Familles et faux-semblants
194 pages
Français

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Familles et faux-semblants , livre ebook

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Description

« Ma mère, contre toute attente et pour éviter tout esclandre, a accepté de se plier au rite de la cérémonie à l'église. Elle avait raison : on s'y ennuie. L'atmosphère est froide, pesante. Pendant une demi-heure, des personnes, choisies parmi les proches, se sentent obligées de lire des textes qu'ils ont composés à ma gloire pour chagriner l'assemblée et sûrement pour oublier un instant, en me faisant passer pour un homme vertueux et ô combien probe, toutes les indélicatesses qu'ils m'ont fait subir de mon vivant et inversement. Amen. J'ai vécu au milieu de deux mondes séparés par un gouffre culturel et par deux façons totalement antagoniques de voir et de vivre la vie. Il a fallu que je compose avec cela pendant quelques années. C'était, je vous l'avoue, épuisant. Je ne suis pas mécontent d'être là. J'ai la paix. Je peux réfléchir et faire un point sur mon existence. J'ai du temps. Avant, je n'en avais pas sauf quand j'allais à la pêche. Mais c'est une autre histoire... »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 21 juin 2013
Nombre de lectures 9
EAN13 9782342007220
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Familles et faux-semblants
Jeanne Christine
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Familles et faux-semblants
 
 
 
 
Chapitre 1
 
 
 
Moi, c’est Antoine. Je me retrouve aujourd’hui au cimetière et je vois bien de là où je suis tout ce petit monde qui est venu pour moi. Je n’en connais pas ou n’en reconnais pas la moitié. Il y a probablement dans cette assistance des anciens qui s’invitent régulièrement après avoir pris connaissance des faits divers annoncés dans le journal local qui publie régulièrement sur commande des familles des communiqués d’informations pour des événements heureux ou malheureux.
Ils passent là une grande partie de leur temps et souvent l’énergie qui leur reste à déambuler sans montrer la moindre surprise ou des illusions qu’ils n’ont plus depuis bien longtemps déjà : depuis qu’ils ont perdu pour certaines leur mari, pour d’autres leur femme ou bien le petit dernier de la famille ou encore la petite-cousine qui était pourtant si aimable et de bons services.
Ils viennent se nourrir des histoires des autres qu’ils plaignent et qu’ils croient par défaut parce qu’à quatre-vingts ans ou plus, ils ont déjà entendu tout ce qui est possible d’entendre et qu’ils ne cherchent plus à savoir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Ils sont là tels des spectateurs blasés et viennent pour se tenir informés des événements dont ils n’auraient jamais entendu parler depuis que le dernier commerçant, épicier de son métier et concierge de son état, a dû fermer son échoppe à cause d’un manque d’âmes dans la bourgade. C’est probablement pour eux l’opportunité de croiser des visages qu’ils ne verraient jamais vieillir s’ils restaient à scruter le temps derrière des volets entrebâillés dont ils se servent pour cacher leur modeste curiosité. Il n’y a plus de divertissements dans cette contrée désertifiée, on peut comprendre.
 
Assistent aussi des personnes que j’ai peut-être connues dans le passé, et qui, les années aidant, ont changé à ce point qu’elles sont devenues pour moi méconnaissables et presque étrangères.
Il est vrai que j’ai quitté ce village alors que je n’avais pas dix ans.
Il y a également quelques visiteurs qui à coup sûr ont été invités par ma femme ou qui se sont sentis obligés de se libérer pour venir la soutenir et pour lui servir de témoins, lui permettant ainsi de mieux arborer sa grande infortune et son chagrin de circonstance. Ma femme, Hélène, n’a jamais su faire face seule à ses problèmes existentiels ou à ses douleurs. Ce sont bien les seules choses qu’elle a, sans réserve ni égoïsme, su partager et qu’elle a exhibées sans retenue ni pudeur aucune pendant tout le temps que nous avons passé ensemble.
Elle s’est bien préparée pour ce jour : beau tailleur, coiffure remontée et un maquillage que dissimulent à peine ses lunettes de soleil de grande marque. Je la devine en train de courir encore hier dans tous les magasins pour quérir des atours adaptés à la tragédie tout en étalant son malheur et en téléphonant à ses connaissances pour en recueillir à défaut d’agrément, un conseil qu’elle n’écouterait de toute façon pas.
Hélène ne prenait jamais contact pour prêter oreille à autrui. Elle en donnait parfois l’impression, mais en fait elle ne faisait en fait qu’attendre le moment où elle pourrait reprendre la main et s’épancher pendant des heures sur les douloureuses épreuves imposées par une complexe et ô combien pénible existence de femme futile.
Elle a encore déguisé mes filles comme si elles devaient rendre un hommage militaire et digne à un haut fonctionnaire d’État ou peut-être à un ministre. Tout cela me paraît bien présentable en fait, congru et superficiel à son image. Je veux dire à l’image qu’elle veut donner alors qu’aujourd’hui, normalement, c’est moi la vedette.
 
Elle va sûrement se mettre à sangloter et à se plaindre avec des phrases confuses et des mots chevrotés pour qu’on la distingue.
Ça y est, elle commence. C’est incroyable cette manie qu’elle a toujours eue de vouloir toujours attirer les regards sur elle. Je n’arrive pas à être triste parce qu’elle-même ne l’est pas : elle fait bien trop attention à son maquillage. Peut-être attend-elle des caméras.
 
À côté, mes beaux-parents. Eux, je les reconnais. Je les ai encore vus il y a quelques jours ou plus peut-être. J’avoue avoir perdu la notion du temps. Lui est là avec ses joues rouges abîmées qui ne trompent personne quant à sa consommation excessive d’alcool et avec son cigare puant qui attend, impatient au fond de sa poche, d’être sorti de là pour être enfin rallumé.
Ma belle-mère l’accompagne. Elle est pomponnée comme sa fille avec sa couleur blonde paille refaite de la veille sur le peu des cheveux qui lui restent. On dirait une copie de ma femme avec quelque quarante ans de plus. J’ai échappé à cela. Elle se tait aujourd’hui, elle ne caquette pas. C’est un bon jour.
Se tient, de l’autre côté, mon petit frère Alban. Je suis de cinq ans son aîné. Cela fait bien deux longues années que nous ne nous sommes pas vus. Je sais qu’il a un bon travail maintenant après avoir terminé brillamment des études d’ingénieur.
C’est devenu un bel homme et, ma foi, il mérite cette agréable jeune fille aux yeux pétillants qui se tient près de lui et que je ne connais pas. Il nous a caché cette petite femme jolie, sobre et pudique à la fois. Elle doit travailler dans la coiffure, dans l’esthétique ou dans la mode : dans un de ces métiers où on aide les gens à être beaux. Il y a des activités qui rendent les gens plus séduisants, il y a des professions qui assistent les autres et il y a des offices qui entretiennent les vices et les dépendances.
La famille de ma femme exploitait le troisième filon. C’était probablement le plus lucratif. C’est peut-être pour cela que… Bref… J’envie aujourd’hui mon frère.
 
Plus à l’écart, cette grande femme, enfermée dans un imperméable kaki, reste là, statique, sans un mot, sans un sourcillement, sans une mimique, sans la moindre expression qui pourrait révéler une sorte de déception, de la rancœur ou même des regrets. Elle n’est pas allée chez le coiffeur. On devine des cheveux gris qui ont tout de même eu le temps d’être à peu près bien ajustés. Elle se tient comme à son habitude un peu en retrait et presque droite. Cette femme, c’est ma mère.
Elle est seule, personne ne l’épaule. Peut-être fréquente-t-elle quelqu’un mais je l’ai toujours connue discrète. Elle n’aurait pas souhaité se faire remarquer et être questionnée sur sa vie privée surtout en de telles circonstances en s’affichant avec un homme. Elle ne pleurera pas ici. Je suppose qu’elle le fera mais ce sera à l’abri de tous les regards. Elle partira dans quelques minutes pour éviter les condoléances, ces témoignages de sympathie émanant de personnes complaisantes au mieux, spécieuses au pire. Elle s’éclipsera pour laisser la place à ma femme et à mes beaux-parents qui auront, eux, inévitablement quelque chose à dire.
Pas très loin d’elle, Liliane se tient debout à l’aide d’un bras fort et rassurant. Cette femme âgée était mon amie. Elle est, en ce jour ensoleillé, chaperonnée par son fils Dominique. Dominique est un chic type ou une chic fille. C’est selon. Il a un bras en écharpe, probablement cassé.
 
Je me retrouve donc là, dans ce cimetière d’un tout petit village. Ma mère a organisé la cérémonie de la façon qui lui convenait. C’est-à-dire en toute simplicité. Ma femme ne lui a rien contesté. Elle n’aurait pas osé. Par ailleurs, cette dernière n’avait de toute évidence pas le temps de se consacrer à sa tenue et dans le même délai de participer à l’organisation de mes modestes funérailles.
L’une lisait les Échos, le Monde, le Figaro et l’autre des magazines people qui regorgeaient de conseils sur le couple et de tests pour calculer le degré de probabilité de fidélité de l’époux, ne manquait pas une émission de l’« Île de la tentation » et organisait sa vie en fonction de ce que lui disaient des voyantes pour quelque quatre-vingts euros par séance : des augures des temps modernes qu’elle appelait sur des plates-formes installées en Afrique du Nord en me jurant qu’elles étaient réellement des professionnelles émérites et en me conseillant à moi-même de les écouter afin que ma vie devienne à défaut de meilleure, du moins plus organisée et harmonieuse au sens où elle l’espérait.
Elle n’aura pas relevé, par parenthèse, qu’aucune de ces marchandes de présages n’avait prévu qu’aujourd’hui Hélène allait devoir reporter une sortie prévue de longue date.
 
Ma mère, contre toute attente et pour éviter tout esclandre, a accepté de se plier au rite de la cérémonie à l’église. Elle avait raison : on s’y ennuie. L’atmosphère est froide, pesante. Pendant une demi-heure, des personnes, choisies parmi les proches, se sentent obligées de lire des textes qu’ils ont composés à ma gloire pour chagriner l’assemblée et sûrement pour oublier un instant, en me faisant passer pour un homme vertueux et ô combien probe, toutes les indélicatesses qu’ils m’ont fait subir de mon vivant et inversement. Amen.
J’ai vécu au milieu de deux mondes séparés par un gouffre culturel et par deux façons totalement antagoniques de voir et de vivre la vie. Il a fallu que je compose avec cela pendant quelques années. C’était, je vous l’avoue, épuisant.
Je ne suis pas mécontent d’être là. J’ai la paix. Je peux réfléchir et faire un point sur mon existence. J’ai du temps. Avant, je n’en avais pas sauf quand j’allais à la pêche. Mais c’est une autre histoire…
 
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