De si doux sourires
216 pages
Français

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De si doux sourires , livre ebook

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Description

Deux tueurs redoutables : l'un, mystique serviteur de la mort, l'autre, une femme diabolique qui tue par plaisir. Leur rencontre, leur accord de départ, leurs amours morbides vont virer à un affrontement qui sera terrible, menaçant de faire de bien nombreuses victimes. Qui l'emportera dans ce duel sans merci ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 juin 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414080199
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-08017-5

© Edilivre, 2017
1
Ils s’étonnent de mon silence, mais pourquoi leur parlerais-je ? Comment m’entendraient-ils ? Ils n’ont jamais approché, jamais entrevu ce que je porte en moi, et aucun mot ne pourrait le leur faire comprendre. Je n’en ai pas pour moi-même, alors comment pourrais-je répondre à leurs questions ?
Ils veulent savoir, connaître mes mobiles, disent-ils. Ils n’ont retenu que trois « meurtres ». Ils en soupçonnent d’autres, mais sans preuves suffisantes pour m’en inculper. Les experts leur ont rendu un bien mauvais service : “Conscient et responsable au moment des faits”, ont-ils affirmé avec une belle assurance. Impossible de me jeter aux oubliettes de la folie avec, au cou, l’étiquette d’une aberration répertoriée. Il faut donc expliquer, donner un sens. Je sens combien ils sont désemparés, et comme ils tentent de le cacher sous le masque de leurs visages assurés, sous les oripeaux de leurs robes.
Les jurés jouent leur rôle : ils sont inquiets, ils boivent avidement les paroles prononcées à leur intention, puis viennent interroger mon visage.
– Choc émotif consécutif à l’abandon, affirme mon avocat, sa femme l’a quitté brutalement, tout comme sa mère qui a disparu lorsqu’il avait deux ans.
Et ils tentent de deviner l’enfant abandonné caché dans cet homme de quarante ans aux cheveux déjà gris, nommé Étienne Fajardie.
– Férocité inhumaine, je n’hésite pas à dire : bestiale, martèle l’avocat général.
Et douze paires d’yeux cherchent dans mes traits à percevoir le rictus du tigre. J’ai envie de retrousser les babines et de montrer les dents, je crois qu’ils en seraient soulagés.
Toute cette comédie n’a qu’un but : rétablir le règne du sens, le jeu des causes et des conséquences, réparer la déchirure que mes actes, mes meurtres comme ils disent, ont infligé à la raison. Me nommer, enfant perdu ou bête sauvage, peu importe, mais me nommer, parce qu’il leur faut à tout prix m’inclure dans l’ensemble des êtres ou des choses désignables, répertoriées, dans une catégorie détestable, mais déterminée de l’esprit humain, pour la condamner. Dans une frange de la communauté humaine, pour pouvoir m’en exclure. Il faut me donner un nom pour me dire “non ! ”. En attendant, et tant que je ne prends pas une place désignée par un mot choisi dans l’ensemble des mots, c’est toute la langue qui défaille, tout le système qui s’arrête et menace de se dissoudre. Ils sont en apnée.
Je voudrais bien les aider à respirer. Non que je sois, comme eux, en quête d’une raison quelconque : je sais qu’il n’y en a pas. Mais le bruit de leurs suffocations m’exaspère. Quel dommage qu’ils aient supprimé la peine de mort ! Je rêve parfois du dernier bruit sur terre, sec et net, celui du couperet de la guillotine, après lequel il n’y a que silence et obscurité. Mais ils nous ont ôté ce recours.
Le président s’est composé un visage de vieillard bon mais ferme, l’avocat général creuse autant qu’il le peut deux longs plis verticaux autour de sa bouche sans lèvres, les jurés se sont fait des têtes d’humains désemparés. Ils jouent tous irréprochablement leur rôle dans cette pièce qui n’a qu’un seul but : ignorer à tout prix ce que tous abritent au centre d’eux-mêmes, le trou noir qui aspire en son maelström tout ce qui passe à sa portée, toute pensée, toute raison, toute lumière. Leur survie passe par cette lutte acharnée dans laquelle ils s’épaulent mutuellement pour maintenir cette ignorance.
Moi, je sais. Ce noyau de ténèbres, je le connais. Il est en moi. Il est moi. Je le suis. Bien sûr, je l’ai toujours été. Mais il a fallu que je le rencontre, pour le reconnaître et pour m’y reconnaître. Et après cette rencontre, j’ai dû encore errer, chercher. Comment leur dire que ce qu’ils me reprochent, ces trois malheureux cadavres, ne sont que quelques-unes des traces de mes pas sur ce chemin ?
Mon minable avocat a quand même raison sur un point : tout a commencé après le départ d’Agnès. Ce qui s’est alors passé en moi me reste mystérieux. Je ne tenais pas à elle à ce point, je ne crois pas d’ailleurs l’avoir jamais vraiment aimée. Depuis dix ans, nous entretenions une morne routine conjugale. Chacun vaquait à ses occupations, qui n’avaient elles-mêmes rien de bien remarquable, mais rien non plus de vraiment désagréable. De temps à autre, nos corps en se touchant dans le lit retrouvaient une vague excitation oubliée depuis longtemps. Nous ahanions quelques minutes, et nous étions tranquilles pour un bon mois. Ni l’un ni l’autre n’avions jamais été très passionnés, nous n’avions rien à regretter et cette grisaille nous semblait naturelle, et même confortable. La disparition d’Agnès, brutale, totalement imprévue, inexplicable – un mot laissé sur la table, “Je m’en vais. Je ne reviendrai pas” – n’aurait pas dû m’affecter de cette manière. Elle n’était guère plus qu’un meuble soudain manquant dans une pièce. Alors, pourquoi cette hébétude dans laquelle je suis immédiatement tombé ?
Je ne souffrais pas, j’étais vide. Totalement. Du jour au lendemain, je quittai mon travail. Je restais assis dans mon fauteuil, devant le poste de télévision éteint, sans pensées. Seule m’occupait l’esprit la sensation de mes mains que, mécaniquement, de longues heures durant, je frottais l’une contre l’autre.
Des amis s’en inquiétèrent. Ils me poussèrent à sortir : je les suivis passivement dans quelques restaurants ou théâtres, d’où je ressortais aussi vide que j’y étais entré. Ils décidèrent que je devais voyager, changer de ciel, et ils m’organisèrent un séjour aux Antilles. Je me laissai faire.
Loin de me revigorer, les tropiques ne firent qu’empirer mon état. Je tentai pourtant de m’animer, de goûter au soleil, à la mer, au “charme des îles” vanté par mes amis, mais en vain. Tout restait insipide. Les plats les plus épicés ne me laissaient dans la bouche que des brûlures sans saveur. Je visitais consciencieusement les curiosités locales, mais je n’en gardais, le soir même, aucun souvenir. Loin de me réjouir les yeux, la luxuriance de la végétation, la vivacité des couleurs m’accablaient, et je voyais sans regrets venir la fin de mon séjour lorsque, au hasard d’une exploration d’une partie de l’île que je ne connaissais pas et où j’avais jusque là eu quelque répugnance à me rendre, tant la densité de la forêt sur les pentes du volcan qui en occupait l’extrémité me semblait suffocante, je découvris brusquement le sombre paradis qui, depuis ce moment, n’a cessé de hanter mes rêves.
2
Ce jour-là, l’avant-dernier de mon séjour, je parcourais sans enthousiasme, au volant d’une petite voiture de location, la route côtière qui bordait la presqu’île montagneuse dominée par le volcan. On le disait encore en activité bien que sa plus récente éruption remontât au début du siècle dernier. Des anses d’une beauté sauvage, de petites plages de sable blanc baignées d’eau transparente, encadrées de rochers, ombrées de tamaris, parfois de quelques grands palmiers, surgissaient aux détours de la route. Soudain, à la sortie d’un virage, m’apparut un paysage d’une telle beauté que j’en reçus physiquement le choc et en éprouvai un étourdissement qui me fit arrêter en urgence la voiture sur le bas-côté.
Sur toute la face abrupte qui dévalait vers la mer et se découvrait soudain devant moi, le volcan avait vomi sa lave, nappé le flanc de la montagne de coulées de jais torsadées, craché d’énormes blocs aux arêtes émoussées. Au pied de l’avalanche immobile s’étendait une immense plage de sable noir que léchait une mer tout aussi sombre, d’encre impénétrable. La route se poursuivait, rectiligne, au milieu de l’étendue plate et sombre où elle semblait s’absorber et se perdre. Le soleil ne parvenait pas à éveiller une étincelle dans cette matité absolue, à peine effleurait-il, d’une lueur vite éteinte, le friselis fugitif de l’écume des vagues. Je sortis de la voiture. Le silence était total. Il n’y avait pas la moindre végétation, aucun signe de vie. Dans le ciel, pas un nuage, et pas une seule de ces mouettes qui n’avaient cessé tout au long de mon périple de m’accompagner de leur vol et de m’importuner de leurs criailleries. L’air était immobile comme l’eau d’un étang.
Je laissai là la voiture et m’avançai dans ce royaume funèbre. Le sable cédait légèrement sous mes pas, mais lorsque je me retournais, je ne voyais pas la moindre trace de mon passage. La noire densité de toutes choses me rendait immatériel. J’étais transparent. Je sus que j’avais trouvé mon pays.
Je me déshabillai et, laissant mes vêtements sur le sable, je m’avançai nu dans la mer. Elle monta le long de mes jambes, de mes cuisses, et à mesure effaça mon corps, l’absorba dans sa noirceur. Je m’étendis sur le dos et me laissai flotter.
Je restai ainsi, sans pensées, pleinement heureux. Combien de temps ? Je ne sais. Des minutes qui auraient pu être des siècles fuyaient en ondes concentriques autour de moi. Le ciel où se perdait mon regard n’était pas bleu, mais de ce blanc ardent des extrêmes chaleurs. Il n’était pas au-dessus de moi, car haut ou bas, ou toute autre orientation de l’espace, toute l’architecture en laquelle nous nous rassurons d’ordinaire, tout cela n’avait plus de raison d’être et dans ce ciel incandescent j’aurais aussi bien pu craindre de tomber, si “craindre”, “tomber” et même “je” avaient encore eu un sens. Dans ce monde immobile, tous les repères se dissolvaient.
Je ne sais pourquoi ni comment je repris corps et conscience, et je ne cesse de regretter ce moment où une inquiétude vague me gagna et me fit regarder autour de moi. Sans m’éloigner de la rive, j’avais dû beaucoup dériver car je n’apercevais plus la

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