Capharnaüm
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Capharnaüm , livre ebook

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Description

« Les objets comblent un vide en moi, je n’en possède jamais assez, toujours une nouveauté s’ajoute, presque chaque jour. Seulement, la maison n’est plus assez grande pour abriter cet amoncellement de merveilles, montagne de trésors où je me vautre. Les objets qui peuplent ma vie me parlent, ils sont pour moi un refuge, et les araignées sont ma seule compagnie. Elles ont une place d’honneur chez moi. Elles tissent leurs maisons de soie dans le ciel de mon bric-à-brac ; partout leurs toiles envahissent les plafonds, elles sont comme des voiles dans la porte d’entrée. Je suis la maman-araignée dans la toile amoureuse de ses enfants-objets. »
Établie à Ottawa depuis plus de quarante ans, Nancy Vickers a publié de nombreux romans et contes, dont les univers se trouvent à la frontière du fantastique, du gothique et de l’érotisme. Fascinée par les accumulateurs compulsifs, mieux connus sous le nom de hoarders, la romancière explore ici, dans un récit déjanté, ce syndrome de Diogène qui mène les personnes qui en sont atteintes au pire désordre, voire à la folie.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 08 février 2022
Nombre de lectures 2
EAN13 9782895978893
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

COLLECTION INDOCILES dirigée par Ariane Brun Del Re
 
CAPHARNAÜM
DE LA MÊME AUTRICE
Sous le nom de Nancy Vickers
Maldoror (roman) , Ottawa, Éditions David, 2016.
Aeterna. Le jardin des immortelles (poèmes et photographies), Ottawa, Éditions David, 2008.
Le rocher de l’Ange (conte), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2005.
La Petite Vieille aux poupées (récit), Ottawa, Éditions Trois / Éditions David, 2002. Prix de la Ville d’Ottawa.
Les satins du diable (roman), Ottawa, Éditions du Vermillon, 2002.
Les sorcières de Chanterelles (conte fantastique), Ottawa, Éditions du Vermillon, 1996, coll. « Marie-Louve », nº 3.
Le trône des maléfices (conte fantastique), Ottawa, Éditions du Vermillon, 1994, coll. « Marie-Louve », nº 2.
La montagne de verre (conte fantastique), Ottawa, Éditions du Vermillon, 1993, coll. « Marie-Louve », nº 1.
Au parfum du sommeil (poèmes), Ottawa, Éditions du Vermillon, 1989, coll. « Rameau du ciel », nº 2.
Sous le nom de Anne Claire
Les Nuits de La Joconde (roman), Laval, Éditions Trois, 1999, coll. « Coralline », nº 3.
Tchador (roman, postface de Marie-Claire Blais), Laval, Éditions Trois, 1998, coll. « Coralline », nº 2.
Le pied de Sappho (conte érotique), Laval, Éditions Trois, 1996, coll. « Coralline », nº 1. Prix Trillium 1996.
Sous le nom de Barbara Brèze
L’Hermaphrodite endormi (conte érotique), Laval, Éditions Guzzi, 1999, coll. « Les Interdits », nº 1.
Nancy Vickers
Capharnaüm
ROMAN
avec la collaboration de Gloria Escomel
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada
Titre : Capharnaüm / Nancy Vickers, avec la collaboration de Gloria Escomel.
Noms : Vickers, Nancy, 1946- auteur. | Escomel, Gloria.
Collections : Indociles.
Description : Mention de collection : Indociles
Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20210371056 | Canadiana (livre numérique) 20210371099 |
ISBN 9782895978350 (couverture souple) | ISBN 9782895978886 (PDF) | ISBN 9782895978893 (EPUB)
Classification : LCC PS8593.I323 C37 2022 | CDD C843/.54— dc23
Nous remercions le Gouvernement du Canada, le Conseil des arts du Canada, le Conseil des arts de l’Ontario et la Ville d’Ottawa pour leur appui à nos activités d’édition.

Les Éditions David 269, rue Montfort, Ottawa (Ontario) K1L 5P1 Téléphone : 613-695-3339 | Télécopieur : 613-695-3334 info@editionsdavid.com | www.editionsdavid.com
Tous droits réservés. Imprimé au Canada. Dépôt légal (Québec et Ottawa), 1 er trimestre 2022
À celles et à ceux dont la maison est trop pleine
Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?
Alphonse de L amartine Harmonies poétiques et religieuses
1
Elsa la Bottine
Ma vie ressemble à un roman qui aurait débuté le jour de ma naissance. Le sein de ma mère ou le biberon ? Le biberon. Ma vie est un roman d’amour avec des objets. Le roman d’une thésauriseuse, qui commencerait ainsi :
On m’appelle la Dame aux araignées parce que, lorsqu’elles croisent mon chemin, je crois que c’est soit pour approuver ce que je viens de faire, soit pour annoncer de l’argent à venir. Je pense aussi que leurs toiles me mènent à mes proies. Mes proies : les objets.
On dit aussi, derrière mon dos, que j’ai une araignée au plafond. Mais je ne suis pas folle, je suis simplement en manque de quelqu’un ou de quelque chose. Les objets comblent un vide en moi, je n’en possède jamais assez, toujours une nouveauté s’ajoute, presque chaque jour. Seulement, la maison n’est plus assez grande pour abriter cet amoncellement de merveilles, montagne de trésors où je me vautre. Les objets qui peuplent ma vie me parlent, ils sont pour moi un refuge, et les araignées sont ma seule compagnie. Elles ont une place d’honneur chez moi. Elles tissent leurs maisons de soie dans le ciel de mon bric-à-brac ; partout leurs toiles envahissent les plafonds, elles sont comme des voiles dans la porte d’entrée.
Je suis la maman-araignée dans la toile amoureuse de ses enfants-objets.

Il fait nuit dans ma maison pleine à craquer. Tout est noir autour de moi, tout déborde. Pour m’éviter une chute, je m’éclaire avec ma lampe de poche, car je n’ai plus l’électricité depuis quelques jours. Heureusement que c’est l’été. Je me dis que je vis comme une pionnière sans le confort de l’électricité, des machines à laver, de l’eau chaude. Je suis prête à tous les sacrifices pour protéger mon territoire, mes objets. Pourtant, on dirait une lutte entre eux et moi, et ce sont les objets qui, au fil du temps, ont crié victoire. Or, telle une légion fervente, les objets me séduisent, me courtisent. Ils sont à mes pieds et mon cœur multiplié bat à l’intérieur de chacun d’eux.
Je dois me frayer un chemin pour atteindre mon lit. Le jour où ce sera devenu impossible, je grimperai sur mon échelle et me coucherai au sommet de la montagne aplatie, ou bien j’étendrai une couverture et un oreiller sur le plancher. Il y a un oiseau noir au sommet de ma tête, mais je ne le vois pas. Donc pas de mauvais augure ce soir, je ferme les yeux malgré la présence de l’oiseau de malheur. Je plonge la main au hasard parmi les objets autour de moi. Toutes des reliques de mon passé. Il fait noir, je n’y vois rien. Je ramasse une vieille bottine d’enfant. Une belle petite bottine blanche, si douce au toucher, dont le lacet s’est détaché. Je la serre contre mon cœur. Je pleure. C’est ma première chaussure…

J’ai deux ans, j’ai fait mes premiers pas. Je tombe par terre, je perds une bottine. Une araignée passe ; je suis fascinée par la petite bestiole qui court sur le plancher. Je la suis. J’ai peur de ma mère. Elle me grondera si je ne retrouve pas ma seconde chaussure et je devrai marcher pieds nus parce que je laisse tout tomber par terre, et je ne ramasse rien. Je suis comme ça depuis que je suis née. C’est mon seul défaut.
— Elsa ! me crie ma mère. Attrape tout de suite ce que tu viens d’échapper…
Je ne l’écoute pas, je suis assez grande maintenant, j’ai quatre ans. Je me réfugie dans un coin de la maison pour ne rien voir, ne rien entendre. J’ai déjà du caractère et personne ne me dira quoi faire. C’est la faute de papa et maman, je suis née de parents qui ne s’entendaient jamais sur quoi que ce soit, sauf pour dire que j’avais de beaux yeux. Les plus beaux yeux de la planète. Mon nom me vient d’ailleurs du poème d’Aragon, Les yeux d’Elsa . Après moi sont nés deux frères, Alain et Martin. Qui a dit que les garçons ont tendance à être bordéliques ? Mes frères tiennent de ma mère. Moi, je ressemble à mon père.
Un jour, j’ai été bien punie. J’ai l’habitude de laisser traîner Charlotte, la poupée bien-aimée que j’ai reçue à Noël. C’est une belle grande poupée aux longs cheveux bruns qui ouvre et ferme les yeux. Elle porte une robe de style romantique écrue, des bottines lacées semblables à ma première paire de chaussures. Je l’appelle ma princesse des temps lointains. Je la cherche partout.
— Elsa, ça fait au moins cent fois que je te dis de ne pas laisser traîner ta poupée dans la maison, de la coucher sur ton lit quand tu as fini de jouer avec elle.
— Oui, maman, je le sais. Mais Charlotte aime aller partout dans la maison, ce n’est pas de ma faute.
— Elsa, quand on ne les ramasse pas, les choses se perdent et disparaissent. Un gros trou noir les avale.
Je cherche le trou noir et ne le trouve pas, du moins pas dans la maison. J’ai cinq ans. Et puis, Charlotte n’est pas une « chose », elle est la princesse vivante à qui je parle et qui me répond dans ma tête. Puisque c’est une princesse des temps lointains, je pense qu’elle s’est peut-être retrouvée à une autre époque, qu’elle n’est pas tombée dans un sale trou noir, ou peut-être que c’est de ma faute parce que je l’ai laissée traîner, que maman SAIT où est le trou noir… Je pleure Charlotte des jours durant et décide d’afficher un avis de recherche. Je dessine une poupée sur un bout de carton et demande à ma mère d’écrire « Elle est où ? » sous le croquis. Cette dernière me répond simplement : « Ce n’est pas la peine, il faut juste que tu apprennes à te ramasser. »

Aujourd’hui j’ai trop de poupées chez moi. Toutes des substituts de Charlotte, et je ne pleure plus. Quand l’envie me prend, je m’en remplis les bras, les caresse, les colle contre mon cœur, puis elles retrouvent leur place dans la montagne aux objets. Même si elles jouent à cache-cache avec moi, elles sont toujours là.

Nous vivons à Ottawa. Mon père est facteur et connaît presque tous les gens du quartier. Il est collectionneur de journaux et de choses inutiles, comme dit ma mère. En revenant de sa tournée, il repère les aubaines dans les différentes poubelles, mais ne prend rien quand il est en uniforme. Après le souper, à la tombée de la nuit, il me fait un clin d’œil derrière le dos de ma mère et je m’empresse de mettre mon manteau. « Promenade digestive ! » annonce-t-il à la cantonade, même si maman n’est pas dupe. Elle hausse les épaules et commence la vaisselle. Papa prend sa grosse lampe de poche qui éclaire les tas de sacs et d’objets en vrac et débusque ce qu’il convoite. C’est tantôt une vieille horloge, un coucou au mécanisme brisé, qu’il saura bien réparer, tantôt une statuette en bronze d’une jeune femme à qui il manque un bras, un abat-jour style Tiffany dont il veut récupérer les petits morceaux de verre coloré.
Et moi, à côté de ce qu’il éclaire, je découvre presque toujours d’autres merveilles dont je m’empare avidement : un ours avec un nœud papillon qui tire un petit bout de langue rouge en feutre, lui donnant un air coquin. Il lui manque une patte, mais il est superbe. Je le dépose soigneusement dans notre sac à provisions puis, tant qu’il reste de la place entre les trouvailles de mon père, nous poursuivons vers les autres poubelles notre chasse aux cadeaux, de surprise en surprise, comme un soir de Noël. Nous revenons à la maison, riches comme Crésus.
Papa cache quelques belles prises dans le jardin, car il veut tout garder, et les choses s’accumulent autour de lui. Ma mère, inf

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