L Ange de Bucovine
152 pages
Français

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L'Ange de Bucovine , livre ebook

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Description

Bucovine, ce nom magique, le narrateur l’a entendu pour la première fois, inlassablement psalmodié, dans la bouche de Léon, le pilier du café de sa grand-mère, dans le village de Lorraine où il a passé son enfance. Il ne savait pas alors qu’il découvrirait ce petit pays à la fin des années soixante. Un pays qu’il visite à nouveau quarante ans plus tard. Ce récit, qui oscille entre lyrisme et réalisme et où alternent divers modes narratifs a été distingué en Allemagne par le prix de littérature « Grenzen Fliessen ».

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2011
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748374209
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0071€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L'Ange de Bucovine
Michel Louyot
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
L'Ange de Bucovine
 
 
 
 
 
 
 
Les récits d’aujourd’hui ne peuvent commencer que par la fin, Dieu nié, l’Histoire idolâtrée puis manipulée, la matière décomposée, l’homme en miettes, des pans entiers de l’humanité rayés, anéantis, des millions de petites histoires qui tournent sur elles-mêmes, mouches affolées qui se heurtent et s’écrasent sur le miroir, nous avons beau faire, nous achoppons toujours sur les mêmes pierres, mouvements répétitifs, actes compulsifs, déambulation interminable dans le champ circulaire des ruines, qu’ont-ils fait de ma maison, les ancêtres eux-mêmes, ils les ont réduits en cendre, je ne sais plus à quoi me raccorder, le calendrier est trompeur, il ne rend compte que du transitoire, je voudrais croire encore à ce qui dure, bête traquée, je remonte le temps, je cours le monde, où est le coin de terre, l’oreiller d’herbe sur lequel je pourrais enfin poser ma tête ?
 
 
 
Weithin
 
 
 
À Lætitia Z von Ritt
 
 
Weithin, gelagertes Weiss
Drüberhin, endlos,
Die Schlittenspur des Verlornen.
 
Du blanc à perte de vue
Dessus, à l’infini.
La trace de traîneau du perdu.
Paul Celan
 
 
Ce matin dans ma boîte, il y avait une enveloppe bleue. Une enveloppe que j’attendais depuis des mois. J’ai su tout de suite qu’elle provenait de là-bas. La journée a passé sans que je me sois décidé à la décacheter. J’attends depuis si longtemps que je puis encore patienter quelques heures, voire quelques jours, pour faire durer le plaisir. J’ai préféré le courrier postal aux médias électroniques pour communiquer avec les autorités de la région. Rien ne presse. La mission officieuse dont je suis chargé ne présente en effet aucun caractère d’urgence. Qui en France, qui en Europe s’intéresse à ces contrées lointaines ? L’adresse de l’expéditeur est écrite d’une main tremblante, une écriture hésitante mais délicate et raffinée. On dirait une écriture d’un autre temps, d’avant la transition, d’avant l’effondrement, d’avant la perestroïka, d’avant la stagnation, d’avant Hitler, d’avant Staline. Un miracle que cette écriture ancienne et féminine ait survécu à tant de barbarie. À le regarder de près, le tracé des lettres est encore sûr, les pleins sont appuyés, les déliés ne manquent pas de subtilité, l’écriture est assurément d’une vieille dame qui n’en finit pas de rester jeune, toute ridée, toute tassée, toute tremblotante qu’elle doit être, une très vieille dame qu’il me semble voir sourire à travers les mailles légères des lettres que je ne me sens pas le cœur à déchiffrer, non pas tout de suite, oui, attendre encore quelques heures, quelques jours, quelques semaines que le papier bleu et duveteux, à force d’être effleuré et de se froisser dans ma poche intérieure veuille bien livrer une part de son secret.
 
Je vais, je viens au gré des lacis des ruelles de la vieille ville, je longe la rivière d’un côté puis de l’autre, je m’assois sur un banc pour regarder un ragondin, je me rapproche de la cathédrale, j’entends parler polonais, une mendiante s’accroche à moi, je m’esquive par la venelle de l’Esprit, Goethe est passé par là, je le suis à la trace, nous saluons le Cardinal de Rohan, un cygne fait la révérence, une dame en blanc agite la main sur le bateau-mouche, une bande de moineaux tourbillonne au-dessus de l’Ill puis s’en va se réfugier dans un jardinet à l’abandon, je franchis les passerelles allègrement, qu’elle est douce cette fin septembre, je me retourne pour regarder un dos nu et bronzé, l’Europe, quelle Europe, jusqu’où l’Europe, en me voyant marmonner mes questions, une petite fille sourit, mes pas me portent vers les Contades, la synagogue est endormie, il n’y a personne dans le kiosque, le joueur de saxo se fait entendre plus tard en novembre, la saison n’est pas encore à la nostalgie, on voudrait encore y croire, que les vacances et l’été se prolongent, quelle langue des confins du continent parlent-ils ces deux vieux éclopés sur le banc ? Là-bas à ma droite, je le sais, habite un couple franco-allemand. S’ils voyaient ce que leur œuvre est devenue, les Pères fondateurs se retourneraient dans leur tombe, dit-elle. Et lui d’opiner du chef. À quoi rime donc cette mission exploratoire que je m’apprête à remplir ? L’Europe, quelle Europe, jusqu’où l’Europe ? Je voudrais hurler en gravissant les marches du Conseil mais le cri s’étouffe au fond de ma gorge. Besoins et ressources, atouts et faiblesses, ce que l’on me demande, c’est de constituer un dossier sérieux, c’est-à-dire chiffré. La coopération décentralisée est un mariage de raison. Chacun des impétrants se doit d’apporter dans sa corbeille une dot substantielle. Je me retire sur la pointe des pieds, mon projet est retoqué, parce que flou, ambigu, trop imprégné de sentiments. Le cœur n’a pas sa place dans les bureaux. Une fois encore les Pères fondateurs se retournent dans leurs tombes. Le but qu’ils poursuivaient était incommensurable. Ni commune, ni département, ni région, le petit pays où j’espère me rendre est à cheval sur deux Etats, il est hors et dans l’Union. Il n’y a pas de passerelle entre les bureaux. La discussion se poursuit dans les couloirs. Pays entrant, pays candidat. Coopération transfrontalière, coopération interrégionale, convention cadre, transfert d’expertise, volontariat associatif, détermination des domaines d’intervention, action extérieure des collectivités territoriales. Je souscris à toutes ces instructions, j’examine avec attention tous les cas de figure, je me garde de faire part de mes réserves. Si le souffle manque, tout cela n’est que paperasse. Comment peut-on s’unir sans se rencontrer et sans s’aimer ? Comment leur expliquer ce que je cherche, la trace d’un traîneau dans la neige, ce qui reste de l’ombre d’une main qui s’agite à la fenêtre d’un train, et l’herbe qui s’affaisse à la lisière du bois de hêtres sous le poids des corps enlacés ?
 
Quel rapport entre l’Europe et cette main frêle dont le souvenir s’estompe ? Les questions se bousculent en moi alors que je renâcle à ficeler le dossier que l’on me présente, incapable que je suis de définir l’objectif de l’opération et d’établir un budget prévisionnel. Ce n’est pas faute de m’y être employé. Les phases me sont connues, la prise de contact, la détermination des secteurs d’intervention, la recherche des partenaires et des financements, la formalisation de l’accord et son inscription dans la durée. C’est à peine si j’entends le jeune fonctionnaire me faire la leçon. J’ai la tête ailleurs, ce n’est pas à cette sorte de prospection que j’entends me livrer, délégation serait prétentieux, mission évoquerait l’époque révolue de la guerre froide, pèlerinage serait trop pompeux. Alors vadrouille, gamberge, fuite du quotidien ?
 
L’Europe est-elle encore à construire ? Vers quel horizon entend-elle se déployer ? Je marche à reculons dans le labyrinthe des corridors du Conseil, le cliquetis des drapeaux tout là-haut sur leurs hampes est incompréhensible pour le quidam que je suis. J’espère au moins qu’ils se comprennent entre eux. Non jamais de la vie je ne voudrais être un drapeau ! Flotter au vent sans jamais pouvoir s’envoler, quel supplice ! Une cigogne plane très bas au-dessus de l’avenue et en deux trois coups d’aile se retrouve sur le perron du pavillon Joséphine. C’est elle, le grand oiseau blanc, qui se joue des frontières et nous montre le chemin, elle qui survole les plaines et les montagnes, passe les mers et les rivières, elle qui accompagnait Jason, Alexandre et Napoléon, elle qui allait et venait sans relâche d’est en ouest et d’ouest en est au temps du Mur.
 
Il n’y a pas de honte à fuir quand on étouffe dans l’étroit lacis des petites haines, aucune honte de vouloir saisir la corde à laquelle se tenir pour ne pas disparaître dans le précipice, aucune honte à suivre son inclination, à retourner sur ses pas, à vagabonder au gré de ses rêves. À chaque homme se pose une question significative qu’il appartient, à lui seul, de déceler. Cette idée ne s’est pas imposée à moi tout d’un coup mais par petites touches à la manière d’un flocon de neige qui virevolte, se fond avant de s’évanouir puis d’être remplacé par un autre et un autre encore. Il ne m’importait guère de me demander d’où me venait et de qui procédait la question, tout ce qui me préoccupait, c’était de parvenir à la discerner. Je relâchais mes efforts avec l’âge, je découvrais la patience, je commençais à voir clair en moi, si loin que je remontais dans le temps, il m’apparaissait évident que mes songes ailés aspiraient à la blancheur et à la légèreté, mes désirs se tournaient vers les grands espaces enneigés, une seule saison comptait à mes yeux, l’hiver aux ailes blanches, saison intérieure qui m’habitait depuis toujours, dont je tentais souvent de m’éloigner, mais j’avais beau faire, j’errais sur des chemins qui n’étaient pas les miens, je me perdais, et l’aile à chaque fois de revenir et de me frôler avec une infinie douceur, une tendre insistance sans que je comprenne toujours où elle voulait en venir, un moment effaçant l’autre, un visage se confondant avec l’autre et je m’en allais en me répétant je ne suis pas celui que j’étais au point de me demander si je n’allais pas me fondre à mon tour et m’anéantir comme le flocon de neige.
 
Qu’avait-elle de si singulier ma démarche ? Je n’étais pas le seul à passer le Rhin, à suivre le Danube et plus loin encore. D’autres avant moi avaient accompl

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