Des fous et des morts
130 pages
Français

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Des fous et des morts , livre ebook

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Description

« Des vapeurs enivrants de fleurs sauvages, aux pétales délicatement tangentes, émanaient du siège de sa voisine de table, placée à sa gauche. Le "papy" ferma volontairement les yeux, le temps d'inhaler à plein poumons cette brise printanière qui suscitait subitement en lui, des effluves insensés. Il succomba enfin à la tentation d'épier sa voisine. Il s'émerveilla des ressorts musclés des jambes, affinées par la pratique du sport. Une quasi-jupe en popeline transparente tâchait de les protéger contre des regards prédateurs. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 19 août 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342010589
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Des fous et des morts
Arny Iancu
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Des fous et des morts
 
 
 
« Lorsqu’on perd ses esprits, rien n’empêche plus d’être soi-même sans limites. »
« La mort s’y forge un miroir de la vie où elle puisse se contempler. »
Emil Cioran, Le crépuscule des pensées , Éditions de l’Herne, 1991
 
 
 
Voyage de nuit
 
 
 
J’appris la nouvelle de la disparition de ma tante Joana le jour même de ses obsèques.
— Prends l’avion et viens ! m’avait dit son frère Claude. Il faut que tu sois là… Elle t’aimait beaucoup, tu sais…
 
Elle m’aimait… hum, pensais-je, elle ne ratait jamais une occasion de me faire la morale, de m’humilier ou de me blesser volontairement. Chaque fois que je m’exprimais en sa présence, son visage se métamorphosait, selon le même schéma : une grimace apparaissait, d’abord à l’extrémité gauche de ses lèvres, créant une boule de feu menaçante. Au moment propice choisi par ma tante, cet engin doté d’une puissance de destruction redoutable partait en flèche vers sa cible, en l’occurrence moi ! Les effets indésirables de ces déflagrations sur mon for intérieur persistaient encore, alors que je m’apprêtais, le lendemain matin, à devoir me recueillir devant sa tombe.
 
Je me souvient, après des années, qu’il lui arrivait de m’appeler « petite tranche de vie ». J’avais parfois droit à « chaton », ou à d’autres appellations d’animaux domestiques… Des années plus tard, après la disparition de ma mère, elle fondait en larmes dès qu’elle me voyait, pour me dire à quel point je ressemblais à sa sœur ! Mais son antipathie naturelle à mon égard, son intolérance effrénée, alimentée systématiquement par des envies non assouvies qui avaient marqué une grande partie de sa vie, reprenaient vite le dessus et rares furent les rencontres qui ne tournaient pas en drame au bout de quelques minutes.
 
Sans me réjouir ou me lamenter outre mesure de sa mort, j’éprouvais néanmoins ce sentiment confus d’impuissance donné à tout être humain, livré à un moment précis de sa vie au festin insatiable des échéances. Ma tante faisait, sans aucun doute, partie de ces êtres d’exception qui se permettaient de confondre, tout au long de leur existence, le grotesque et le sublime, ou le kitch et l’insolite. Ce fut grâce à la présence de ce personnage inclassable que ma manière de penser fut « irradiée » d’une minuscule dose d’esprit critique, ce qui eut le mérite de me libérer à jamais de certains résidus inconvenants quotidiens.
 
Cela étant, je n’éprouvais pas la moindre envie de me recueillir devant sa dépouille, qui n’aurait pu résister à la tentation de ressusciter pour m’apostropher une bonne dernière fois. Je décidai donc de me rendre à Nice le lendemain de ses funérailles, en train de nuit : cela me donnerait, pensais-je, le loisir de méditer tranquillement sur le passé et d’arriver en forme pour la séance de condoléances officielles qui m’attendait avec son public, en présence de la presse. Me voilà donc installé, dans un compartiment vide dans le Paris-Nice de 23 h 58.
Je craignais la bousculade inévitable qui accompagnait d’ordinaire les départs nocturnes vers cette destination prestigieuse. En quittant mon taxi, je fus agréablement surpris de trouver une gare de Lyon quasi déserte, amortie par des panneaux d’affichage « hors service ». Je n’eus même pas à courir, comme d’habitude, pour trouver en catastrophe, quelques petites minutes avant le départ, la voie qui venait d’être indiquée ou le numéro de la voiture. Ce soir-là, ma place m’attendait dans un compartiment qui allait se métamorphoser en couchettes superposées. De plus, une odeur acide de vinaigre me piquait les muqueuses au point de me faire larmoyer.
 
Je m’allongeai sur la banquette. Les souvenirs de ma tante reprirent rapidement place dans mes pensées. Je la voyais s’habiller pour sortir une nuit d’hiver. Ma mère s’agitait autour d’elle en lui proposant un choix de vêtements à porter qu’elle refusait, agacée.
— C’est démodé ! disait-elle en combinaison blanche, secouant les genoux en même temps.
Cette scène où ma mère s’écrasait devant sa sœur n’était pas la première. Depuis ma tendre enfance, je souffrais du fait que ma mère manifestât toutes sortes d’attentions à l’égard de sa sœur. Elle voulait lui faire plaisir, à tout prix… et quand elle n’y arrivait pas, prise de panique, elle déversait sur moi toute sa colère. Alors, ma tante Joana, jeune fille à l’époque, s’attendrissait sur ma personne, me prenait dans ses bras en me chuchotant à l’oreille :
— Ne t’en fais pas, ta mère perd la tête ! Ne crains rien tant que je suis là ! Elle me déposait aussitôt sur une pile de robes, arguant qu’elle ne pouvait plus porter mon poids croissant. Je ne pus donner un sens aux relations de ma mère avec sa petite sœur que bien des années plus tard. Ma mère, approchant la quarantaine, trouvait probablement un certain réconfort dans son rôle de « femme au foyer », régnant sur une maison qui ne s’ouvrait au monde extérieur que par les extravagances de ma tante Joana. La manière de s’habiller de celle-ci, de fumer en public en exhibant son fume-cigarette sous le nez d’hommes admiratifs, représentait une forme de libération que ma mère refusait de s’offrir.
 

Le bruit métallique d’une porte qui glissait me fit prendre conscience que je m’étais assoupi. Je dus projeter une image terrifiante, car la porte du compartiment se referma aussitôt. Je sortis dans le couloir. Certains passagers fumaient et parlaient à voix haute. J’avais la gorge sèche, le front brûlant. Je ne savais pas si nous avions déjà passé Mâcon ou si l’on venait juste de quitter la banlieue parisienne. De toute façon, étant contraint de rester toute la nuit sur les rails, l’idée de retrouver la Méditerranée à l’aube me réconciliait déjà avec le monde.
Ce fut à ce moment-là que j’aperçus à ma droite une femme jeune, la tête collée contre la fenêtre. N’osant la regarder que du coin de l’œil, je notai toutefois ses bottines « design », faites sur mesure par un maître bottier de renom. Même debout, elle les portait avec une désinvolture déroutante, en se soulevant de temps à autre sur la pointe des pieds, pour mieux apercevoir les poteaux électriques défiler dans l’obscurité. Captait-elle des croisements d’énergies étranges, libérés pour elle seule par les divinités, sur les fils électriques ? Grâce à quelle alchimie du hasard se trouvait-elle tout près de moi, cette gracieuse apparition nocturne, à scruter en vain l’immensité des champs, alors que les filles « sages » se préparaient déjà à sortir de leur sommeil paradoxal ? Toutes ces questions qui m’assaillaient provenaient sans doute du fait que la présence de cette jeune femme dans un triste couloir de train de nuit m’intriguait.
 
À mon tour, je regardais par la fenêtre. Je ne voyais que des arbres sombres défiler à toute vitesse. J’espérais, au moins pour un bref instant, voir les yeux de la jeune femme échappés volontairement avec ses pensées à travers la vitre. Mais le noir de la nuit n’était transgressé à cette heure tardive que par des points lumineux de poussière cérébrale, fugaces et anonymes. J’aurais tant voulu, dans ma propre détresse, apercevoir le visage de la femme, décrypter le déclic qui l’aurait précipitée dans ce «  no man’s land  » sur rails. Je pensais même aller lui parler, me présenter à elle pour la rassurer, voire la protéger au cas où elle se serait sentie en danger. Ces tourments restèrent malgré moi sans résolution ; je me résignai donc à reprendre ma place dans le compartiment où régnait, comme à l’instant précédent, une demi-obscurité, ainsi qu’une mystérieuse odeur de vinaigre.
 
Je n’eus pas le souvenir d’avoir encore rêvé de ma tante Joana. Je dus plonger dans un sommeil profond, quand je crus entendre ma respiration se dédoubler. Je me mis à écouter cette double respiration aux caractéristiques si différentes : l’une était régulière et courte, l’autre, en contretemps de la première, lui servait d’écho sous forme de sifflement prolongé. Pour mieux comprendre le phénomène, je m’efforçai de retenir ma respiration pendant quelques secondes. Alors, le sifflement de cette deuxième respiration résonnait par lui-même. Dans mon demi-sommeil, je pensais que quelqu’un d’autre respirait à ma place. Et si c’était ma tante Joana ? L’éventualité de cette situation m’effraya au point que je fis un bond depuis ma banquette, tout en poussant un cri d’horreur. Non, je ne voulais pas être enterré vivant dans la même crypte que ma tante !
 
La suite des événements fut tout autre. Quand j’ouvris finalement les yeux, la réalité m’offrit un spectacle qui me laissa bouche bée : sur la banquette d’en face dormait profondément la jeune femme que j’avais aperçue si brièvement dans le couloir. Elle était toute nue, la tête légèrement inclinée. Son corps dévêtu s’abandonnait aux trépidations d’un passage à niveau qui s’éternisait.
Les premières émotions passées, mon instinct me dicta d’aller chercher immédiatement le contrôleur pour lui signaler les faits. Quels faits ? me disais-je en quittant le compartiment… Qu’une passagère s’était endormie avant de vêtir son pyjama ? Qu’il faisait chaud au point qu’une femme, fatiguée et distraite, se fût libérée de ses vêtements pour se sentir à l’aise pendant un long voyage ? Mais que dirait le contrôleur ? Trouverait-il ces faits suffisamment graves pour lui dresser un procès-verbal ? Une femme qui dormait, même nue, entravait-elle la circulation des trains sur le réseau n

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