Kuessipan (format poche)
81 pages
Français

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Kuessipan (format poche) , livre ebook

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Description

« J'aimerais que vous la connaissiez la fille au ventre rond. Celle qui élèvera seule ses enfants. Qui criera après son copain qui l'aura trompée. Qui pleurera seule dans son salon, qui changera des couches toute sa vie. Qui cherchera à travailler à l'âge de trente ans, qui finira son secondaire à trente-cinq, qui commencera à vivre trop tard, qui mourra trop tôt, complètement épuisée et insatisfaite. Bien sûr que j'ai menti, que j'ai mis un voile blanc sur ce qui est sale.»
Un récit sans concession. La justesse du ton et de la voix. La parole belle, féconde et vraie. L'extrême humilité d'une réserve amérindienne. Des vies échouées au large d'une baie. La grandeur d'un peuple oublié. La condition humaine. Et une prose lumineuse.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 19 septembre 2017
Nombre de lectures 1
EAN13 9782897125028
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

KUESSIPAN À TOI
Mise en page : Virginie Turcotte Maquette de couverture : Étienne Bienvenu Correction de l'innu-aimun : Yvette Mollen de l'Institut Tshakapesh Dépôt légal : 1 e trimestre 2011 © Éditions Mémoire d'encrier

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Fontaine, Naomi, 1987-
Kuessipan : à toi
(Roman)
ISBN 978-2-923713-85-4
I. Titre.
PS8611.O571K83 2011 C843'.6 C2011-940430-3
PS9611.O571K83 2011

Nous reconnaissons, pour nos activités d'édition, l'aide financière du gouvernement du Canada par l'entremise du Conseil des Arts du Canada et du Fonds du livre du Canada.

L'auteure tient à mentionner le soutien du Programme de mentorat de Première ovation. Elle en profite pour dire un grand merci à François Bon, Jean Désy et Laure Morali.

Mémoire d'encrier
1260, rue Bélanger, bureau 201
Montréal, Québec,
H2S 1H9
Tél. : (514) 989-1491
Téléc. : (514) 928-9217
info@memoiredencrier.com
www.memoiredencrier.com

Version ePub réalisée par:
www.Amomis.com
Naomi Fontaine
KUESSIPAN À TOI
Roman
à ma mère qui a déchiffré à Lucille pour son amitié à Marcorel, ma poésie
Nomade
J'ai inventé des vies. L'homme au tambour ne m'a jamais parlé de lui. J'ai tissé d'après ses mains usées, d'après son dos courbé. Il marmonnait une langue vieille, éloignée. J'ai prétendu tout connaître de lui. L'homme que j'ai inventé, je l'aimais. Et ces autres vies, je les ai embellies. Je voulais voir la beauté, je voulais la faire. Dénaturer les choses – je ne veux pas nommer ces choses – pour n'en voir que le tison qui brûle encore dans le cœur des premiers habitants. La fierté est un symbole, la douleur est le prix que je ne veux pas payer. Et pourtant, j'ai inventé. J'ai créé un monde faux. Une réserve reconstruite où les enfants jouent dehors, où les mères font des enfants pour les aimer, où on fait survivre la langue. J'aurais aimé que les choses soient plus faciles à dire, à conter, à mettre en page, sans rien espérer, juste être comprise. Mais qui veut lire des mots comme drogue, inceste, alcool, solitude, suicide, chèque en bois, viol ? J'ai mal et je n'ai encore rien dit. Je n'ai parlé de personne. Je n'ose pas.


Le brouillard. En voiture, le manque de visibilité oblige les conducteurs à ralentir. Parfois les clignotants des voitures sont en fonction. C'est pour s'aider, pour mieux s'orienter. La chaussée est humide. On n'ose pas de dépassement. La nuit, on voit mieux en gardant juste les basses allumées. Ça ne dure pas. Quelques minutes, une heure.
Il dit : Le brouillard du matin indique une journée ensoleillée, celui du soir, un lendemain pluvieux.
Ils ont accusé le brouillard. La brume habituelle des soirs de mai. Le vent mouillé de la mer qui fait pousser les nuages gris sur la route qui relie Uashat et Mani-utenam. Ça devait être un brouillard épais, opaque, infranchissable. Ça devait être une nuit noire, obscure, sans lune. Les voitures devaient être absentes. Il devait être seul à garder la route, à s'orienter, à enfoncer l'air trempé. Les arbres, les poteaux devaient se cacher derrière cette épaisse grisaille. La peur, le manque d'expérience, la vitesse, la témérité, l'inconscience, comme voie de sortie.
J'ai toujours eu peur de conduire quand il fait brouillard.


J'aimerais que vous la connaissiez, la fille au ventre rond. Celle qui élèvera seule ses enfants. Qui criera après son copain qui l'aura trompée. Qui pleurera seule dans son salon, qui changera des couches toute sa vie. Qui cherchera à travailler à l'âge de trente ans, qui finira son secondaire à trente-cinq, qui commencera à vivre trop tard, qui mourra trop tôt, complètement épuisée et insatisfaite.
Bien sûr que j'ai menti, que j'ai mis un voile blanc sur ce qui est sale.


Un accident de voiture. L'idée de perdre mon enfant. Les insultes face aux Innus. La mort. Les pères absents. Les coupes blanches dans le Nord. La misère de ma cousine et de ses deux enfants, mon incapacité à lui venir en aide. Les enfants maltraités. Les critiques de ma mère. Gabriel lorsqu'il ne rappelle pas. Les films trop beaux pour être vrais. L'oppression. L'injustice. La cruauté. La solitude. Les chansons d'amour. Les erreurs impardonnables. Les bébés qui ne naissent jamais.


Ou : la peau grise d'un homme trop jeune pour la boîte en bois vernis aux tracés or, aux poignées or. Ses yeux dorment et sa bouche aux lèvres fines a l'inexpressivité d'un visage éteint. Les fleurs posées sur la boîte entourent la prière transcrite sur un morceau de bois – je ne suis jamais loin...


Je déteste le visage des morts. Leurs traits sereins. Leurs yeux fermés. L'absurdité d'une peau froide maquillée de couleurs tristes, novembre lorsqu'il fait gris. Je hais les rides qu'ils n'ont plus, l'âme disparue, emportant avec elle toute l'existence d'un souffle. Je déteste les observer. La coutume me dit de les veiller. Je meurs, car ils sont laids, ces hommes au regard éteint.
Pourquoi ses yeux ne refléteront-ils jamais mon visage ? J'aimerais que sa bouche, éternellement muette, me dise que je lui ressemble.


Petites, on jouait ensemble durant les vacances d'été. Tu étais plus mince, plus blanche, plus timide que moi. Habillée d'un tee-shirt rouge trop grand pour toi, moi en chemise blanche par-dessus une camisole jaune. C'était la saison des confidences, de l'insouciance, des puériles séductions. On était trop bêtes pour croire en l'amour. Souvent, tu restais dormir chez moi. Comme une sœur.
Les étés se sont accumulés. Tu es arrivée en larmes un soir. Je me souviens. Tu as expliqué sans qu'on comprenne. J'ai pleuré sans savoir. On s'est endormies l'une à côté de l'autre, d'un sommeil sans rêves qui fait gonfler les yeux. Ta mère avait recommencé à boire.
Le lendemain, ils t'ont placée, chez une de nos tantes. Mesure d'urgence. Tu as ri cette journée-là. Rien ne paraissait de l'extérieur. J'ai prié Jésus dans ma tête, très vite, sans que tu t'en aperçoives.
Je sais que le monde est injuste.


Pourquoi. La nuit, elle dort d'un sommeil lourd qui lui enfouit le front jusque dans les dunes de son oreiller. Son visage tremble dans la noirceur de sa chambre close. Elle se raidit dès que quelqu'un hausse la voix. La peur la pourchasse dans ses cauchemars de mère. Elle pleure et personne ne la console. Elle oublie. Elle rit.
Je voudrais lui dire que je sais. Pourquoi je me tais.
Le silence. Je voudrais écrire le silence.


Un enfant le suit, le regarde attentivement. C'est à cause de sa beauté et des bagues d'argent qui ornent ses doigts, c'est ce qu'il se dit. Il fait des sourires à l'enfant, lui demande qui est son père. Il répond : Je n'ai pas de père.
Il regrette. Il aurait dû lui demander qui est sa mère.


Tout le monde sait qu'il teint ses cheveux gris. Les bagues en toc qu'il se met aux doigts lorsqu'il enfile sa veste de cuir à franges lui servent de prétexte pour rouler lentement dans la réserve. Il a le teint foncé de ceux qui ont abusé de l'alcool, de ceux qui ont travaillé sous le soleil, de ceux qui ont vieilli. Les joues, le front, les mains ridés. Il dit : J'ai tout fait, moi, dans la vie. La tirade du couturier, du débroussailleur, du pêcheur, du chasseur, du pompiste, du monteur de ligne, du bûcheron, du charpentier. Il ajoute sans-abri. Il a un rire brisé par la fumée. Lorsqu'il discute ainsi, il parle en français, cette langue qui lui glisse dans la gorge, qui fait mentir sa fausse assurance.
Il prend pension chez une de ses sœurs. Occupe la plus grande chambre au sous-sol. Pour toutes commodités, il possède une boîte pleine de DVD, une étagère où s'entassent des bouteilles de parfum, un miroir en long, un peignoir à carreaux, des bottes de cow-boy remisées, un lit parfaitement centré sur le mur et toujours fait.
Ce matin, il part sans son attirail de vieil adolescent. Il est garde forestier, employé par le Conseil de bande. Dans la cabane en bois, sur le bord de la rivière Moisie, il tient le compte des prises, contrôle les pêcheurs, ceux qui ne sont pas Innus. Trois mois d'ouvrage, pour neuf de chômage. Au bout de quelques jours, il revient chez sa sœur pour prendre une douche. Et il repart, le corps et l'esprit enfin homme.


Lettres à mon bébé. À ma mère. À ma grande sœur. À Dieu. À mon père. À Lucille. À Jean-Yves. À l'agente de l'éducation du Conseil de bande de Uashat et de Mani-utenam. Aux parents de mon ex. À mon ex. À moi-même. À ma petite sœur. Au premier ministre du Québec. À mon frère. À Gabriel. À mon grand cousin Luc. À Nicolas D. À William, mais pas le prince. À ce monde cruel. À mon peuple. Au père de M. Aux gens tristes. Aux enfants du futur.


Les routes ne se ressemblent pas. Celle qui mène vers le nord. Celle qui nous ramène à contresens. Les cahoteuses pleines de poussière, pleines de terre, avec des trous et des courbes, sur lesquelles on avance tranquillement. Les asphaltées avec des lignes qui nous amènent à l'endroit même où on veut aller, sans offrir de détour, avec les ralentissements des heures de pointe. Celles qui sont isolées, celles qui rêvent d'être empruntées, celles qui se laissent aller, trop peu fréquentées.
La route qu'il suivait, dès le début de l'automne jusqu'à la première neige, l'amenait dans sa cabane, sans détour, sinon celui que crée un porc-épic rencontré par hasard, qui force à arrêter, à le chasser. Trois heures de chaos pour l'intimité d'un lac cent fois trop beau pour le spectacle inconnu. C'était là qu'il avait sa terre.

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