Crique-serpent
298 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Crique-serpent , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
298 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Dans la chaleur moite de la forêt guyanaise, deux personnages que tout oppose en apparence (un Suédois et un Guadeloupéen) sont martyrisés par leurs démons intérieurs. Ils vivent conjointement une descente progressive dans la folie la plus totale, sous l'égide du philosophe danois Kierkegaard, se croyant investis d'une mission divine. Ils entreprennent d'exterminer la population entière de Saint-Laurent-du-Maroni, sous-préfecture de la Guyane.

Le pire, c'est qu'ils y parviennent ! Quelle jubilation ! Quel feu d'artifice final !

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 24 août 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414101153
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-10113-9

© Edilivre, 2017
Chapitre 1 Blanc-peau
Mmm… C’est ça, la Guyane ? Ben ça promet !
Je venais de quitter Rochambault et j’étais devant un port minuscule au bout d’un quartier au nom rigolo, Mirza. Devant moi : une immense flaque de boue, jusqu’à l’horizon. C’était marée basse ; des cohortes de crabes à pince unique survolaient la gadoue.
Plutôt merdique, tout ça !
Sur le quai, deux individus nettoyaient la coque d’un catamaran bien fatigué. Sous l’effet du soleil, leur visage flambait.
C’est spécial, ici ! Hein, les gars ? Non ? Vous trouvez pas ?
Mffouais ! Broumpff…
Pas un regard… Ils étaient hargneux, ces pèlerins, alors mon sac à dos et moi nous les laissâmes tranquilles. Des tapouilles brésiliennes amarrées en bas de la digue avaient l’air d’avoir déjà vécu plusieurs vies. Quelle puanteur ! Quelle chaleur !
À crever ; le ciel était deux fois plus grand qu’en Suède, tel un énorme réservoir de canicule meurtrière – une épidémie suffocante. Dans cet enfer, j’aperçus un bâtiment qui pouvait éventuellement passer pour une église. Où voyaient-ils leur paradis, ses fidèles ?
Je m’en fichais, de tout ça. L’urgent était de me trouver un job, car j’avais dans mes poches de quoi tenir trois semaines au maximum. J’étais habitué aux situations d’urgence, mais néanmoins il valait mieux ne pas traîner.
Nous étions lundi ; je me rendis à l’agence pour l’emploi, rue De Gaulle. Sur les trottoirs, les gens étaient habillés comme sur la Côte d’Azur en août ; ils se traînaient, aussi mous que de la mie de pain, le long de rues plutôt crasseuses. Une marmelade humaine sur laquelle cette journée s’abattait sans pitié pour faire fondre ces imprudents.
À l’agence, une créole propre comme un sou neuf, parfumée et récurée, portant élégamment des Ray Ban et une chemise Lacoste rose, gloussa tranquillement quand je lui demandai si, éventuellement, il n’y aurait pas un petit boulot pour un pauvre Suédois, un boulot bien payé et pas trop fatigant, dans une librairie perdue dans la jungle, par exemple. Ou dans une pizzeria, sur une plage bien ventilée et bien fréquentée.
– Oh, vous, alors, hi hi hi ! Une librairie dans la jungle ! Tchiip ! Quand elle ne s’étranglait pas de rire, elle faisait de drôles de bruits avec sa bouche, en cascade. Je le prendrais pour moi, ce boulot, s’il existait ! Hi hi hi !
– Pour me faire plaisir, elle me demanda quand même mon nom.
– Peter Dahlqvist…
– Ça se prononce comment ?
– Je viens de vous le dire !
Pffschh… Ne vous énervez pas ! Je voulais dire : comment ça s’écrit ?
Elle tapota sur un clavier puis, un quart d’heure plus tard, j’avais rempli et signé un dossier, et j’étais sur le point de ressortir évidemment bredouille, quand elle me rappela :
– Monsieur Dahlqvist ! En fait, pourquoi ne faites-vous pas comme les Métros ?
– Les qui ?
– Les Français…
– C’est-à-dire ?
… Pour un travail autre que coupeur de canne ou bûcheron, hi hi, les métros s’adressent à l’administration : DDE, hôpital, Inspection Académique… Même à la préfecture, il y a parfois un petit job ! Ou l’ONF ! Les impôts ! Vous savez, en Guyane, on recrute beaucoup d’auxiliaires ! Surtout les écoles, et l’hôpital. La police, moins (elle prononçait « moinss ».) Vous avez un diplôme d’enseignement supérieur ?
– Ah ! Euh… Mais oui !
Ça suffira, sûrement. Hi hi hi !
Elle riait tout le temps. C’est beau, l’optimisme. Ou la connerie. Ou les deux ! N’empêche que c’était peut-être une bonne idée, ça ; je me voyais très bien dans un hôpital, faisant un pansement sur une morsure de piranha, ou répondant au téléphone, à la Préfecture. « Allo… Non ! Non ! Non !… »
L’important : toujours dire non !
Je lui demandai au passage de m’expliquer un certain nombre de sigles français, EDF, RN1, DDE, FR3, elle répondit en faisant toujours les mêmes bruits avec sa bouche, et, cinq minutes plus tard, je lui dis au revoir. Je lui fis presque la bise, à la française.
Fonction publique… C’est vaste. Je réfléchis, très peu d’ailleurs, car c’était le milieu du mois d’août, à Cayenne, et qu’il faisait beaucoup trop chaud pour fatiguer mon cerveau inutilement.
ONF ? Connais pas. Prof ? La rentrée scolaire, dans ce pays, était le 10 Septembre, dans un peu moins d’un mois. J’hésitais. J’aurais préféré un hôpital car les malades sont plus faciles à dresser que les élèves, disait ma grand-mère. Alors ? Pile ou face : catastrophe, ce fut prof… Je pris résolument la direction de Monjoly. Enseigner ! Moi ! Quelle bonne blague ! Enseigner quoi, au fait ? Le suédois ? Non. L’anglais ? Tout le monde parle anglais, en Suède, alors allons-y pour l’anglais.
C’est petit, Cayenne… Je trouvai bientôt l’Inspection Académique, l’IA, un bâtiment deux fois moins grand qu’un lycée de taille moyenne à Stockholm, deux fois plus miteux et trois fois plus triste. Je me sentais comme un gars qui s’engage dans l’armée ; au fait, mes cheveux étaient peut-être trop longs ? On verrait ça plus tard.
Sur place, un petit groupe, hommes et femmes, entre vingt et trente ans, des blancs et des noirs, mollement fiévreux, le dos appuyé au mur, attendait déjà dans le sauna de cette vénérable bâtisse. Je tombais bien ! Il y avait justement une réunion d’information concernant la rentrée des maîtres-auxiliaires. Je serais parmi les premiers servis ; le destin m’aimait peut-être. Je patientai le temps qu’il fallut, et, à quatre heures, la secrétaire m’annonça qu’effectivement on avait besoin d’un prof d’anglais, mais que c’était à 300 kilomètres, de l’autre côté de la Guyane, à Saint-Laurent, dans le Far-West.
– Je vous préviens, c’est en ZEP. Le titulaire du poste, un certifié de Saint-Martin, est en congé de longue maladie depuis sa titularisation en juin. C’est une sorte d’exploit, tomber malade en plein milieu des vacances, hein ?
Dieu fasse qu’il reste longtemps dans son lit !
– Vous acceptez la vacation ? Signez ici ; et ici ; et ici.
Je signai (là, là et là).
Elle avait l’air bien soulagée d’avoir trouvé quelqu’un – mauvais signe.
Selon mon contrat, j’allais donc travailler dans un collège de ZEP. Je demandai à la secrétaire quel genre de ville c’était, Saint-Laurent ; elle réfléchit un instant :
– Ben ça dépend un peu des Jungle Commandos ! Vous avez entendu parler des Jungle Commandos, n’est-ce pas ?
– Non…
– Tschh… Vous venez d’où ?
– De Suède.
– Ah ! Vous verrez sur place.
– Et ZEP, ça veut dire quoi ?
– Suivant !
Ça s’annonçait pas très facile, mon expédition, mais j’en avais vu d’autres. L’important, c’était d’avoir un boulot à l’année, du premier coup ! Une autre bonne nouvelle : à l’époque, les fonctionnaires français des Départements d’outre-mer, ces veinards, percevaient une bonification de 40 % par rapport au salaire métropolitain, pour des raisons de cherté et de pénibilité de la vie que personne ne m’expliqua. J’ignore si c’est toujours le cas, mais ce petit détail rendait mon futur salaire de prof débutant tout à fait acceptable.
* *       *
Je pris un taxi-brousse, le lendemain, à l’aube. Je n’avais pas passé plus de 24 heures à Cayenne, cette banlieue douteusement parfumée.
Nous étions six dans la Toyota à mariner chacun dans son jus, au milieu des odeurs de gas-oil. Ça causait avec animation, dans l’auto… Je n’écoutais pas vraiment la conversation ; le paysage défilait sous mes yeux : une longue savane avec parfois quelques bicoques dignes d’un bidonville brésilien. Pas de champs, pas une seule ferme.
Un des clients du taxi était accompagné d’un porcelet qui gigotait entre ses jambes. Il s’était pris les pattes dans la ceinture de sécurité qui traînait par terre ; personne en Guyane n’aurait eu l’idée saugrenue de s’attacher.
– Pourvu qu’il ne nous pisse pas dessus !
– Qui ? Brunschwig ?
– Hi hi hi ! Ce Brunschwig et sa tête de cochon ! Qu’il reste à Albina !
– Hi hi hi !
– Les pauvres ! A Saint-Laurent, on ne rigole pas tous les jours !
– Ça, non !
Comme ma créole parfumée de la veille, ils faisaient parfois un sifflement grinçant avec leur langue, à l’instar des Zoulous cliqueurs ; c’était peut-être un signe d’irritation – et ils devaient être souvent irrités. J’essayai plus tard de le faire à mon tour, ce drôle de tchîîp ; sans succès : ma langue dérapa lamentablement.
Ronnie Brunschwig était-il le chef des Jungle Commandos ? Ce n’était pas mon problème pour l’instant.
Après Kourou, nous n’étions plus que trois (un Sinnamarien, un Iracoubien et moi) dans le taxi, sans compter le chauffeur. Mes deux voisins somnolaient, bercés par le ronronnement du diésel. Sur le côté gauche de la RN1, bâtie voici longtemps grâce à la sueur, au sang et aux larmes des bagnards, j’admirai à loisir le mur vert de cette forêt amazonienne bien connue des écologistes, qui avait succédé à la savane de Kourou. En bon Suédois, j’imaginai tout ça grouillant d’une vie très primitive et très pittoresque. Ô Pays vierge et mystérieux… M’offriras-tu mine d’or ?
On traversa de petits villages poussiéreux, écrasés par la clarté éblouissante de cette aciérie en fusion, le ciel tropical.
Sitôt franchis Trou Poisson et la Crique Margot, trois heures et demie plus tard, nous étions enfin à Saint-Laurent, la sous-préfecture du 973. J’étais naze : la température s’amusait à mettre mon cerveau au bain-marie.
Au terminus, j’étais seul dans la Toyota, les deux endormis étant descendus dans leurs villages soi-disant pleins de sérénité. Devant la petite église du centre ville, le taxi fit le plein d’essence et de passagers pour Cayenne, et il repartit.
Midi.
* *       *
Le collège était tout près. Autant y aller tout de suite ; j’étais curieux de voir à quoi ressemblait un collège français

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents