Journal d un poisson clown
120 pages
Français

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Journal d'un poisson clown , livre ebook

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Description

Le narrateur, poisson clown immortel, observe depuis un aquarium parisien la progression d’auteurs d’un atelier d’écriture et s’essaie lui-même au récit de voyage, témoignages épars sur la société à l’heure de la mondialisation.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 04 mars 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414332267
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Éric Lesieur
Journal d’un poisson clown
Le Petit héâtre de l’atelier
Nouvelles
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Avant-propos
Echoué à Paris comme un navire malmené gagne le premier abri possible, je découvrais une terre inconnue peuplée d’habitants parlant une langue mystérieuse. Une terre pourtant qui m’avait vu naître, grandir, travailler, aimer. Bien que j’en connaisse encore tous les chemins et repères, je m’y sentais cette fois étranger. Peut-être parce que je ressentais ce retour comme définitif et cette fois dans une certaine solitude. Une solitude difficile à évoquer sans honte à la pensée du vécu et de la souffrance des êtres réellement et totalement seuls. Isolement serait plus approprié, de ma famille, unie, aimante mais dispersée. Isolement durable contre lequel on ne peut rien tenter sauf à se créer un autre monde à soi, égoïstement, au risque de la rupture. Depuis l’enfance pourtant, la solitude était une bonne amie, la seule même que j’autorisais à m’accompagner dans certaines aventures ou certains voyages. Mais là, j’étais un Robinson échoué sur une île d’autant plus déserte qu’elle était grouillante. Puis un jour, comme Robinson découvrit Vendredi, je
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trouvai Lunès – lundi – étourdie sur la plage à mes côtés. Comment était-elle arrivée là, je ne le sus jamais. Comme deux solitudes, nous nous reconnûmes tout de suite. La sienne était différente, intérieure, Lunès vivant même très entourée et depuis longtemps dans cette île dont elle avait parfaitement adopté la langue et les codes. Elle était dans la vie seule face à ses choix. Persuadée de devoir aussitôt les regretter. Seule dans des aspirations et une introspection qu’elle ne parvenait pas à partager, sans doute avait-elle fini par se convaincre que c’était mieux ainsi. Dans le refus de toute sorte de facilité, seul capable de donner du sens à une vie de création dans la douleur, répondant ainsi à l’obsession de laisser quelque trace utile. Elle m’apparaissait trop profonde et intelligente à la fois pour pouvoir le bonheur. Lunès, lundi, premier jour de la semaine, premier jour de création, travail conjoint et intense favorisé par notre proximité. Je l’aidais à trouver un peu de sérénité, elle éveillait en moi un appétit pour les choses de l’esprit, la littérature, l’engagement et également de la controverse, avec d’autant plus de force que nos points de désaccord étaient rares. Je me découvrais du goût et une certaine aptitude pour des secteurs de la pensée qui étaient jusqu’alors parus inaccessibles à mon esprit trop carré. Son contact m’avait même entraîné dans un exercice inimaginable, l’écriture. Deuxième jour, troisième jour… comme la genèse d’un esprit en devenir animé par un créateur invisible qui se dirait chaque soir que cela était bon et beau. Puis il y eu le septième jour et les choses se gâtèrent avec l’apparition du serpent. L’aventure redevint simplement humaine, avec ses bonheurs, ses doutes, ses douleurs.
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Un jour enfin, Lunès nagea vers le large et je ne la revis plus. Avait-elle été engloutie, repêchée par un bateau de passage, la question me tarauda longtemps tandis que je restais dans l’île avec ma solitude. Mais elle m’avait laissé de nouvelles armes, avec la force des mots que je sais désormais pouvoir former sur le sable.
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Saison I – Le Petit Théâtre de l’Atelier
Mise en scène : Narration :
La romancière L’allumé du bocal
Personnages féminins, par ordre d’entrée en scène : La chauffeuse de salle La mascotte La sociologue La rebelle La reine de la nuit L’artiste La photographe La commerçante La retardataire La voiture balai
Personnages masculins :
Le masque La plume Le bizuth
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Eclos il y a 3500 ans entre les branches d’un corail de la Mer Rouge, dès l’enfance j’ai été frappé d’immortalité. Un jour où, avec mes cousins, nous nous musclions la dorsale dans un relai nage libre entre les deux rives, j’avais pris une belle avance et tout à coup me retrouvai échoué sur le sable au fond de ce que je croyais pourtant être la mer, mon terrain de jeu depuis que je savais nager tout seul. Des hordes de sandales en fuite manquèrent de me transformer en bouillabaisse et, alors que la roue ferrée d’un char de Pharaon s’apprêtait à me lever les filets, je ne dus mon salut qu’à la main d’un grand barbu qui m’arracha aux sables et m’entraîna avec lui vers la rive. Alors, les eaux revenant, j’aurais pu tout simplement reprendre mes longueurs de bassin, mais je me retrouvais otage d’une bande de déguenillés en route vers une terre qu’ils croyaient promise, barbotant dans l’eau stagnante au fond d’une outre. Rapidement, mes ravisseurs furent confrontés à la faim et la soif, on me fit comprendre qu’en ces temps de restrictions, il y avait meilleur usage à faire de l’eau qu’une piscine pour poisson multicolore. Ma chair desséchée restait tentante et le grand barbu décida de m’accommoder au barbecue. Il me posa alors sur des braises ardentes et
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nous partageâmes une grande stupeur – et il faut le dire pour moi également un certain soulagement – à constater que mon grill ne se consumait ni ne brûlait. Cette expérience terrible nous convainquit lui qu’il était l’élu du peuple élu, et moi de mon immortalité, condamné au statut de poisson errant à travers les siècles. J’ai suivi mes « hôtes » pendant un bon millénaire, porté au rang de porte-bonheur. Un de leurs descendants, un illuminé adorable, m’a même un jour proposé un tour de magie où, secoués dans une même corbeille avec un seul bout de pain, nous nous sommes retrouvés multitudes. Ce qui m’a toutefois permis de m’enfuir incognito et reprendre mon errance, non sans avoir laissé mon image pour symbole de la petite entreprise créée par l’illuminé. Pendant les deux mille années qui ont suivi, j’ai parcouru les mers. J’ai croisé des galères romaines, des drakkars vikings, boutres ottomans, des pirates de tous bords, des caravelles génoises, galions et frégates de diverses majestés échangeant des boulets. J’ai vu des baies rougies par le sang des combats. Les hommes peuplant les continents, mon errance se doublait de curiosité – il faut bien occuper son immortalité – et je délaissais les océans et leurs monstres marins pour remonter les rivières, nager dans les docks des grands ports, flâner dans les villes les jours de crue, et observer les hommes. Longtemps – enfin tout est relatif pour un immortel – j’ai posé mes branchies au bord de la Tamise. J’étais à bonne école d’un certain William S. au théâtre du Globe qui m’a tout appris de l’âme humaine. Le feu encore une fois m’a remis sur les voies navigables, le théâtre d’abord, puis la ville toute entière ayant brûlé. J’ai beau être immortel, je crains la fournaise et tiens à mes écailles. Et
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puis ce que j’avais appris de l’homme m’a plutôt donné envie de retourner vers les miens. Quelques siècles encore, j’ai parcouru les océans, à l’abri des prédateurs dans ma coque d’immortalité. Les choses ont commencé à se gâter quand les hommes se mirent à couvrir les mers de filets aux mailles serrées, et à les sillonner dans de gigantesques poissons d’acier. J’avais élu domicile dans une anfractuosité de rocher à Colleville-sur-Mer et vivais tranquille au rythme des marées. Un matin de printemps, à nouveau le déferlement des hommes, du fer et du feu, je me cachais dans une rivière normande et parcourais le bocage pendant quelques décennies. Ces derniers temps, ma rivière a commencé à sentir l’acide et la mousse, veaux, vaches cochons mes amis ont pris mauvaise mine et déserté les berges. J’ai commencé à me gratter tout en cherchant une issue. Retourner à la mer dont j’ai tant et tant fait le tour ? Bof. Un matin je sympathisai avec un chat qui, voyant ma mine peu appétissante, fit contre mauvaise fortune bon cœur et me présenta à sa patronne qui partait pour l’exil, chassée du terroir pour avoir osé se battre avec des livres contre des régiments de tracteurs déployant l’arme chimique aux ordres de notables sans foi ni loi, patrons de comices agricoles encouragés par la cupidité des puissants et la peur des faibles. Nous nous prîmes d’affection, elle me chargea avec ses bagages et c’est ainsi que je suis désormais citadin, dans un aquarium parisien où je me refais une santé en attendant des jours meilleurs. En échange du gîte et de quelques graines hebdomadaires, la romancière – c’est le nom de ma bienfaitrice – me demande de reprendre mes lunettes
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