de De si jolies petites plages
122 pages
Français

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Description

De si jolies petites plages aborde la migration, en donnant la parole aux migrants. Ce livre documentaire d’une grande humanité, véritable ethnographie du milieu carcéral américain, est d’une dérangeante actualité.
Récit-reportage sur la première génération de boat people haïtiens qui a débarqué sur les côtes de Floride au début des années 1980. Tour à tour récit, entretien, chronique, théâtre aux accents blues, Jean-Claude Charles documente la tragédie de ces migrants emprisonnés pour « délit de recherche du bonheur ». L’écrivain se fait citoyen et s’engage dans une investigation frontale sur les boat people et la logique barbare des institutions et des États.
Un ouvrage coup de poing.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782897123918
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Jean-Claude Charles
de si jolies petites plages
MÉMOIRE D’ENCRIER
Mémoire d’encrier reconnaît l’aide financière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Conseil des Arts du Canada, du Fonds du livre du Canada et du Gouvernement du Québec par le Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres, Gestion Sodec.
Mise en page : Virginie Turcotte Couverture : Étienne Bienvenu Prise de texte : Cécile Duvelle Dépôt légal : 3 e trimestre 2016 © Éditions Mémoire d’encrier Édition originale : Stock, Paris, 1982.
ISBN 978-2-89712-390-1 (Papier) ISBN 978-2-89712-392-5 (PDF) ISBN 978-2-89712-391-8 (ePub) PQ3949.2.C4D48 2016 848’.914 C2016-941333-0
MÉMOIRE D’ENCRIER 1260, rue Bélanger, bur. 201 • Montréal • Québec • H2S 1H9 info@memoiredencrier.com • www.memoiredencrier.com
Fabrication du ePub : Stéphane Cormier
du même auteur
poésie
Négociations , Paris, Éditions P.J Oswald, coll. « J’exige la parole », 1972; Montréal, Mémoire d'encrier, 2015.
5+1 Lettres à Elvire , poèmes enveloppés d’une lithographie de Télémaque, Genève, Éditions Les Yeux Ouverts, 1990.
Free 1977-1997 , Paris, Sapriphage , n o 33, 1998.
essais
Le Corps noir , Paris, Hachette / P.O.L, 1980.
De si jolies petites plages , Paris, Stock, 1982.
romans
Sainte Dérive des Cochons , Montréal, Nouvelle Optique, 1977.
Bamboola Bamboche , Paris, Bernard Barrault, 1984; Montréal, Mémoire d’encrier, 2016.
Manhattan Blues , Paris, Bernard Barrault, 1985; Montréal, Mémoire d’encrier, 2015.
Ferdinand, je suis à Paris , Paris, Bernard Barrault, 1987.
À ma mère qui a travaillé toute sa vie pour aller au Ciel.
remerciements
Mémoire d’encrier entreprend la réédition des œuvres de l’écrivain Jean-Claude Charles. Un grand merci à sa femme Cécile Duvelle, sa fille Elvire Duvelle-Charles et à Martin Munro de Winthrop-King Institute for Contemporary French and Francophone Studies.
Dear Master I rite you theas fue lines to imform you that I am very unwell but the rest of the family are well and I hope that theas fue lines wil find you the Saim

Lettre d’un ancien esclave (Peyton Skipwith, Monrovia) à son ancien maître (John Hartwell Cocke, Virginia), 9 mai 1838.

Cher Maitre je vous écri ce quelqe lignes pour vous informe que je ne suis pas bien du tout mais le reste de la famille son bien et j’espere que ce quelqe lignes vous trouveron de Meime.
1 ouverture

Invitation au voyage. À Paris, dresser les cartes. Sans quoi, pas de navigation.
1
J’ai passé la journée à tirer sur cette satanée pipe de bruyère gainée de cuir, en écoutant Charlie Mingus, Haitian Fight Song. La contrebasse de Charlie m’a lâché en pleine nuit, avec ces idées qu’on dit noires… L’exode des Haïtiens, ça n’intéresse personne. Depuis la fin des années cinquante, ils prennent la mer, au péril de leur vie : ça n’intéresse personne. Ils sont bloqués, coulés, enfermés, refoulés : ça n’intéresse personne. Couples séparés, enfants déclarés « non accompagnés » et isolés, nouveaux arrivants détournés : ça n’intéresse personne. 13 % de gynécomastie chez les hommes, fausses couches provoquées chez les femmes : ça n’intéresse personne. Le jour où le baril de poudre explosera, le jour où le sang coulera, ça intéressera tout le monde, peut-être… Puis j’ai rêvé du chemin blanc. La nuit a fait son sûr travail de sape.

2
Chemin blanc où court un buggy sans cheval. Sur la banquette gît un corps, évanoui, endormi ou peut-être mort. Il porte un anorak rouge. À quelques mètres derrière, cavale un enfant qui tente manifestement d’arrêter la course du véhicule, avant qu’il n’aille percuter un arbre. Il porte une chemisette bleue. Attablé devant ma machine à écrire, regardant par la fenêtre se dérouler la scène, je tire doucement sur ma pipe.

3
La nuit a mis en place les voix. Celle qui communique et celle qui ne répond plus, celle qui informe et celle qui déparle, l’une n’existe pas sans l’autre, dans cette histoire il n’y a pas de héros positif.

Quelques crapules, qui me réveillent.

4
Ils sont, au total, un million d’Haïtiens qui ont fui la dictature des Duvalier et le pays le plus pauvre du monde occidental. Haïti, c’était la colonie française la plus prospère, où les esclaves se révoltèrent vers la fin du xviii e siècle, fondant ainsi la première république noire du monde. Jean-Claude Duvalier, successeur désigné de son père François Duvalier, règne aujourd’hui sur ce baril de poudre avec la bénédiction de Washington. Jusqu’à quand? La sagesse populaire voit volontiers en ces dirigeants l’orage qui aura achevé la mise en ruine d’une société incendiée depuis belle lurette. L’Amérique de Reagan aura cherché à en finir avec les sinistrés eux-mêmes. Quelle sera la prochaine étape?

5
Cette manie, chaque fois qu’on parle d’Haïti, de remonter aux conquistadores. Il était une fois trois caravelles : la Pinta, la Niña et la Santa Maria … 6 décembre 1492. « Es una maravilla! » Les Indiens d’Haïti vont découvrir Christophe Colomb. On sait ce que le navigateur a dit : « C’est une merveille! » On ne sait pas ce qu’ils ont dit, les Indiens. On suppute, on devine, on échafaude… George Orwell, de mémoire : « L’Histoire n’est jamais écrite que par les vainqueurs » … La suite? Las!

6
Jadis, esclaves sur les plantations, on « allait marron » dans les montagnes. C’est ce que disaient les avis de recherche des fugitifs, publiés par la presse française de l’époque. C’était à Saint-Domingue – nom colonial d’Haïti – au xviii e siècle. Plus tard, sous l’occupation américaine (1915-1934), on menait la guerre de guérilla contre les marines. Aujourd’hui, on s’expatrie.

7
Cette manie, encore : on, nous … Nous sommes un million. Le chiffre chante dans la tête de chaque Haïtien-à-l’étranger. Être Haïtien-à-l’étranger, c’est une vraie nationalité. Citoyen du pays sans bornes de l’Exil. Il y a même un mot pour ça : diaspora . Un mot généralement attaché aux Juifs. Les Haïtiens-à-l’étranger sont les nouveaux Juifs des temps modernes. J’ai même rencontré un compatriote qui rêvait d’une Terre promise où pourraient se réunir tous les Haïtiens-à-l’étranger. Ils y construiraient, disait-il, une société idéale. Je me suis bien gardé de lui lancer la première pierre. Idéalisme pour idéalisme…

8
Et pourtant, affaire d’origine, de position de classe, de trajets biographiques singuliers, nos histoires ne sont pas identiques, interchangeables. Le refus de la tragédie constitue mal une mesure commune. Nous savons que ce refus n’en finit pas toujours avec la tragédie, avec la folie du pouvoir, avec la mort. Je dis « nous » par solitude.
Hier encore, il y avait des contradictions secondaires et des contradictions principales. L’aspect principal des contradictions secondaires et l’aspect secondaire des contradictions principales. J’arrivai ainsi, de pas de claquettes en exercices de voltige, à lancer assez loin le yo-yo de la dialectique. Qui m’est finalement retombé sur la gueule.

9
« … je lui parlais (Frisch à Brecht) de l’Allemagne telle que je la connaissais de voyages, de Berlin détruit. Venez me voir rapidement, me disait-il, pour m’en dire plus. Peut-être ça vous arrivera aussi un jour, disait-il sur le perron de la gare, que quelqu’un vous parle de votre patrie et que vous l’écoutiez comme s’il vous parlait d’une contrée lointaine quelque part en Afrique » (Max Frisch, Journal 1966-1971 ).

10
À distance, le regard s’accommode.
Une manière comme une autre de se compter, en deçà ou au-delà de toute querelle – sauf à porter le soupçon sur les chiffres ronds :
New York, 300 000 Haïtiens; la Floride, 60 000; la République dominicaine, 300 000; les Bahamas, 40 000; le Québec, 30 000; la Guyane, 10 000; la France, 8 000; la Guadeloupe, 7 000…
Jusqu’à 1 000 000. Un ordre de grandeur.

11
L’historique de cette émigration pourrait être résumé en trois vagues.
La première remonte aux années vingt, c’est celle des braceros, les coupeurs de canne de la République dominicaine, à l’est de l’île d’Haïti, et de Cuba. Elle a une référence littéraire : le roman Gouverneurs de la rosée, de Jacques Roumain. Elle est toujours d’actualité, avec un trafic annuel de main-d’œuvre entre Haïti et la République dominicaine, justement assimilé à une forme d’esclavage par la Société antiesclavagiste de Londres. Entre les 28 258 travailleurs haïtiens recensés dans les centrales sucrières dominicaines en 1920 et cette condamnation morale, il y eut même un génocide, un de ces épisodes honteux de l’histoire des Caraïbes, vite chassé des mémoires : en 1937, les sbires du tyran Rafael Leonidas Trujillo massacrèrent plus de 12 000 braceros haïtiens dont personne ne savait plus quoi faire. Ces « incidents » (euphémisme officiel) n’empêcheront pas les pouvoirs des deux pays de se marier et d’avoir aujourd’hui beaucoup d’enfants… en dollars.
La deuxième vague découvre l’Amérique à partir des années soixante. Cadres, hommes d’église, ouvriers, artisans, très peu de paysans… 48 443 résidences agréées entre 1963 et 1972 par le service américain de l’immigration (I.N.S., retenez ce sigle qui reviendra souvent), en plus du nombre incalculable d’installations illégales de « touristes » qui ont oublié(?) de rentrer au bercail. Cette vague touche également l’Europe où n’allait traditionnellement que la bourgeoisie et l’Afrique de la décolonisation en quête de cerveaux. Elle reste, comme la première, portée par des motivations économiques, mais…
Avec la troisième vague, l’absurdité du maintien de la dichotomie économie / politique devient évidente. Pour la première fois, une paysannerie farouchement attachée à sa terre n’hésite pas à la quitter. Cette vague connaîtra sa première crête visible le 12 décembre 1972, avec l’arrivée des premiers boat-people haïtiens aux États-Unis : 65 personnes sur un bateau, acheminées vers des centres d’hébergement. Le Mayflower des damnés de la glèbe et du glaive.

12
Dehors, tombe soudain une grêle bruyante, était-ce bien ce jour-là? J’écris plus tard, j’ai pris des notes, des

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