Histoire universelle des hommes-chats
72 pages
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Histoire universelle des hommes-chats , livre ebook

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Description

Un village enchâssé dans les brumes des montagnes basques, non loin de la frontière française.Un village qui se maintient à l'écart d’un monde qu’il méprise et qui l’agresse.Un village dont plusieurs habitants sont décrits comme correspondants à un félin particulier. D’où leurs surnoms d’hommes-chats.Un village dont une bonne partie de la population, traditionnellement catholique, a choisi le camp des vainqueurs durant la guerre civile mais autour duquel des guérilleros anti-franquistes ont longtemps rodé.Un village qui cache de terribles secrets. Outre les jalousies, rivalités ou haines qui se résolvent de façon tragique ou cocasse, une rumeur persistante fait état de cadavres aux mains coupées, on ne sait par qui ni pourquoi.Jusqu’à ce que le brouillard se lève sur la scène des crimes.Le narrateur est lui-même un villageois qui raconte, à chaque chapitre et à différents âges de sa propre vie, un personnage remarquable. Tour à tour spectateur naïf, fin observateur, victime ou complice, il utilise le ton redondant des paysans des montagnes sans rechigner à la métaphore poétique.Son récit constitue la chronique d’un bourg terriblement localisé mais qui pourrait se trouver dans n’importe quelle région du monde.Josu Arteaga vit sur un plateau du Pays basque espagnol dont les habitants sont traités de «néandertaliens» par les autres Basques. Ouvrier, bassiste du groupe de rock La banda del abuelo, il  est l’auteur de nouvelles et de poésie.  Histoire universelle des hommes-chats, déjà paru en Espagne et au Mexique, est son premier roman.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 02 mars 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782380942903
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À Iosune, pour nous garder sains d’esprit À Taxio et Peru pour nous rendre dingues
 
Remerciements à Peio et Sarah pour ne pas abdiquer et ignorer la frontière physique ou mentale
1 La chatte borgne
Il y a un temps pour la vie. Des ventres gonflés des femelles naissent des créatures. Il en a toujours été ainsi. Sans distinction de race ou d’espèce. C’est une chose magnifique. Magique. Le plus grand des miracles auquel on puisse assister.
Mon père était accoucheur. Il mettait bas des juments. Je l’accompagnais parfois. Les sabots des antérieurs apparaissaient en premier. Après ces pattes interminables, la tête. Alors, mon père saisissait le poulain pour le tirer avec délicatesse. Pendant l’opération, il s’adressait à la jument dans une langue étrange. Si douce et si cadencée qu’il apaisait les douleurs de la femelle au travail.
Elle poussait et le poulain tombait au sol. Il se levait assez vite. Malingre. Gracieux. Ses pattes se dérobaient sous lui. Il chutait maladroitement et se relevait. Plusieurs fois de suite. Jusqu’à parvenir à tenir sur ses membres maigrichons. En tremblant comme un ivrogne. Puis, comme par instinct, il s’approchait du pis de sa mère. Secouait la tête et s’abreuvait.
Mon défunt père était un homme d’avant. Expert en mille travaux. Un homme robuste. Une ébauche de sourire naissait sur son visage au moment où le poulain tenait debout. Semblable au sillage fugace d’une étoile. Une lueur dans ses yeux accompagnait ce geste. La vie. Le miracle majeur. Capable de transformer des plantes amères comme de la bile en doux marrubes blancs. Tel est le pouvoir de la vie.
À Olariz, nous comprenons la mort et la vie à notre façon. Tout naît, tout meurt. Ni plus ni moins. Et ce, depuis la première aube. Pour les humains ou les animaux. Sans distinction. La vie est la neige première. La mort est la neige piétinée. Les deux sont semblables. Blanche et pure quand elle se pose. Boue qui disparaît dans la boue lorsque l’hiver meurt à l’apparition du soleil. Début et fin de la douleur. Ainsi l’acceptons-nous depuis toujours. Sans faire d’histoires. Sans se mettre martel en tête. Ça, c’est le boulot des curés et des universitaires. Qui ont du temps à perdre en spéculations.
La mort rend possible le miracle de la vie. C’est écrit en lettres de feu. Depuis bien avant notre naissance. Quand on n’est pas plus qu’un résidu . Dès que le ventre se met au travail. Elle rôde. La mort rôde, affamée. Comme ces chiens retournés à l’état sauvage qui attaquent les troupeaux. Depuis avant le commencement. Obstinée. La bave aux dents, les côtes saillantes sculptées par la faim. Jamais rassasiée.
Elle fait mal lorsqu’elle survient. Surtout lorsqu’elle arrive par caprice. Quand elle vient avant l’heure. Quand personne ne l’attend. Alors, elle est plus douloureuse que de coutume. C’est une douleur qui ne tue pas, mais qui mine. Qui ne submerge pas mais qui étouffe. Une douleur qui ne veut pas s’en aller. Qui reste. Qui prend possession du jour et de la nuit. Comme le brouillard qui dure des mois. Comme lorsque la flamme tremble et que la glace montre ses dents. Dents suspendues aux gouttières.
Le jour où j’ai suivi mon père à Olaiceta, c’était mon septième anniversaire. Ma mère a préparé le petit déjeuner. Deux œufs pour le père, un pour le gamin. Mais ce jour-là fut particulier. Deux jaunes sont sortis de mon œuf. Deux jaunes pour un seul blanc. Presque jumeaux et ronds comme deux soleils. Qui ne se touchaient pas. Mon père m’affirma que c’était un bon présage. Cet œuf aux deux jaunes. Ma mère souriait aussi. Elle dit qu’il fallait s’accrocher lorsque les choses venaient tordues et profiter de celles qui venaient bien droites. Voilà bien la leçon qui m’a le plus profité. Attendre un œuf à deux jaunes. Qui fait endurer toutes les calamités. Sachant que la vie distribue bien plus de coups que les œufs ne donnent de double jaune.
Cette journée qui nous promettait quelques difficultés nous amena à marcher pendant des heures, mon père et moi. Sous un lourd parapluie de berger. Sous un crachin souverain. Sur un sentier qui disparaissait par intermittence. Pieds mouillés et nourriture au dos. Père devait faire l’accoucheur. Je souhaitais prolonger l’heureux présage annoncé par ce jour de chien.
Nous sommes arrivés à Olaiceta juste au bon moment. Crevés mais à temps pour participer au miracle. Le propriétaire de la jument dorée nous attendait là. Nerveux face à sa puissante bête. Après treize mois d’attente. Treize sont les mois qu’une jument doit accomplir pour mettre bas dans de bonnes dispositions. Il pressait mon père pour que tout se déroule rapidement et comme il se doit. Je n’avais jamais vu si bel animal. Pattes robustes. Port seigneurial. Flancs luisants. Une belle bête éclatante de santé. Splendide et sauvage. Anxieuse de notre présence. Étrangère au monde des humains. Esprit libre des montagnes qui allait donner la vie pour la première fois. Qui ne connaissait le corral et le râtelier que depuis quelques jours. Son maître la tenait par le licou. Mon père lui parlait en lui caressant le col. Je ne voulais pas perdre une miette de cette beauté. Mes yeux écarquillés comme les deux jaunes d’œuf. Ma chance à portée de main.
Et à nouveau surgit la vie. Là même, face à mes yeux jaune d’œuf. Le miracle s’est produit. Un miracle auquel personne ne s’attendait. Un miracle qui nous coupa l’herbe sous les pieds. Qui nous mit le cœur au bord des lèvres. La conclusion que devait avoir un jour sous le signe des paires. Ce que seulement mon père et moi-même pouvions comprendre.
Mon père fit le signe de la croix. Retroussa ses manches. Il cracha et se frotta les mains. La jument était nerveuse. Hennissait de douleur. Martelant le sol, elle tentait de se libérer du licou. À grands coups de tête. Mon père tentait de la rassurer par son doux murmure cadencé. Avec cette antique langue que les animaux comprennent. Maaa, maaa, maaa. La jument semblait se calmer. Et vint le moment attendu. Mais les sabots n’apparaissaient pas. Le regard de mon père ne s’attendrit pas. Il n’y eut pas d’étoile filante. Nulle trace lumineuse ne vint sur son visage. La lueur sous laquelle les amoureux font des vœux. Pas cette fois-ci. Il dit que le petit se présentait à l’envers. L’arrière-train en premier. Les pattes arrière ont émergé, repliées, collées au tronc. La jument ne cessait de piétiner le sol de la grange. Elle tirait le licou, yeux exorbités.
Puis la tête est sortie. Les deux têtes. Deux têtes, chacune pourvue d’un œil unique. Un œil énorme au milieu de chaque front. Le silence se fit. Comme si une procession d’anges était passée.
La jument s’était enfin calmée. Son propriétaire avait la mort sur le visage. Mon père recouvrit le petit monstre de son blouson rapiécé aux coudes. Je songeais à l’œuf aux deux jaunes. Mon père remédia au problème. Il le prit dans ses bras et disparut. On entendit plusieurs coups. Rapides. Précis. Puis le bruit d’une bêche qui attaquait le sol. Un trou. De la terre pour recouvrir le poulain bicéphale. À quelques mètres de l’écurie. Il en fut ainsi. Ce fut la fin de cette journée qui m’avait offert un double déjeuner.
Mon père a été fort. Il a fait ce qu’il fallait faire. Après ça, lui et le propriétaire se sont parlé à voix basse. Puis, ils se sont salués. Mon père a refusé sa paye. Ils se sont à peine regardés lorsqu’ils se sont serré la main. Je suis revenu avec mon père. Il n’a rien dit et je n’ai pas posé de questions. Ainsi s’est déroulé le retour à la maison. Sous une brouillasse mélancolique. Triste et replié sur soi. Avec de bonnes raisons de pleurer.
Des années s’écoulèrent. Je ne saurais dire combien. Mais je n’avais pas encore fait ma confirmation. C’était une semaine de lune décroissante. Une semaine banale. Quand ça s’est reproduit. La truie tachetée du Ciriaco allait mettre bas. Après trois mois, trois semaines et trois jours. Le temps qu’il faut à une truie pour donner la vie. L’animal était enragé. Son ventre était très enflé. Elle grouinait comme si on lui faisait subir les pires tourments. La bave aux lèvres. Les yeux hors des orbites. Elle a accouché de douze porcelets. Douze. Le nombre des apôtres de Jésus.
Elle les a tués un à un. Les douze. De rage. De douleur. Ils sortaient de son ventre, elle les mordait sauvagement et les jetait contre les parois de la porcherie. Tous. Douze porcelets exterminés. Éparpillés sur le sol de la porcherie. Cette truie était comme folle. Folie qui lui faisait les yeux rouge feu. Ciriaco restait hébété. Impuissant. Presque comme s’il acceptait tout. Avec une résignation vieille de plusieurs siècles. La douleur coincée au fond de sa gorge nouée.
Je connaissais l’explication de cet événement mais je n’ai rien dit. Je le savais avant que ça ne se produise. Car il m’était arrivé quelque chose le matin même. Ma mère m’avait envoyé chercher une douzaine d’œufs. Je filais comme le vent. Sans prendre garde. Avec la rapidité d’un môme. Et ce qui devait arriver arriva. Je me suis cassé la margoulette devant la maison du Ciriaco. M’écorchant mains et genoux. Et les œufs se sont tous brisés net. Les douze.
Parfois, les colombes piquent la tête de leurs propres oiselets. Jusqu’à les tuer. Ce n’est pas si étrange. Sans défense. Avec à peine de duvet. D’énormes bouches qui réclament de la nourriture. Sacrifiés pour je ne sais quelle obscure raison. Par leurs propres géniteurs. L’instinct. L’instinct qui nous rend capables du meilleur et du reste. Toujours l’instinct. Tuer ses propres oisillons. Leur donner des coups de bec jusqu’à ce que leurs minuscules têtes se transforment en une boule de sang, de plumes et de brindilles. On ne sait pas pourquoi. Alors qu’il y a suffisamment d’aliments pour tout le pigeonnier. Qu’ils auraient pu voler librement dans le ciel d’été. Préservés des chasseurs et des milans. Disposant d’un abri pour y retourner l’hiver. Et pourtant elles les tuent. Leurs propres mères. À peine sortis de l’œuf.
Je me souviens que ma grand-mère recueilla

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