ruelles de la vieille ville de Salé, je l’aperçois
gisant par terre. Ce n’est plus Tahar, le cousin que j’ai
connu durant ma première année en cette ville, mais un
fœtus secoué de violents soubresauts. En m’apercevant,
il se ramasse, se redresse et vomit une ignominie qu’il
m’avait proférée plus de vingt ans auparavant. Je l’avais
alors rencontré par hasard à Rabat, debout, loqueteux
et sale, à un arrêt de bus, s’apprêtant à rentrer chez lui
à Salé. Je lui avais proposé de le reconduire. Au milieu
du pont Bouregreg, il bredouilla quelque chose comme
quoi il lui semblait que j’avais bien réussi ma vie.
— Tu crois ? avais-je rétorqué, désignant du regard
ma petite Renault 4 d’occasion.
À ses yeux d’analphabète dépourvu de qualifcations
professionnelles, être professeur et posséder une voiture
étaient des signes de réussite sociale par comparaison
avec le métier de crève-la-faim de détaillant d’organes
de mouton qu’il exerçait au proft de restaurants des
quartiers miteux de Rabat. C’est ce jour-là qu’il me
jeta à la fgure la souillure qui me reste gravée dans la
mémoire.
— Ch’t’ai aidé, mmec, cracha-t-il en découvrant des
dents jaunies dans ce qu’il voulait être un sourire.8 Le lieu de soi (tome 1)
Il avait suff de quatre mots jetés au hasard d’une
conversation pour ramener à la surface ce que des années
de haute lutte avaient refoulé au fond de moi. D’un coup,
tout m’était revenu. Je fus submergé par un déferlement
de fureur. Logée au creux de mes entrailles, bête immonde
en attente de sa proie, ma colère explosa. Ma perception
se brouilla. J’avais stoppé la voiture, l’avais contournée,
avais arraché la portière du côté passager et jeté l’infâme
dehors, sous les hurlements des klaxons de conducteurs
surpris par mon mouvement intempestif.
Je me sens à présent assailli par la même rage
qu’autrefois sur le pont Bouregreg, debout au coin de
cette sombre ruelle, l’amas de chair moribond à mes
pieds. Quelque chose qui ressemble à un pieu dans ma
main. Je l’enfonce dans son cœur. Il vagit et, dans un
ultime effort, marmonne d’une voix suffocante :
— S… Sss… C’est ça qu’che foulais. Fffa au diable,
mmec.
Je comprends trop tard dans quel traquenard je
suis tombé. Je me débats pour m’en libérer, mais n’y
parviens pas. Je suis transi d’angoisse. J’essaie de crier.
Un hurlement sourd s’échappe enfn de moi. Je me
réveille baignant dans ma sueur. Je me lève, me dirige,
hagard, vers la salle de bains, me passe le visage sous
l’eau froide. Je récite la Fatiha, talisman resurgissant
toujours en de semblables circonstances, et me rends
dans la chambre où dorment mes deux jeunes fls pour
voir si tout va bien, s’ils ne font pas de cauchemars.
Dehors une brume bleu pâle nimbe la lune. De
timides rayons déchirent la noirceur diaphane de la
nuit. Chassés d’un mauvais rêve, des nuages échevelés,
poussés par un souffe invisible, courent dans tous les
sens. Je m’imagine en atome solitaire sans la moindre
idée de la destination dans laquelle je suis entraîné.9L’enfant assiégé
Cela fait plus de trois heures que nous avons quitté
le sol canadien. Presque tout le monde dort à bord.
Moi, je n’y arrive pas. Je suis sur le point d’exécuter un
grand saut dans le passé. Des fashs de mon enfance se
fauflent à travers des scènes plus récentes, des visages
de personnes connues jadis se mêlent à ceux d’autres
que j’ai côtoyées ces dernières années. Tout se confond
dans ma tête, lieux, périodes, événements.
À sept heures trente du matin le 20 juillet 1997,
l’avion atterrit à l’aéroport Mohamed V de Casablanca.
Au sortir de l’aérogare, le thermomètre du tableau de
bord de la petite Peugeot louée affche 29 degrés Celsius.
À Oualidia, je fais les provisions que j’avais coutume
d’apporter à chacune de mes visites : eau minérale,
sucre, thé vert, menthe, farine, café, huile, viande, fruits,
légumes, limonades, une bonbonne de butane, savon à
main, savon à lessive, eau de javel...
À quinze heures, je prends la sortie Âzib Benicaud
sur la route Saf-Marrakech. À deux kilomètres au sud de
cette intersection s’élève, solitaire, la demeure familiale.
Mur d’enceinte de deux mètres et demi en pierres sèches
sans mortier, étable à ciel ouvert, maisonnette en terre
argileuse et paille comptant trois chambres, une cuisine,
un hammam. Les fondations remontent au grand-père
paternel. Trois générations s’y sont succédé depuis.
Seuls Oualida, ma mère, un frère marié, sa femme et
leurs cinq fllettes ainsi qu’une sœur célibataire y vivent
encore.10 Le lieu de soi (tome 1)
Fin d’après-midi du 21 juillet 1997, deuxième journée
à la campagne. Je me dirige d’un pas lourd vers l’école
coranique, tournant et retournant dans ma tête les raisons
de ce voyage pour me persuader de la nécessité de ma
démarche et supporter la contrariété que la visite de
ces lieux me cause. Salwa, ma cousine de passage à la
campagne, chemine silencieuse à mes côtés. Au seuil de
l’établissement, je stoppe net et recule si brusquement
que je manque lui écraser les pieds.
– Ça ne va pas, Fadi ? chuchote Salwa en saisissant
mon bras.
– Ce… ce… ce n’est rien, ai-je fni par articuler. Une
vision. Je t’expliquerai.
Je m’éloigne instinctivement de la porte. Je m’assois
par terre, dos au mur. Salwa reste debout, sa main sur mon
épaule. Au bout d’un moment, un souvenir m’arrache
une grimace. Je prends une profonde inspiration, secoue
énergiquement la tête et me lève. Salwa m’examine,
intriguée.
– Que s’est-il passé ? m’interroge-t-elle. Et pourquoi
souris-tu ?
– C’est que je me souviens de certaines de mes
plaisanteries de gamin, Salwa. Je fréquentais cette école
quand j’étais enfant. Au moment de franchir la porte, j’ai
été envahi par des images qui remontent à cette époque.
Ça n’a pas été facile pour les enfants que nous étions. Je
n’ai pas de mots pour te décrire le traitement humiliant
que nous faisaient subir le fkih et les élèves plus vieux,
dont plusieurs étaient adultes. Pour nous venger, nous
leur jouions de sales tours. Celui que nous appelions le
Cancre, fls de notable, homme marié et père de deux 11L’enfant assiégé
enfants, que le vice clouait encore à l’école, ne ratait
jamais l’occasion de nous faire subir d’inimaginables
affronts chaque fois que le fkih s’absentait et lui confait
le maintien de l’ordre. J’étais en quelque sorte son bouc
émissaire. Un jour, j’étais arrivé à l’école plus tôt que les
autres en apportant de chez moi une feuille de cactus que
j’avais cachée dans le coin sombre de la salle de classe.
Proftant d’une pause où tout le monde était dehors, je
l’avais glissée sous son mince tapis.
Pour être secouru, il lui avait fallu découvrir son
auguste postérieur devant le fkih les yeux sortis de leurs
orbites et les mahdra hilares. On a dû lui arracher une à
une les aiguilles profondément enfoncées dans la chair.
– Mais c’est cruel, s’écrie Salwa en s’esclaffant. Je
ne t’aurais jamais cru capable de faire ce genre de truc,
Fadi.
– Moi non plus. Mais la nécessité engendre le vice.
Le fkih, une vraie ordure, n’était pas épargné. Un jour,
il revenait du souk, l’âne transportant ses provisions
hebdomadaires. La tâche de débarrasser l’animal de sa
charge m’incombait. Cette besogne exécutée, j’avais
solidement attaché à la queue de l’animal une grande
feuille d’oponce tapissée des deux côtés d’épines
longues, dures et denses avant de lui administrer un bon
coup de bâton sur le fanc.
L’arrière-train lacéré à chaque mouvement, l’âne
fonçait sus au diable qui lui labourait la croupe, s’arrêtait
soudain, se contorsionnait en tentant d’arracher la chose
avec ses dents sans y parvenir, redémarrait, courait
dans tous les sens. Plus il s’emballait, moins il devenait
possible de l’arrêter. Il a fallu mobiliser tous les hommes
disponibles pour presque l’assommer et le dégager de
l’engin qui lui transperçait le fondement. La pauvre
bourrique retourna à l’état sauvage, personne ne pouvait 12 Le lieu de soi (tome 1)
l’approcher, au grand dam du fkih. Quant à moi, j’avais
écopé d’une double correction cette fois-là, de la part de
mon père et de celle du maître.
Nous franchissons la porte. Le fkih n’est pas visible.
L’école coranique m’apparaît plus sinistre encore que
dans le souvenir que j’en garde. Le bâtiment d’un
étage en pierre calcaire comprend une grande pièce
rectangulaire sans fenêtres meublée de nattes en doum
servant de salle de classe, et d’une piaule d’environ trois
mètres sur deux, que les élèves appellent le merghar, que
le fkih utilise comme chambre, cuisine, séjour et lieu de
fornication. Au centre de la co

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