Brocéliande en question
218 pages
Français

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Brocéliande en question , livre ebook

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Description

« Pierre Dolan écrivait sous le coup d’une inspiration singulière. Ça le prenait en pleine lecture comme à l’éveil d’un rêve. On aurait cru, en le voyant s’arracher si brutalement au livre qu’il lisait, qu’il rédigeait dans le feu de l’action, un rapport de lecture toute fraîche pour ne rien oublier de ce qu’il venait de découvrir. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 avril 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342004373
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Brocéliande en question
Charles Dauvergne
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Brocéliande en question
 
 
 
 
Le château du Breil
 
 
 
Curieuse époque que la Belle Époque. Période d’ébullition et de projections fantastiques, de recherche curieuse où l’art donnait ses folies à la science et prenait sa place de créateur universel. Elle a fondu dans le sable comme une vague sur la grève, en quelques années seulement, juste le temps qu’il fallait pour entrevoir son génie et croire à sa folie des grandeurs. Son souvenir est resté meurtri dans l’histoire, une blessure de guerre en pleine tête qui fait d’elle à jamais la dépouille misérable d’une promesse non tenue.
La Bretagne a vécu l’effervescence exaltante de ce monde qui n’a pas trouvé le temps de grandir. Il en existe un vestige tristement conservé dans les parages d’Iffendic. On aperçoit sa carcasse vide, dans la montée de Monterfil, en tournant le regard sur la gauche. Les murs de briques rouges, noircis à cœur par les flammes et les intempéries ont pris la couleur d’une chair putride, une pourpre sombre mangée par des lierres. C’est le spectre du château ruiné du Breil, ravagé par un incendie en 1903 et dont les vestiges sont restés en l’état depuis le sinistre. Il défie le temps comme s’il avait encore à dévoiler quelque secret inavouable avant de s’écrouler pour de bon : c’est un des nouveaux mystères de Brocéliande.
De son vivant, le château du Breil était une très belle demeure. Il a été construit en 1863 par Georges Huchet du Breil, à la place d’un ancien logis seigneurial qui tombait en ruine. Inspiré par les donjons médiévaux, il était à la mode néogothique de Viollet-le-Duc qui revisitait à cette époque-là l’architecture du Moyen Âge dans l’imaginaire des contes de fées. Ici, la puissance militaire du bâtiment cède la place à l’élégance et aux ornements et les parures des pierres transforment les murailles de guerre en une somptueuse résidence des temps modernes.
La demeure était couronnée de hautes toitures en ardoise, avec des faîtages en dents de ciel, taillées dans des membrures en zinc. Il y avait des fenêtres partout dans les murs, garnies de meneaux et de balcons sculptés, et des portes majestueuses, montées comme des porches de cathédrales, ornaient les flancs de l’énorme bête.
C’était magnifique. Le château se dressait tout en envolées légères de formes et de couleurs. Délicatement posé sur un mamelon au bord du Meu, il dominait le paysage de cette rogue souriante des grands seigneurs observant la bataille avec l’assurance de la victoire. Une cour d’honneur amenait le visiteur au pied d’un perron assez large. On arrêtait les voitures au pied de l’escalier et l’aventure commençait. La porte d’entrée, somptueusement décorée d’entrelacs, jetait un voile pudique sur des trésors inconcevables, à n’ouvrir qu’avec la plus grande circonspection.
Le hall d’entrée donnait le ton de la demeure. C’était une salle à donner le tournis, haute comme un puits sans fond. Elle était chapeautée par une voûte que maintenait en l’air une arcature de fines colonnettes légèrement ombrées. Au vrai, ça tenait de la meringue et du miracle. Les murs étaient recouverts de stuc crème, barriolé de faux joints rouges pour simuler la pierre de taille. Il en ressortait une impression un peu irréelle de grandeur et de confiserie. On entrait dans le château comme dans un rêve.
Un lambris au style de cathédrale couvrait le bas des murs, une vraie dentelle de bois clair. De chaque côté, un monumental escalier de bois descendait d’une mezzanine dans un déferlement de marches et de balustres cirés. Et dans le fond, une baie vitrée ouvrait sur le grand salon.
C’était la pièce centrale de la maison, l’antre ouvert à toutes les lumières, les excentricités, les élucubrations les plus incongrues de la belle société. Monsieur Georges l’avait meublée dans le style du château, à la mode de son temps, néogothique, avec des fauteuils sculptés dans la masse, donnant des éclats d’étoiles de tout leur bois, et des buffets taillés comme des corps de garde et des armoires somptueusement compliquées.
Elle était l’écrin exubérant en boiseries rutilantes et stucs gras de la folie douce d’un roi de conte. L’œil perdait de sa contenance en découvrant ces débordements de plis lourds et de couleurs fortes. On se voyait tout à coup enfermé dans les dessous intimes d’un habit d’apparat, aux odeurs de camphre, prisonnier derrière des barreaux de dentelles. On entrait par cette pièce dans la fastueuse fantasmagorie médiévale d’un Second Empire en mal de modèle, où le temps s’était figé dans une image délirante du passé.
Dans le prolongement de ces décors hors du temps, on apercevait derrière une porte aux carreaux biseautés, toute la perspective d’un jardin dessiné à la française en longues allées droites cadrant des parterres de fleurs sans mélange. La rigueur du jardin contrastait étrangement avec les exubérances du dedans. Elle traduisait sans aucune fantaisie, une philosophie puissamment ordonnancée à la force de la cisaille et de la bêche, et métamorphosait la nature sauvage en un manifeste de science propre et de beauté pure.
Quelle idée ce monsieur Huchet avait-il eue de construire un château pareil dans un tel cadre ? Il lui servait de résidence d’été et demeurait vide le reste de l’année. Une armée de serviteurs débarquait dans les murs au printemps. On organisait des fêtes et de grandes réceptions qui faisaient courir au Breil tout le gratin de l’époque que ratissait la circonscription de Montfort. Peut-être l’ancienne place forte retrouvait-elle, avec la mode du temps, l’éclat seigneurial qu’elle avait perdu depuis la révolution. Et certes, le château rénové dans son bel habit de prince en jetait dans le pays.
Georges Huchet est mort sans laisser de descendance, alors que son château n’avait pas vingt ans. Il l’a légué en héritage à une nièce, Yvonne du Pantin, plus connue à Rennes sous son nom de courtisane, Yvonne Pantin, que comme fille de famille, la particule du nom étant apparue avec une bague que lui avait offerte un très vieux duc anglais. Nièce à la mode de Bretagne, dirait-on avec la discrétion entendue des demi-mots, pour caractériser des relations humaines échappant rigoureusement à la science généalogique, dans des termes qui conviennent mieux à la rédaction d’un contrat que la verve crue de la rue.
Quand le notaire qui prenait le testament sous sa dictée lui avait demandé avec la franche clarté de langage qu’affectionne la profession : « Est-ce que vous ne croyez pas que… », monsieur Georges l’avait coupé net sans le regarder en face : « Oui je le crois ! Comme ça, ça ne sort pas de la famille ! » Et la réponse sans appel du vieil homme avait suffi à garantir le lien de parenté avec la fille Pantin affublée de sa particule.
Malgré ce testament, le château est demeuré clos pendant quelques années à la suite du décès de monsieur Georges et les gens du pays se demandaient, en riant de dépit, s’il ne l’avait pas emporté avec lui dans la tombe. On déplorait les déprédations du temps sur la demeure et l’on voyait le jardin partir en friches. Cela suffisait à allumer certaine réprobation de classe à l’égard de propriétaires qui témoignaient de si peu de soins pour leur patrimoine. Et la politique envenimait les conversations, c’est qu’il fallait les entendre ! Mais par un beau jour de printemps, mademoiselle Yvonne a pris possession de ses nouveaux quartiers au château du Breil.
C’était une personne d’un caractère assez particulier que cette demoiselle Yvonne. Pas ce que les hommes auraient appelé entre eux une belle femme, dans l’intimité des fumoirs. Techniquement, elle avait des atouts à son avantage, c’était indiscutable. Elle était blonde, mince, la taille prise comme il faut, la peau blanche et le regard clair, parfaitement conforme aux critères académiques de la féminité avec des proportions correctes, un poids équilibré de chair et d’os et surtout lisse de sa personne comme une savonnette, ne laissant aucune imperfection visible qu’on pût prendre pour un défaut. Il n’y avait rien à redire là-dessus, c’était un fait observable, mesurable et constant, rigoureusement scientifique donc : mademoiselle Yvonne était une personne irréprochable.
À cause de cela, elle n’offrait rien d’original à l’œil, qui aurait permis de croquer le personnage avec les traits malicieux qu’on est en droit d’attendre d’un portrait. Et c’était peut-être ce manque flagrant de distinction qui la distinguait des autres personnes quand elle paraissait dans les salons, mademoiselle Yvonne était ordinaire.
Par contre, il émanait d’elle un rayon de folie qui aurait mis le feu à la palette d’un impressionniste. Elle respirait cette sensualité innocente et électrique des femmes enfants comme un champ magnétique de jeunesse attirant à lui tous les ions de la planète mâle et qu’elle émettait avec un talent de fin stratège. Élégante et coquette en diable, mademoiselle Yvonne était une artiste d’elle-même. Elle avait l’art des colifichets et des accessoires en couleur de sucre dont elle se parait comme une gourmandise et qui lui donnaient une silhouette aérienne de méduse, immatérielle et transparente, volant au vent de sa fantaisie. Elle avait ce don de gaieté qui tournait tout en légèreté, en rires et en tourbillons et elle trouvait dans les fleurs de papier, les voiles légers et les chapeaux de paille les supports les plus solides de ses petites volontés. Toute sa grâce tenait au mouvement d’un papillon.

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