L Art de nuire
138 pages
Français

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Description

Comment ne pas se sentir grisée par la faveur des dieux lorsque, tout à la fois séduisante, noble, cultivée, et surtout protégée de la duchesse d’Orléans, on a la chance de faire son entrée dans le monde sous le règne du « bien aimé » Louis XV ?


Mais les ennuis commencent, pour Mademoiselle de Carvoisin, aussitôt qu’elle choisit d’épouser, contre l’avis de ses tuteurs, Mr de Bombelles, rompant ainsi par amour un mariage arrangé. « Ennuis » est peu dire : le jeune couple fait alors l’objet d’une véritable mise à mort sociale, d’une machination implacable, ourdie à base de mensonges, de manipulations, de faux documents, et dont leurs propres familles tirent les ficelles.


Car l’héroïne de ce roman vrai et son mari n’ont rien des aventuriers sans scrupule et sans loi qui hantèrent la fin de l’Ancien Régime. Ils incarnent simplement une idée du bonheur qui était encore trop neuve en Europe.


Météorite temporel chu du XVIIIe siècle, ce diamant noir romanesque, dont les arêtes sont autant de lettres et de documents authentiques, peut aussi se lire comme une leçon de contre-harcèlement moral et de survie en société.


Pierre Houdion est plongé depuis vingt ans dans les archives du XVIIIème siècle. Il a publié La dernière princesse de Conti, Fortunée-Marie d’Este, 1731-1803, L’Harmattan, 2007. L’art de nuire est son premier roman.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782362800375
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

PIERRE HOUDION
L’ART DE NUIRE
ROMAN








© 2013 Éditions Thierry Marchaisse


Conception visuelle et photo de couverture : Denis Couchaux Mise en page intérieure : Anne Fragonard-Le Guen
© Victoria and Albert Museum , Londres, pour la couverture. Portrait de Margaret Woffington, par Jean-Baptiste van Loo.

Éditions Thierry Marchaisse 221 rue Diderot, 94300 Vincennes
http://www.editions-marchaisse.fr

ISBN (ePub) : 978-2-36280-037-5 ISBN (papier) : 978-2-36280-036-8




La calomnie, Monsieur ? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens près d’en être accablés. Croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde, qu’on ne fasse adopter en s’y prenant bien : et nous avons ici des gens d’une adresse !...
Beaumarchais

La haine est toujours plus clairvoyante, plus ingénieuse que l’amitié.
Choderlos de Laclos




I
T out, dans la personne de Mme d’Achy, annonçait son refus farouche de l’âge, sa volonté de paraître charmante, avec néanmoins un certain quant-à-soi de pruderie, légère concession de sa part à l’évidence de l’envol de sa première fraîcheur, mais qui la conduisait, malgré toute sa réticence, au statut cruel d’ancienne jolie femme. Elle en concevait une amertume singulière, d’autant plus inattendue de la part de quelqu’un d’aussi lucide qu’elle, ce qui ne l’en désespérait que davantage, dans ce vain combat qu’elle se livrait à elle-même et qu’elle perdait à chaque instant. Elle en était venue au point de ne plus pouvoir tolérer le moindre air de jeunesse chez les autres femmes de sa parenté et de son entourage. Et quand la malchance conjuguait ce bonheur aux traits de la beauté, cela lui devenait plus qu’intolérable : cela la rendait ivre de jalousie et de méchanceté, ce que la prudence la forçait de dissimuler aux yeux de tous, grâce à ce sourire empreint de mélancolie qu’elle avait récemment adopté, à peine démenti par l’acuité de son regard, seule mise en garde qu’elle n’avait pas encore su adoucir.
L’imminence des débuts dans le monde d’une parente proche de son mari, orpheline désormais sans autres liens familiaux que ce cousin dont le sort avait fait son tuteur et son garant, ravivait son tourment d’une étrange façon. Bien que sans trop de fortune, la demoiselle ne se trouvait point démunie d’argent, et son nom procédait d’une lignée suffisamment connue pour ne pas décourager des alliances honorables, d’autant que sa figure était mieux que passable, antidote souverain aux dots trop modestes. L’inévitable et constante proximité de cette intruse, l’obligation où elle se trouverait bientôt d’en tenir le rôle de mère encourageraient des comparaisons qui ne pourraient que lui être défavorables.
Lors de ses visites à Saint-Cyr, où la fille recevait son éducation, Mme d’Achy avait eu tout le loisir de voir grandir le danger, tout en reconnaissant des qualités en devenir, qui par plus d’un côté lui rappelaient les siennes au même âge : parfait usage des manières et du langage, maintien modeste mais assuré, et surtout, malgré les insinuations ou les francs conseils, non moins franche aversion pour la clôture et pour les vœux. Dès lors, il devint clair, au vu de cette résistance opiniâtre, qu’il serait impossible, sans scandale, d’en faire une honnête religieuse. Il fallait donc se résoudre à la perspective peu gratifiante d’un emploi de duègne pour se mettre en quête d’une union bienséante. Le devoir, surmontant le dépit, lui fit entrevoir aussi le possible avantage de trouver à cette jeune personne un époux sévère, vieux ou laid, ou les trois à la fois ; et quand il n’aurait aucune de ces trois qualités, il n’en mettrait pas moins un terme à une communauté d’habitation nécessairement fatigante ; c’était là surtout ce qu’on attendait de lui. Du reste, pourquoi attendre ? Elle n’eut pas trop de mal à persuader son mari, arguant de l’étroitesse de leur logement et de la gêne que ne manquerait pas d’apporter cette présence nouvelle, de trouver, le moment venu, un hébergement au plus près, mais en dehors de leur hôtel, manière d’éviter également que leur chère cousine s’y enlisât dans son célibat, ce qui, par parenthèse, devait aussi s’envisager.

C’est sur ce théâtre, ténuement ombré d’une gaze malveillante, que parut Mlle de Carvoisin, sortie de la Maison royale d’éducation de Saint-Cyr peu de jours après son dix-neuvième anniversaire, après y être entrée à l’âge de sept ans, sur la foi de l’indispensable certificat de pauvreté établi par son évêque, et surtout sur celle des états de service de son grand-père, François-Philippe de Carvoisin (très vif, très pétulant et avec de l’esprit : toutes qualités qui se retrouvaient en elle), jadis capitaine avec commandement de mestre de camp au régiment de Roussillon Royal Cavalerie, lors de la campagne en Flandres de 1693, et de ceux de son père, Charles-Louis, maréchal de camp en 1758. Elle gardait fort peu de souvenirs de lui, sinon celui de son absence – les guerres de Hanovre et de Prusse l’ayant retenu loin et les pensionnaires de Saint-Cyr ne franchissant jamais l’enceinte du parc – et surtout celui du jour cruel où ce presque inconnu, ce cousin au moins deux fois plus âgé qu’elle, qui se faisait appeler le marquis d’Achy, était venu lui en annoncer la mort. Quant à sa mère, morte en lui donnant le jour, à moins qu’elle ne le fût pendant sa première enfance – ce qu’on lui en avait dit était si peu certain – elle la parait des traits de la légende, en faisant selon ses humeurs une sainte de la liturgie, ou une héroïne de ces grandes tragédies lyriques dont elle solfiait jour après jour les partitions.
Elle avait perçu assez tôt chez la marquise d’Achy qui, sans trop d’assiduité, la visitait cependant régulièrement, une hostilité sourde, dont cette insistance à parler de couvent et de la grandeur des vocations l’avait bientôt totalement persuadée. Elle n’y avait jamais prêté qu’une attention distraite, la menace lui paraissant encore fort lointaine, tout occupée qu’elle était par ailleurs à détailler les soies changeantes dont sa cousine était vêtue, ses manchons de martre, ses bagues de grenats et de clinquants, et ce parfum de poudre d’iris et de bergamote dont elle s’embaumait. Aussi attendait-elle avec une impatience qui ne fut pas déçue le moment décisif de dire adieu à ses institutrices, dépositaires vigilantes de la froide grandeur de l’Ancienne Cour, pour faire la découverte de cette ville et du monde où l’on se parait de si tendres couleurs et où l’on sentait si bon.
Au jour dit, Mme d’Achy vint la chercher dans un carrosse de louage assez malpropre, dans lequel la conversation roula avec effort sur des insignifiances avant de mourir tout à fait, Mlle de Carvoisin ne pouvant quitter sa vue de la découverte qu’elle faisait des bois, des champs, des bourgs puis de la ville, où le mouvement et le tapage la frappèrent d’effroi tout d’abord, avant qu’une sorte d’agréable vertige la saisisse tout entière.
Le jour déclinait vite. En dépit de la boue omniprésente et des gueux misérables qui s’attroupaient à chaque instant autour de leur voiture pour mendier d’une voix lamentable aussitôt, et c’était souvent, que celle-ci était bloquée par un encombrement, elle n’avait d’yeux que pour les boutiques aux étals richement fournis, s’éclairant sous les auvents d’une profusion de quinquets au fur et à mesure que descendait le soir, les sveltes cavaliers enroulés dans des capes sur leurs chevaux fringants, les carrosses magnifiques, peints comme des gloires d’église, à roues couleur de flammes plus hautes que des hommes, précédés de porteurs de flambeaux, et dans lesquels des êtres irréels, à la splendeur d’archanges, poudrés, empanachés, paradaient comme dans un rêve, l’air ailleurs, un fin sourire animant parfois leurs lèvres vermillon. Le cœur battant, l’ancienne pensionnaire sentit bien que cet univers était fait pour elle, et désira fort d’y trouver bientôt la place qui lui paraissait devoir l’y attendre.
Elle ne marqua aucune surprise lorsque, descendues dans la cour d’une belle demeure à péristyle, au lieu de l’escalier d’honneur, elles empruntèrent un degré escarpé sentant fort le chat, pour accéder à l’attique, du côté des communs, où M. et Mme d’Achy louaient sept ou huit pièces pour y tenir leur rang. Ils s’entassaient là de leur mieux avec un couple de vieilles servantes pour habiller Madame, accommoder le linge, cuisiner des bouillons, récurer les pots et vider les eaux, et un petit garçon de onze à douze ans, neveu de l’une d’elles, pour ouvrir les portes, courir porter les billets et retenir les fiacres, ou alors, revêtu d’une belle livrée couleur de chamois à gros galons marron, pour emporter le grand sac de Mme d’Achy, son parapluie et son missel lorsqu’elle allait à sa promenade, de visites d’églises en parloirs de communautés.
De ce ton doucereux qu’elle lui connaissait bien, sa cousine la pria de prendre place dans le salon de compagnie, à la tapisserie assez râpée, où M. d’Achy la rejoindrait bientôt, tandis qu’elle-même, épuisée par la course, allait se mettre aussitôt dans sa chambre.
M. d’Achy ne tarda pas, se montrant courtois, sans empressement ni trop d’amitié, pour entrer sans trop de préambule non plus dans le vif du sujet : « Vous aurez compris – lui dit-il – que notre situation de fortune, la vôtre comme la mienne, ne permet aucune dépense excessive. Cependant, la Providence met à votre disposition l’héritage de votre père, dont je suis le gardien jusqu’à votre majorité. Sachez déjà qu’il n’est pas très considérable. Je vous en rendrai compte au jour convenable, et vous pouvez croire en mon attention scrupuleuse. Vous n’ignorez probablement pas que la majorité, habituellement effective à vingt-cinq ans, ne sera pas la loi pour vous, puisque notre famille

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