Coups bas au quotidien
226 pages
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Coups bas au quotidien , livre ebook

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Description

Diagana, un jeune laborantin, rencontre le vieux M'boirik aux abords du marché de la capitale, quartier situé au cœur de la ville de Nouakchott. M'boirik lui fait cadeau d'un journal très volumineux. Un des chapitres de ce journal relate la vie de M'bareck, le frère disparu de M'boirik. Le jeune laborantin entame alors la lecture de ce journal au rythme des jours. Il y découvre une série de récits autonomes faisant partie d'un tout aux éléments indissociables. Chaque lecture est une découverte d'une nouvelle libre offrant un regard particulier sur la réalité mauritanienne, réalité pleine de rebondissements et de surprises. Coups bas au quotidien est en ce sens un recueil de nouvelles qui allie le réel au fantastique, pour une profonde compréhension des mystères de la vie.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 juillet 2020
Nombre de lectures 11
EAN13 9782414439171
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
194 avenue du Président Wilson – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-43944-7

© Edilivre, 2020
I. Le cortège
Vendredi 16 juin ! Je me promenais aux environs du marché de la capitale, du côté de la polyclinique. Il avait plu ce jour-là. Nouakchott sous la pluie est un véritable enfer. Les rues recouvertes d’une boue noirâtre sont impraticables. Des odeurs de cadavres en putréfaction se répandent partout. Un véritable mal de l’air. Des escarmouches entre mendiants, des injures de chauffeurs coincés dans d’interminables embouteillages, des bousculades entre piétons marchant sur une rangée de bidons en plastique pour traverser un marais nauséabond.
Le chaos devenait complet quand un camion gros-porteur se mettait en travers de la chaussée pour débarquer des marchandises destinées aux magasins ouverts aux abords du marché. La plongée dans la boue inévitable, des injures fusaient de partout, dans toutes les langues du pays.
J’ai voulu emprunter le pont-à-bidons aménagé par un jeune qui exigeait vingt ouguiyas comme frais de passage. Je préférais traverser d’abord, ensuite payer les frais. Cela l’a énervé. Il m’a rudement empoigné.
– Ghasra amrak, matté ka dédado 1 ! Insulta-t-il. Tu paies ou tu retournes. Ce pont m’appartient. C’est moi qui ai fait l’effort de le construire. La loi et la bienséance exigent qu’on paie avant de traverser et non l’inverse.
Offensé, je me suis débattu pour me libérer des mains de ce trapu. J’ai ramassé un gros caillou et j’ai voulu le lui jeter à la figure. A ma grande surprise, un vieillard, barbe touffue, est venu intercéder en sa faveur. Où un homme aussi âgé, au corps branlant de faiblesse et de fatigue, prenait-il le courage de se jeter sur moi pour extraire un caillou de ma main ? Sans aucune hésitation !
– Reste tranquille ! cria-t-il, la bagarre n’a jamais servi de rien pour régler les problèmes.
Le respect de la vieillesse m’a calmé. J’ai demandé au jeune de me pardonner de m’être emballé de la sorte. Lui, très agité, m’a rétorqué que le pardon était la plus habile des feintes en Mauritanie puisque les citoyens prenaient du plaisir à commettre n’importe quel crime pour enfin tout enterrer avec un simple et magnanime SIMAH.
J’étais confus, mais vigilant tout de même, vu la robustesse de ce garçon visiblement déterminé à en découdre avec moi. Je savais aussi qu’ici à Nouakchott, les bagarres dans la rue étaient un spectacle adoré pour les malfaiteurs, une occasion en or offerte aux voleurs pour chaparder ou agresser çà et là. Alors, pensant à cet état de fait, je me suis ressaisi de crainte d’attirer la foule.
Le vieillard, très content de mon attitude à son égard, m’a serré la main et l’a secouée comme s’il voulait l’arracher.
– Tu t’appelles comment ? m’a-t-il demandé.
– Je m’appelle Diagana !
– Tu es soninké ou sarakolé ?
– Les deux ! Je suis soninké, je suis sarakolé, puisqu’il n’y a aucune différence.
– Et depuis quand les Soninkés ont-ils perdu leur légendaire flegme au point de ne plus hésiter à s’en prendre aux jeunes débrouillards de Nouakchott ? Veux-tu confirmer cette idée reçue de ceux qui ironisent sur les Soninkés en disant qu’ils sont prêts à tout pour conserver leur argent ?
J’ai éclaté de rire. Le vieillard m’amusait. Il croyait que ma colère était simulée et que c’était une ruse pour éviter les frais de passage. En fait, je m’étais emporté parce que j’étais indigné. Un Soninké ne tolère jamais l’impolitesse d’un cadet, fut-il peul, wolof, bambara, haratin ou beydane.
Le vieillard me considéra longuement et sourit.
– Où vas-tu avec ton long caftan ? me lança-t-il encore.
Ce vieillard au dos courbé me cherchait-il chicane ? Impossible de le savoir ! Sa mine défigurée augurait une dangereuse prédisposition au combat. Cependant, quelque chose en lui révélait cet orgueil ingénu des personnes âgées qui s’arrogent tous les droits, loin de la méchanceté ou de l’injustice. Pensant à tout cela et en signe de respect, j’ai baissé mes yeux.
J’aurais dû être habitué à ce type de tempérament. Mon grand-père, de son vivant, n’hésitait jamais à gronder mon père et mes oncles pour avoir exhibé leur affection. Il soutenait que montrer aux enfants qu’on les aime, c’est leur insuffler la faiblesse du cœur. Ce vieillard avait peut-être évolué dans le même cercle social que mon grand-père. J’ai donc décidé de le laisser faire sans lui opposer la moindre résistance.
Le vieillard me saisit par la manche de mon caftan qu’il salissait avec de la boue et me tira loin du pont-à-bidons. Il me demanda si j’avais pris mon petit déjeuner et si une dispute n’avait pas éclaté entre mon épouse et moi avant de quitter la maison. Je ne comprenais pas où il voulait en venir.
– Où vas-tu ? insista-t-il.
– Je me promène. J’ai travaillé toute la journée d’hier ; aujourd’hui j’ai choisi de me reposer. Et toi grand-père, comment t’appelles-tu ? Qu’est-ce qui t’emmène jusqu’aux abords de ce marché, un lieu réputé incommode ? Pourquoi as-tu intercédé en faveur de ce jeune intrépide ?
Le vieillard me dévisagea longuement. Un sourire funeste se dessinait sur ses lèvres. Après une minute de silence, il a éclaté en sanglots, la figure enfouie dans les pans de son boubou. Je n’ai jamais vu auparavant un vieillard pleurer ; quelle épouvante !
– Que se passe-t-il grand-père ?
– Dounya maaw chi 2 ! rétorqua-t-il.
Le vieillard s’appelait Mboirick et n’avait pas de famille à Nouakchott où il était arrivé trois ans auparavant. Il était originaire d’Egreyatt, une contrée perdue, dissimulée dans les profondeurs de la Mauritanie.
Je ne connaissais pas cette contrée. Mais je m’intéressais plus à découvrir l’histoire du vieillard plutôt que de m’apitoyer sur le sort d’une contrée méconnue. J’ai alors pris l’homme par la main et avec les pans de mon caftan, je lui ai nettoyé le visage. Il m’a remercié en me tâtant la tête.
– J’étais venu à Nouakchott à la recherche de mon frère, expliqua-t-il. Après plusieurs efforts, je n’ai eu la moindre information sur lui. Son épouse et ses enfants, revenus sans lui au village, n’ont pas résisté à l’épidémie de choléra. Ils sont tous morts alors que j’étais encore au Mali. Mon frère et moi, nous nous sommes séparés il y a plusieurs décennies. Nous ne nous sommes plus revus. A Nouakchott, j’ai découvert qu’il travaillait dans un cimetière. Je me suis rendu donc à la maison des martyrs dans l’espoir de le retrouver. Hélas ! Le gardien des lieux m’a informé que le pauvre n’était plus de ce monde. Il m’a remis un vieux journal. Quelques pages de ce journal racontent la vie de mon défunt frère. J’ai appris à parler français. Mais je ne sais ni lire ni écrire ! Alors, en souvenir, je l’ai photocopié et l’original, je l’ai soigneusement gardé. Si tu veux découvrir l’histoire qui me hante, viens et suis-moi. J’ai caché ce journal dans un trou, derrière le lycée des jeunes filles. Je te le donnerai afin que tu le lises à tout le monde. Fais en sorte que l’histoire de mon unique frère ne soit pas définitivement oubliée.
Le vieillard m’a laissé seul devant le musée national. Il est parti d’un pas empressé, haletant, crachant comme s’il avait la nausée. Etait-ce un fou ? Appâté pourtant par son curieux récit, Je craignais qu’il ne se rétracte. Mon cœur battait fort ; ma tête devenue lourde entamait ma patience. Je l’attendis sous un arbre, à proximité de deux badauds jouant aux dames. Mes pensées s’enchevêtraient éprouvant ma patience.
Trente minutes de dure attente ! Je m’apprêtais à partir , déçu, quand à ce moment même il revint, à petits pas pressés, légèrement titubant et portant une liasse de papiers jaunâtres à la main. Ses bras maigres, recouverts d’une peau flasque, aux veines et tendons apparents, tremblotaient sous son boubou trempé. J’étais ému. Il gémissait sans arrêt. Quand la poitrine ne peut plus contenir le cœur gonflé sous l’effet du chagrin, le corps, averti du divorce par de maints craquements, ploie sous le joug de la fatigue et de la détresse. C’est le chaos, c’est l’impasse. La seule issue, c’est le repos dans la nuit éternelle, c’est le sommeil forcé dans le royaume des ténèbres. Ce vieillard était mourant ; mais il lui restait encore quelque mystérieuse énergie.
Avant de partir, il m’a expliqué qu’il avait pleuré, parce que je ressemblais fort à son frère. Son arrogance était probablement une manœuvre pour me clouer plus longtemps devant lui. Malgré tout, Je fus durement touché de la tendresse des mots prononcés pour me rapprocher physiquement de son frère.
– Vous vous ressemblez comme deux brins de spaghetti, répéta-t-il.
Cette nouvelle comparaison m’amusa. Son frère devrait me ressembler comme si nous étions de vrais jumeaux. Il a pensé au brin de spaghetti parce que j’étais mince et qu’il m’avait trouvé facile à briser et à jeter par terre. Je riais à en perdre la voix.
Lorsque je revins à moi, j’étais dans une hilarité sans bornes. Le vieillard débarrassait ses chaussures de la boue qui les rendait plus lourdes. Il me tapota la joue avec la liasse de papiers.
– Tiens ! Voici le vieux journal. Lis-le et fais-le lire à tout ton entourage. Adieu !
– Ne voudrais-tu pas que je te le lise, grand-père ?
– Je connais déjà cette histoire. Je passais le journal aux demoiselles qui sortaient chaque midi de ce lycée des jeunes filles. Elles me l’ont lu plusieurs fois. Elles croient que je suis fou. Elles m’appellent le Vieux au vieux journal. Dès qu’elles m’aperçoivent, elles rient et se préparent à me poser de bizarres questions. « Peux-tu chanter ? Peux-tu danser pour nous ? Peux-tu nous dire qui est le président ? » Je me montrais coquin en chantant et en dansant comme un véritable clown. Je leur répondais que tous les présid

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