Ève ou la répétition
79 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Ève ou la répétition , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
79 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Paris : un gigantesque mur d'enceinte sépare les quartiers privilégiés des zones périphériques. La jeune ève, membre du comité d'évaluation génétique, observe le monde qui l'entoure. Un jour, d'étranges messages reçus sur son ordinateur viennent bouleverser sa vie. Son père, chercheur biologiste, aurait-il découvert le secret du clonage humain avant de mourir et aurait-il tenté ses expériences sur sa propre fille ? Au travers d'une fable scientifique qui mêle suspense et émotion, Jacques Testart nous alerte sur les implications éthiques que poserait la possibilité du clonage humain. " Coréalisateur " du premier bébé-éprouvette français, Jacques Testart est directeur de recherche à l'INSERM. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation sur la procréation médicalement assistée et notamment de L'oeuf transparent (1986) et de Le Désir du gène (1992).

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 1998
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738140418
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À Pierre et Marie-Laure
© O DILE J ACOB, SEPTEMBRE  1998
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN  : 978-2-7381-4041-8
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
« Conseiller ou discuter était inutile, car son inévitable destin était d’être ce que je suis. »
J.-L. B ORGES
Anniversaire

« Je suis désolé, Mademoiselle, cet article ne correspond pas à l’esprit de notre revue… »
L’homme, dont on ne voit que le visage sur l’écran, paraît gêné, il se gratte la joue et lève enfin les yeux vers son interlocutrice :
« Comme c’est étrange ! s’exclame Ève, debout devant le tévéphone, vous êtes le troisième à me faire cette réponse… Puis-je connaître vos arguments ? »
Après un silence, l’homme se lance :
« C’est que, bien sûr, c’est amusant… Mais on ne peut pas brocarder ainsi les institutions, vous le savez bien ! Et vous faites du mauvais esprit à propos du clonage qui est quand même un grand espoir pour notre civilisation… »
Il paraît essoufflé, mais soulagé d’avoir récité d’une seule traite le credo du programme lancé le 16 février 2022 par le Comité national d’évaluation génétique.
« Vous avez certainement raison, reprend Ève, mais il ne vous aura pas échappé que cette histoire, cette fiction, est située dans les temps antérieurs. Et qu’alors les institutions dont il est question ne sont pas les nôtres… »
L’éditeur poursuit, sans lever les yeux : « Évidemment, mais certains pourraient en profiter pour faire resurgir des débats dépassés, pour répéter ces situations obscurantistes qui…
– Merci beaucoup de votre ouverture d’esprit… et de votre humour ! » conclut Ève, et elle supprime son interlocuteur en appuyant sur le bouton rouge du tévéphone.
Ève n’est même pas déçue. Plutôt satisfaite de constater qu’elle avait eu raison : personne ne voudrait de son article. Trop iconoclaste, trop « mauvais esprit », comme dit souvent Bertrand ! Elle sourit en rangeant son tube de rouge à lèvres dans son sac. Après tout, elle n’aurait jamais gagné qu’une pige à trois cents euros… et de la suspicion à la pelle… Heureusement qu’elle avait pris la précaution de signer son texte d’un pseudonyme. Et puis, son vrai métier, c’est le journalisme, conclut-elle en claquant la porte de son appartement. Et aujourd’hui, elle ne peut penser qu’à une chose : elle a rendez-vous avec son patron, celui dont elle rêve tant qu’il devienne son amant.
Sortie de son immeuble de la rue Visconti, Ève prend sur la droite la rue Bonaparte. Elle s’est maquillée plus qu’à l’ordinaire pour le rendez-vous et n’est pas très à l’aise sur ces talons vraiment très hauts. Décidément, elle se sent plus elle-même devant son écran, à imaginer des histoires trop satiriques pour être acceptables, que dans le rôle convenu de la séductrice. Elle jette un œil distrait sur la grande boutique de plastiquerie d’ameublement, récemment venue narguer de ses néons les vénérables magasins d’antiquités ; cette année, les meubles seront dans les tons verts et bleus. Arrivée sur le quai Malaquais, elle montre son badge au gardien du parking électrique et choisit machinalement une voiturette rouge. Rouge, la couleur de sa détermination, se dit-elle en démarrant : « Ce Bertrand, il faut qu’il se déclare ou je passe à quelqu’un d’autre ! »
Arrivée avenue Corentin-Cariou, elle se gare à deux pas du musée des Sciences et de l’Industrie. Un panneau indique : « Attention ! à 200 mètres finit la Zone centrale. » Là, on a construit des immeubles plus hauts et plus confortables que ceux du vieux Paris. Ève s’engouffre dans l’un d’entre eux, appuie sur le bouton 38 de l’ascenseur. La réceptionniste de l’Agence lui lance un clin d’œil, puis l’installe dans un salon rose et noir, au goût de l’an passé. Pour calmer sa nervosité, Ève parcourt un article sur un sujet à la mode : l’évolution de la maladie de l’oiseau triste, depuis la chute des phanères jusqu’à la neurasthénie létale. Une photo éloquente montre l’analogie des signes observés chez le volatile et chez l’homme contaminé : un poulet, déplumé et dépourvu d’ongles, voisine avec une jeune femme chauve et édentée. Sur la page suivante s’étale la photo d’un médecin souriant : il assure que les recherches pour un remède sont en bonne voie. La secrétaire de M. du Rocher apparaît et annonce qu’il est prêt à la recevoir.
« Bonjour, ma petite Ève ! Il fallait que je te parle. Tes articles ne vont pas du tout. Je me demande si tu as compris l’esprit du journal… »
Ève écoute d’une oreille déçue le discours paternaliste de son rédacteur en chef. Elle avait espéré que cette convocation dissimulait une entreprise de séduction, mais, décidément, ce Bertrand se confirme bien impassible malgré ses beaux yeux charmeurs.
« Il faut, explique-t-il, mettre l’information au niveau des gens. Ce n’est pas un hasard s’il a fallu créer deux zones d’habitation… Tu comprends bien que les centres d’intérêt de ceux qui vivent de l’autre côté ne peuvent pas être les mêmes que les nôtres… L’avantage de l’Agence sur le groupe “New info” est justement de savoir moduler le style et le contenu des articles. Même si l’information circule des deux côtés du Mur par le réseau, notre “plus”, c’est d’aider les méga-démunis à comprendre, et de les distraire. C’est ça qui fait l’originalité de notre boulot et sa qualité démocratique : tout est élaboré en Zone centrale, mais les Autres ont le choix entre cette info de ZC et une info mieux adaptée à leurs besoins… »
Ève s’impatiente : « Je sais, je sais, mais là, pour ce papier sur le couturier assassiné, je ne vois pas vraiment où sont les deux niveaux ! »
Le visage de Bertrand du Rocher s’éclaire ; il se penche vers Ève et lui prend l’épaule amicalement : « Mais bien sûr qu’il y a deux niveaux ! Quand un couturier japonais est assassiné à Pékin, ça se lit comme un fait culturel en Zone centrale, et comme une histoire de cul chez les Autres ! C’est simple, non ? ajoute-t-il avec satisfaction. Intéresser le public, c’est notre vocation… Mais c’est aussi comme ça qu’on survit face à la concurrence, parce que la publicité suit ! Je te rappelle que nous avons gagné 2,3 % en parts de marché cette année… »
Il a retiré sa grande main noire de l’épaule d’Ève. La démonstration est finie. Déjà ! regrette-t-elle.
À peine remontée dans la voiturette rouge, elle décide de distraire sa déception en faisant un crochet hors de la Zone centrale. C’est évidemment plus facile dans ce sens-là que dans l’autre. Les gens d’ici vont parfois s’encanailler de l’autre côté, y déguster des merguez au cumin ou y acheter des objets exotiques. Mais ils rentrent toujours avant la nuit, sécurité oblige. Et puis, avec les cinq tickets annuels du passemur, autant profiter de ses loisirs dans la Zone centrale, où le luxe et l’ordre sont assurés. Ève tend un ticket passemur au géant du contrôle qui retient son chien et lui rappelle les consignes de sécurité : ne pas ouvrir les fenêtres du véhicule, bloquer les portières et klaxonner sans arrêt à la moindre alerte. Ève roule doucement dans ces rues mal entretenues où des hordes de jeunes s’affairent à ce qu’on dit être de petits trafics, ou se dandinent sur des musiques qu’elle ne peut pas entendre derrière ses vitres. Mais où sont donc passés les vieux ? se demande-t-elle. On dit qu’eux aussi ont peur et se cachent dans leurs immeubles. Jusqu’à quand cela pourra-t-il tenir ? Malgré quelques îlots de Zone centrale entourés de murs, comme Neuilly, Suresnes, Sceaux ou Saint-Mandé, ce ghetto périphérique s’étend sur des dizaines de kilomètres jusqu’à la Zone rurale. Cela représente une gigantesque pression sur le Centre. Bertrand dirait qu’il y a là un immense vivier où aller repêcher des « génomes d’intérêt » pour le progrès humain, d’autant que chaque grande ville commence à s’organiser de cette façon.
Mais Ève ne peut s’attarder plus longtemps dans cette zone exotique. Elle a vingt-cinq ans aujourd’hui, et sa mère l’attend rue Visconti pour fêter son anniversaire. À son entrée dans l’immeuble, le gardien la salue depuis sa loge.
« Bonne journée ? demande-t-il.
– Ça peut aller, merci Robert », répond-elle le plus froidement possible.
Ce Robert a du mal à garder ses distances. Certes, ils jouaient ensemble dans leur enfance, mais ce temps-là est révolu. Légèrement agacée, Ève disparaît dans l’ascenseur et s’arrête au deuxième. Comme chaque soir ou presque, anniversaire ou pas, elle va dîner avec sa mère avant de regagner son cinquième.
« Alors, ma chérie ? demande Pauline en l’embrassant, qu’est-ce qu’il te voulait ton Bertrand ?
– Bof ! seulement une leçon professionnelle, je m’ demande vraiment s’il est timide ou si je ne lui plais pas ! »
Sa mère lui caresse les cheveux et lance :
« Peut-être qu’il est seulement fidèle à sa femme ! Ça arrive, tu sais. »
Elles rient, mais Pauline, embarrassée, ajoute :
« Il faut quand même que je te dise… Tu peux t’amuser, mais je ne suis pas certaine d’avoir envie d’être grand-mère d’un bébé noir… j’aurais peur de ne pas me reconnaître…
– Comme tu es vieux jeu, maman ! Tu sais pourtant que le collège du Généland a montré qu’il y a moins de différence génétique entre gens de même zone, quelle que soit leur couleur, qu’entre des gens apparentés vivant soit en ZC, soit chez les Autres… »
Pauline acquiesce : « Je sais, ma chérie, mais ces gènes, même s’ils sont bien utiles, on ne

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents