Basculement
160 pages
Français

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Description

« Dans l'espoir de devenir soi, chaque individu cherche à développer au fil de sa vie, à travers des péripéties variées, le “moi” qui loge au plus profond de lui-même ; la quête commence dès l'enfance où le petit se désigne par son prénom, parlant ainsi à la troisième personne : “Pierre a soif”, jusqu'au jour où il découvre que celui qui boit, c'est lui, donc il peut dire “je” et prend ainsi pour la première fois conscience du “moi” ; un important basculement vient de s'opérer dans la jeune vie de Pierre. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 avril 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342049985
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0071€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Basculement
Marie-Antoinette Andrei
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Basculement
 
 
 
Mes remerciements vont à mes amis Danie et Robert E., à Annie R., les détecteurs de la moindre erreur, ainsi qu’à Claude W., mon inventif illustrateur.
 
 
 
Avant-propos
 
 
 
Dans l’espoir de devenir soi, chaque individu cherche à développer au fil de sa vie, à travers des péripéties variées, le "moi" qui loge au plus profond de lui-même ; la quête commence dès l’enfance où le petit se désigne par son prénom, parlant ainsi à la troisième personne : "Pierre a soif", jusqu’au jour où il découvre que celui qui boit c’est lui, donc il peut dire "je" et prend ainsi pour la première fois conscience du "moi"; un important basculement vient de s’opérer dans la jeune vie de Pierre.
Pierre, c’est moi ! Là dessus viendra se greffer la phase du "moi" responsable qui s’accentuera au fur et à mesure de notre cheminement vers l’âge adulte, âge auquel s’imposent des choix entraînant un jeu de bascule impitoyable, cruel, compliqué, bénéfique, rarement facile car notre vie en dépend. Influences, convictions éphémères, doutes, certitudes fragiles peuvent faire pencher tantôt un plateau de la balance, tantôt l’autre, sans pour autant que l’on sache s’il penche du côté de ce qui est bon pour notre "moi". Il arrive que l’on se fourvoie et que l’on soit obligé de tout recommencer s’il reste du temps disponible… La plupart d’entre nous jouent à ce jeu jusqu’à tant que la sérénité daigne s’installer, moment où les deux plateaux semblent vouloir s’équilibrer ; cette quête souvent illusoire qu’aucune garantie n’assure, s’arrête parfois brutalement à cause d’une fatalité inscrite dans le destin.
 
Il reste important de se trouver, en raison de quoi je me permets d’affirmer que la personne la plus importante dans ma vie c’est "MOI"; je ne suis ni prétentieuse, ni égoïste, mais réaliste car si je sais qui je suis, je peux me positionner clairement par rapport à mes congénères. C’est à travers ce "moi" qui me servira d’identité très personnelle que j’existe, ce "moi" qui induira, au fil des circonstances, un ou plusieurs basculements censés me guider vers l’individu que je suis, à la différence de tous les autres.
 
 
 
Fred et Rufus
 
 
 
Depuis que son fils habitait au jardin funéraire, Fred s’y rendait tous les jours, le cœur en bandoulière et muni de sa petite chaise pliante en toile enduite, vestige de son attirail de pêche, pour s’asseoir un temps à côté du lit de terre où Rufus dormait enfin paisiblement ; à présent, plus aucun déchirement intérieur ne le perturbait. Ni la pluie, ni le vent, ni la neige, ni l’orage ne le retenaient dans son élan de tendresse vers le "petit" qui résidait ailleurs comme il est de coutume pour un enfant qui prend son indépendance ; le soleil agaçait pourtant le père privé du sien et si d’aventure l’astre venait à le narguer, il obturait ses yeux de deux écrans, noir total, sous forme de lunettes. Il ne supportait plus que cette étoile si puissante brille encore d’un feu quelconque pour lui, cette lumière le blesse, lui est devenue inutile car dans cette vie cruelle rien ne mérite plus d’être regardé avec intérêt depuis le départ tragique de Rufus. Le soleil est enfoui dans le même carré de terre entouré d’une simple bordure en béton à côté duquel Fred s’installe pour tenir compagnie au gisant et évoquer avec lui leurs souvenirs communs. La tombe ne ressemblait à aucune autre dans le cimetière où les vivants dressent de véritables mausolées aux disparus en témoignage de leur prétendu amour qu’ils entendent ainsi signifier ; à cela Fred préférait une plate-bande, comme au jardin, qu’il pourrait ensemencer si l’envie lui prenait et au lieu des pensées et asters, il aurait volontiers planté des radis si cela n’avait pas paru inconvenant et désobligeant pour les visiteurs des lieux. Tous les jours, il tripotait la terre avec la binette miniature qui avait appartenu à Rufus petit, lui procurant ainsi une nouvelle aération afin que les mots atteignent plus sûrement le refuge en bois et même s’il n’entendait plus il sentait que papa est là ; cette couche de terre bien plus perméable que les épaisses dalles de marbre belles et froides qui couvrent les autres tombes vous sépare un peu moins définitivement de ceux que vous aimez. Fred veut communiquer avec son fils, ses mots ne doivent pas se cogner sur un mur infranchissable, ils doivent pénétrer le caveau qu’il s’impatiente d’habiter à son tour ; en attendant il venait converser avec son occupant.
Le voilà qui s’animait sur sa chaise, son visage s’illuminait :
tu te souviens quand on allait à la pêche comme tu trépignais sur la rive de l’étang, brûlant d’envie d’attraper un poisson ; tu jetais ta ligne amorcée d’un leurre et puis tu marchais de long en large jusqu’à ce que le fil tendu incurve le bout de la ligne alors tu jubilais en criant "je l’ai eu, je l’ai eu"! Tu me demandais de mouliner pour détacher le butin tandis que tu te livrais à une danse de joie, mais sitôt remonté tu te prenais de pitié pour l’animal frétillant de désespoir au bout de l’hameçon ! Tu agitais la tête en signe de négation, ta figure grimaçait de dégoût, tes mains s’agitaient en tous sens, la nervosité te gagnait et tu me criais "jette, jette-le"… Tu ne t’étais calmé qu’une fois le poisson retourné dans son élément et tu exigeais que tous les autres que j’avais pris, quoique déjà asphyxiés, soient également rejetés dans l’étang.
Fred souriait pendant qu’il parlait, se tapait sur la cuisse droite de sa main valide, la droite, riait aux éclats quand il en venait à évoquer l’instant où il vidait son seau de toute la prise de la journée ; tout ça pour ça, en plus, il avait plu en abondance ce jour-là, mais peu importe, Rufus ne devait pas souffrir inutilement, son état ne le permettait pas. Le père au cœur gonflé de chagrin, écrasé par l’absurdité de la vie, quittait alors l’endroit situé en hauteur, redescendait doucement de là-bas d’un pas traînant, sans un regard pour personne. D’ailleurs il gardait le plus souvent ses lunettes noires pour éviter tout contact visuel ; il détestait la compassion de ceux qui le connaissaient et s’en fichait de passer pour un hurluberlu aux yeux des autres. Il s’arrêtait chez le boulanger qui lui servait sa baguette sans autre échange verbal que "salut" et "merci"; chez lui, derrière les volets clos, il se fabriquait un sandwich et essayait avec chaque bouchée avalée et chaque gorgée de thé qu’il buvait, été comme hiver, de grignoter un bout du bloc qui lui oppressait la poitrine du matin au soir. L’alcool, il n’y touchait plus car ce poison avait gâché son existence entière.
Touché par les effets de l’alcool avant même d’en avoir consommé la moindre goutte, Fred avait subi tout au long de son enfance la nocivité de cette boisson ; il avait grandi trop vite dans une famille trop nombreuse pour le peu de moyens disponibles. Devoir toujours tirer le diable par la queue ne favorise pas le climat familial à tendance plus délétère que douillet ; plus on manquait d’argent, plus on comptait de bouteilles de rouge dans le réduit à côté de la cuisine car, malin, le père en faisait provision le jour même où la paye tombait et une fois ses égoïstes besoins couverts, la mère se débrouillait avec le reste déjà lourdement ponctionné et nettement insuffisant pour nourrir cinq marmots toujours affamés. La vinasse que le chef de famille lampait au goulot après en avoir offert un godet à sa femme, nourrissait d’abord leurs illusions à tous deux, puis dégradait rapidement et sans effort leur relation fondée sur une donnée invisible, en tous les cas Fred avait dû attendre la naissance de son fils pour comprendre le sens du mot amour ! Il lui tardait d’ailleurs de lui en témoigner encore davantage et il s’échappa de sa demeure après une nuit courte, peuplée de cauchemars, pour grimper sur la petite hauteur où logeait Rufus. Il pressa le pas, installa sa chaise pliante à côté du lit de terre du petit et parla :
Tu sais, aujourd’hui il fait un temps de chien, tu dois sentir les grosses gouttes qui martèlent la terre, mais ne t’inquiète pas, j’ai apporté une bâche pour te couvrir. Il pleut aussi fort que le jour où nous pêchions au bord de l’étang ; je n’ai pas compris pourquoi tu ne voulais pas manger le poisson que tu attrapais, pourtant tu aimes les sardines à la sauce tomate… C’est prévu au dîner de ce soir quand je rentrerai ; c’est vrai que c’est moins pénible d’ouvrir une boîte que d’attendre que ça morde. Je te laisse la bâche jusqu’à demain. Salut Rufus, je reviendrai.
Pour tenir la promesse faite à l’instant à son fils, Fred devait passer à la Coop pour acheter les sardines ; il s’offrit un pack de trois, moins cher que trois boîtes à l’unité et cette provision lui suffirait pour deux autres jours. Parfois, pour permettre à Rufus de continuer à vivre à côté de lui, il reprenait quelques gestes ou habitudes qui avaient marqué le petit, perdu dans un monde à part où, tout seul, il ne maîtrisait pas le quotidien. Manger des sardines à la tomate le comblait au point qu’il traitait ces conserves comme des objets précieux, les sortait délicatement de leur boîte pour ne pas leur faire mal, les alignait soigneusement au carré et hésitait à planter la fourchette dans la chair argentée mêlée de rouge ; les choses se passaient ainsi tant que Rufus se contenait, mais il y eut des débordements intolérables comme lorsqu’il se sentait déphasé. Alors

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