DES COQUELICOTS EN DECEMBRE
130 pages
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DES COQUELICOTS EN DECEMBRE , livre ebook

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Description

En France, quand on est au chômage, il est aussi difficile de trouver un travail ou l’amour que de trouver des coquelicots en décembre. Paul et Nadine ont un travail, eux, et observent depuis leur position privilégiée dans une association d’insertion professionnelle les demandeurs d’emploi renoncer à chercher. Sous leurs yeux et dans leur bureau, c’est un défilé incessant, une galerie ininterrompue de tableaux déprimants et grotesques. La plupart du temps, c’est avec un humour cynique et blasé qu’ils se défendent, mais de temps à autre, ils s’émeuvent, et tentent de répondre à leur manière à la détresse qui s’expose à eux, dans l’ombre d’un tueur en série qui a décidé de rétablir la justice sociale en éliminant le chômage à sa source, c’est-à-dire en supprimant les chômeurs.

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9791095453123
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Franck Petruzzelli
DES COQUELICOTS EN DÉCEMBRE

Roman
Les Éditions La Gauloise
Série La Gauloise Noire
Maquette de couverture : INNOVISION
Crédit photos : FOTOLIA

Tous droits réservés pour tous pays

Copyright 2017 – Les éditions la Gauloise
2474 avenue Emile Hugues, 06140 Vence

ISBN : 979-10-95453-26-0

Ce livre numérique est livré avec la police Molengo, de Denis Jacquerye. Celle-ci est distribuée sous la licence Open Font License .
Kaboul’s kitchen.
(Nadine)



« Je m’appelle Michel Verdi et c’est la première fois de ma vie que je suis au chômage. Franchement, je ne sais pas trop quoi vous dire. J’ai travaillé pendant trente ans, et comme j’ai cotisé, ma foi, je compte bien en profiter un peu… Au moins tenir jusqu’à cet hiver. Là, c’est l’été, donc ne me jugez pas sur mon bermuda et mes tongs. Après tout on est à Cannes ! Au fait, ça ne craint rien si je gare le scooter dans la rue en bas ? Merci, c’est sympa. Il y a quand même des drôles de types dans le quartier, c’est sûrement à cause du Secours Populaire, ça attire les clochards. En tous cas, enchanté de faire votre connaissance, Paul ! Je peux vous appeler Paul, n’est-ce pas ? Si j’ai bien compris, on va se voir une fois par semaine pendant trois mois, et vous allez m’aider à retrouver du travail. Moi, je ne suis pas contre, mais bon, j’ai quarante-neuf ans… Ce n’est pas gagné. Place aux jeunes ! Enfin, il faudrait déjà qu’ils soient motivés les jeunes, qu’ils en veuillent ! Moi j’ai commencé à bosser à seize ans, sur les foires. Je vendais tout et n’importe quoi. À l’époque, on faisait du pognon ! Après, j’ai évolué… Vous voulez voir mon CV ? Non, pas pour le moment ? D’accord, ça me va. De toute façon, la conseillère a dit qu’il fallait le refaire, qu’il était pas bien. Vous savez, c’est la première fois de ma vie que je fais un CV, donc je suis pas à la page… Alors voilà, je suis cuisiniste. Cuisiniste, vous savez ce que c’est ? Parce que, à Pôle Emploi, quand j’y suis allé la première fois, la conseillère ne savait pas… Attendez, je vous raconte, c’est quand même incroyable ! Alors je me pointe, et la nana me demande ce que je faisais avant et ce que je cherche comme travail. Je lui réponds donc cuisiniste, ça veut dire que je monte des cuisines, n’est-ce pas ! Et, si vous me permettez, pas de la merde mais du travail d’artiste… Moi, je monte des vraies cuisines, du propre, du beau… C’est d’ailleurs parce qu’avec la crise, ils ont voulu m’obliger à faire de la merde, que je suis parti. Enfin, j’ai négocié une rupture conventionnelle, vous savez. Moi, j’allais pas me mettre à faire des cuisines pour smicards, quand même ! Faut pas déconner ! Verdi, il bosse pas au rabais ! J’ai une réputation. C’est un petit monde, les cuisinistes. Bon, donc j’arrive devant la conseillère Pôle Emploi, je lui dis que je suis cuisiniste, et je la vois qui tape sur son ordinateur. Deux minutes après, elle me sort des offres d’emploi. Je regarde, et là je vois qu’il s’agit de restaurants qui cherchent des cuisiniers. Hop hop hop, je lui dis ! Je suis cuisiniste, madame, pas cuisinier ! Moi je sais même pas faire à bouffer ! C’est ma femme qui s’occupe de ça. Elle me répond alors, mais c’est quoi cuisiniste ? Putain la gourdasse, excusez-moi, mais elle ne savait même pas ce que ça voulait dire ! Et après, elle est censée m’aider à retrouver un job ? Alors moi je lui explique, bon, oui, pas besoin de vous expliquer, Paul, vous, vous savez ce que c’est, un cuisiniste… Eh bien, croyez-moi ou pas, à la fin, elle n’avait toujours pas compris ! Finalement, elle m’a envoyé chez vous. Et franchement, je suis bien content que vous sachiez ce que c’est, un cuisiniste ! »
Quelques semaines après sa première rencontre avec Paul, Michel Verdi mourut. Je n’entends pourtant pas ainsi suggérer que les deux événements puissent être reliés de quelque façon que ce soit. Paul était le conseiller en insertion professionnelle de Michel Verdi, et était supposé l’accompagner dans ses démarches de retour à l’emploi pendant une durée de trois mois, dans le cadre d’un partenariat avec Pôle Emploi. Autant dire que cette fonction ne présentait aucun caractère dangereux, et encore moins mortel. Pour ce qu’on en sait aujourd’hui, le chômage tue moins que le tabac ou le cancer.
À la fin du mois d’août, Michel mourut, simplement. La nouvelle fut à peine relayée dans les faits divers de Nice-Matin, et manqua singulièrement de clinquant. Cependant, à cette époque, le journal était surtout tenu par des stagiaires, entre crise économique, rumeurs de revente et vacances estivales. En outre, il faisait vraiment trop chaud pour écrire. Nice-Matin omit par conséquent certains détails troublants, voire grotesques, concernant le décès de Michel Verdi, demandeur d’emploi quinquagénaire et néanmoins épanoui.
Quelques jours auparavant, lors de son dernier rendez-vous avec Paul, ce dernier lui avait donné une offre d’emploi. Les cuisines M*** recherchaient un cuisiniste expérimenté. Le salaire n’était pas dégueulasse, bien que loin des attentes de Michel, mais bon c’était la crise, tout le monde devait faire un effort et revoir ses prétentions à la baisse. Il s’agissait de ne pas vivre aux crochets de l’État, après tout. Michel fit la grimace mais il marmonna qu’il allait faire un tour, se renseigner, M*** c’était pas trop son truc, mais bon… Il devait d’abord gérer la rentrée des gamins, cette année son plus grand entrait à la fac, c’était pas du gâteau. Paul hocha la tête sereinement, il comprenait, mais Michel devait aussi comprendre qu’il pouvait faire jouer son réseau et qu’à cinquante ans, on ne pouvait pas négliger ce genre d’opportunité. Michel donna son assentiment et s’empressa de signer les papiers et de partir, enfin libre.
Dans la mesure où il s’était personnellement impliqué auprès de ses connaissances, Paul se renseigna le lendemain du jour où était prévu l’entretien d’embauche. Il apprit, à moitié surpris, que Michel Verdi ne s’était pas présenté. M*** avait donc fini par jeter son dévolu sur un jeune en contrat avenir, finalement ça revenait moins cher. Je remarquai que Paul se retrouvait dans une situation embarrassante, et il me confia qu’à partir de ce jour, jamais plus il ne ferait jouer ses relations pour aider un demandeur d’emploi. Il l’avait vraiment mauvaise, mon patron.
Plus tard, sans qu’il y ait forcément un lien de causalité entre ces différents événements, le nouvel employé de M*** en contrat avenir fit l’ouverture. Il s’aperçut que l’entrée de service du magasin avait été forcée pendant la nuit. Paniqué, il se dirigea tout droit vers le téléphone afin d’appeler son supérieur hiérarchique. Dans sa précipitation, il buta sur quelque chose de mou. Il s’étala de tout son long et se releva comme une chèvre de Monsieur Seguin attaquée par le loup. Là, au beau milieu du show room , étalé de tout son long avec une toque sur la tête et un tablier autour de la bedaine, enveloppé dans une blancheur virginale, reposait Michel Verdi, cuisiniste victime de la crise économique.
Dégel sur le Dniepr.
(Paul)





« Lors de notre dernier rendez-vous, je ne vous ai pas tout dit, » me révéla Natacha en roulant les r d’une façon que je qualifierais sans hésitation de sensuelle. Il faut dire que Natacha, avant de se retrouver dans la peau d’une demandeuse d’emploi fraîchement quadragénaire en France, avait été top-modèle en Ukraine. Pas bête, elle s’était auparavant mariée avec un riche entrepreneur italien qui l’avait installée à Cannes, ville dont on peut rêver quand on n’y est pas né. Enfin, de mon point de vue aussi, il me semble assez difficile de comparer à l’avantage des premiers les charmes bucoliques de Poltava aux délices de la Côte d’Azur. Il suffisait pour cela de projeter son regard à travers les grandes fenêtres du bureau que j’occupais en centre-ville. Dehors c’était tout simplement beau. Les immeubles bas de style haussmannien accrochaient la lumière jaune miel du jour d’hiver, dont le caractère translucide favorisait les ricochets du soleil sur les terrasses. Chaque petite rue ouvrait sur la mer en arrière-plan, d’un bleu foncé, légèrement crémeux, qu’on aurait juré étalé au couteau sur la ligne de l’horizon. On voyait des gens élégants parcourir les rues, des sacs Gucci ou Chanel entassés dans leurs bras. Ils souriaient, buvaient des cafés en terrasse, indifférents aux magnifiques voitures qui se garaient nonchalamment devant les boutiques. Je me plaçais toujours à contre-jour, dos à la fenêtre mais face à la porte, afin de ne pas être déconcentré. Je recevais les gens dans un bureau assez simple, dont les murs étaient tapissés de toutes sortes d’affiches relatives aux forums pour l’emploi. Toutefois Natacha prêtait peu d’attention à mon affichage ou au panorama cannois. Moi non plus, et tout en l’encourageant à continuer d’un signe de tête, je me permettais de détailler avec envie le beau visage de mon interlocutrice. Natacha avait les cheveux coupés courts, coiffés de façon sophistiquée, d’une blondeur très pâle. Sa peau avait la perfection du papier glacé malgré son âge, et le manque de caractère de son petit nez formait un parfait contraste avec ses lèvres pulpeuses et ses grands yeux bleus foncés. Je croisais les jambes, écrasant volontairement mon testicule gauche, afin de couper net l’excitation qui me gagnait. Un conseiller en insertion professionnelle se doit de respecter un certain code déontologique. Même et surtout moi ! Je devais donc assez souvent m’admonester, « Allez Hank Moody [1] , sors de ce corps qui n’est de toute façon pas digne de toi ! »
« Mon mari ignore que je fais cet accompagnement, » m’avoua Natacha. Cette révélation ne me surprit pas outre mesure. Depuis nos deux premiers rendez-vous sur une série de douze destinés à définir avec elle un projet professionnel réalisable, je me doutais bien que quelque chose clochait. À présent que j’avais réussi à la mettre à l’aise, qu’elle me faisait confiance, elle commençait à tout déball

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