Aux confins de l oubli
220 pages
Français

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Aux confins de l'oubli , livre ebook

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Description

Pourquoi, alors que l'on aspire à sa part de vie, d'espérance et de reconnaissance, se voit-on acculé aux confins de l'oubli? Plus encore, lorsqu'au rappel des martyrs d'un village, n'est point mentionné le nom de l'une des victimes, que ce soit par inadvertance ou autre, ne doit-on pas s'indigner de cette omission?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2011
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748374872
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0097€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Aux confins de l'oubli
Henri Surge
Mon Petit Editeur

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Mon Petit Editeur
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Aux confins de l'oubli
 
 
 
À mon épouse qui a découvert et parcouru à mes côtés, au cours de nos diverses randonnées, les contrées où se déroulent ces récits.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Malincourt
 
 
 
1
 
 
 
Autour de la ferme de Malincourt, le plateau du Larzac étalait sa nudité. Les étendues grises ou jaunâtres, parsemées de buis verts, se perdaient dans l’infini moutonnement des mamelons. Quelques arbres retors essayaient de démentir l’aridité du sol rocailleux, mais leurs formes tourmentées et noueuses trahissaient leur croissance difficile sur une terre où l’eau s’infiltrait comme au travers d’une passoire.
Au cœur de ce causse qui l’entourait, l’enserrait, l’écartait du monde, Emilien Bonnafieu demeurait avec son troupeau de moutons, ses chiens, et parmi poules et dindons, un coq dont le chant, au lever du jour, n’éveillait à l’entour aucun autre cocorico. Pour l’aider à supporter sa solitude, vivait encore sa mère, courbée par l’âge, la rudesse d’une vie sur le plateau et surtout par les longues heures passées, chaque jour que Dieu fit, à traire les brebis. Mais d’évidence la vieille Eulalie se ratatinait, ses rides devenaient aussi profondes que les stries creusées par les pluies sur les dalles de calcaire. Au gré des vents et des saisons, sa peau grisaillait autant que le sol qu’elle piétinait, seul le bout de son nez rosissait durant les grands froids. Cependant, à mesure que ses reins cédaient, son appendice nasal s’abaissait vers les genoux et vers cette terre qui tôt ou tard la recouvrirait.
À Malincourt, le temps se découpait en deux saisons, l’hiver plutôt long, l’été trop court ; le printemps et l’automne ne se discernaient pas. Après les fortes chaleurs réverbérées par la rocaille jusqu’à tarir lavognes et citernes, la pluie froide ou la neige surgissaient, aussi bien du nord que du sud, parfois de l’ouest, poussées par des vents qu’aucun obstacle n’arrêtait, et qui s’en donnait à cœur joie à déséquilibrer la girouette pourtant solidement arrimée.
Lorsque les éléments cessaient de balayer ou de laver le plateau, alors des vallées du Tarn et de la Dourbie, cernant le causse, montait une épaisse brume qui brouillait ciel, bêtes et gens. En ces moments de confusion, la vie paraissait suspendue à Malincourt, surtout pour Eulalie qui distinguait mal sous son nez le sol vers lequel elle se penchait. À chaque fois, la vieille femme profitait de cette confusion, pour reprendre son éternelle complainte :
— Mon pauvre Emilien, comment te débrouilleras-tu quand je ne serai plus là ?
Afin d’écourter l’habituelle litanie des « …Qui te préparera la soupe, qui te reprisera les chaussettes, qui te lavera les chemises… », le fils brusquement répondait :
— Mère, d’ici peu le vent lèvera le brouillard sur le causse et dans ta tête.
Quand le vent tardait à souffler et que la mère continuait sa rengaine, alors Emilien s’énervait et répliquait vertement qu’il n’était plus un enfant.
— Que diable ! ajoutait-il. Je suis à même de poser la marmite sur le feu et question d’habillement, tu sais depuis toujours, qu’en homme du causse j’aime avoir chaud au corps, pantalons et vestes de velours m’avantagent. En ce qui concerne le lavage, une trempe dans la seille et un séchage au vent n’est pas du compliqué. Par contre, pour les chaussettes, je n’aurai pas trimé toute une vie pour ne point m’en payer de neuves quand les usagées montreront des trous aux talons ou aux orteils.
Après cette énième explication, Emilien se raclait la gorge et se repliait dans un silence têtu. Autant que possible la mère levait la tête pour dévisager son garçon.
— Bien sûr, qu’elle disait, ce n’est pas folle dépense que d’acheter des chaussettes.
Depuis le temps qu’ils y mettaient tous les chèques que la Société de Roquefort leur donnait en règlement de l’apport du lait de leurs brebis, la banque pouvait payer. Il fallait voir le démarcheur du Crédit Agricole venir à la hâte transformer chaque paye en bons qui rapportaient et les intérêts en d’autres bons. D’ailleurs, ce n’était qu’à ces moments-là qu’il venait à Malincourt, et s’empressait de repartir dès la signature. Tous ces bons en réserve ne revêtaient pas plus d’importance qu’ils ne méritaient, car chez les Bonnafieu on n’avait pas l’orgueil de s’en vanter. Aussi la colère d’Emilien s’avivait lorsque la mère reprenait :
— Mon pauvre garçon, à quoi ce pécule te servira-t-il, si tu ne trouves point femme pour te seconder ?
Refusant de prêter l’oreille à cette lancinante remarque, le fils prenait la porte et partait s’enfoncer dans le chaud de la bergerie où les brebis ne lui posaient pas de pareilles questions. Le vieux garçon aimait pourtant sa mère. Depuis des calendes que son père était mort, elle restait la seule personne à qui parler, à Malincourt. Ce n’était point sa présence, dont en son intime il avait besoin, qui le gênait, mais ces mêmes interrogations qu’elle lui posait quand le brouillard lui en donnait l’occasion. Trouver femme ! Des paroles plus faciles à dire qu’à concrétiser. Pourtant, ce ne fut point faute d’avoir voulu, mais sur le profond du Larzac les filles à marier ne se présentaient point légion et préféraient tourner leurs regards vers les villes proches de Millau, de Saint-Affrique ou du moins vers les vallées plus clémentes, plutôt que d’allonger leurs regards sur l’infini moutonnement des mamelons.
 
 
 
2
 
 
 
Pour trouver femme, une première opportunité fut offerte au fils Bonnafieu par son cousin de La Roque Sainte Marguerite, un village dans la vallée de la Dourbie. Avec ce parent éloigné de quelques vingt kilomètres, Emilien et sa mère avaient toujours gardé bonne relation. Pour lui rendre visite, il suffisait de rouler une bonne heure sur le plateau, amorcer la descente dès Pierrefiche, puis dévaler beaucoup plus abruptement jusqu’à la rivière, traverser le pont sur la Dourbie pour enfin déboucher au village. La jument, qu’à la ferme l’on attelait encore à la carriole, transportait aisément la mère, le fils, ainsi que le mouton dépecé qui serait échangé contre une barrique de vin.
Au cours de la visite, le cousin avait parlé d’une Aurélie qui pourrait apporter le contentement à Malincourt. La trentaine dépassée, tout comme Emilien à cette époque, de constitution solide, elle était encore à marier. L’assentiment fut donné pour une rencontre ; le cousin se chargeait de l’entremise.
Durant le repas d’approche, Emilien et Aurélie se sourirent, semblant se convenir, aussi, dès le dessert servi, furent-ils poussés dans la rue pour continuer en aparté leur entendement. Plutôt que de jouer à leur âge les amoureux dans les venelles du village, ils préférèrent descendre vers la Dourbie, et côte à côte, s’arrêtèrent pour regarder s’écouler l’eau de la rivière qui, certains hivers, se gonflait en crues, jusqu’à réussir par deux fois à emporter l’arche sur laquelle ils se penchaient. Malgré l’observation de cet incessant ruissellement, symbole du temps qui fuyait, Emilien éprouvait de la difficulté à saisir l’opportunité du moment. Les paroles qu’il fallait dire ne lui venaient pas, il n’avait pas la pratique pour parler à une femme, et l’eau continuait à couler sous le pont.
Afin de combler ce silence émotionnel, Aurélie entreprit de raconter la légende du passeur de la Dourbie. Au cours de ce récit, Emilien n’osa saisir le bras ni même un court instant la main de la demoiselle, par contre il lui prêta toute son oreille. Sur le chemin du retour, le fils confia à sa mère qu’il était capable de répéter, mots pour mots, la légende que lui avait narrée Aurélie. Peut-être dans cette acuité à se rappeler commençait pour lui l’amour.
— Eh bien raconte, pour savoir ce que t’a dit cette Aurélie, demanda la mère.
— Vous voyez ce pont, qu’elle m’a montré, reprit Emilien conquis, au siècle dernier il n’existait pas. Pour traverser la Dourbie, il y avait un passeur. Il vivait à l’ubac de la vallée dans une cabane minuscule dont la roche en avancée formait le toit et une porte en planches mal équarries fermait l’entrée. À ce qu’on disait, il avait l’œil fuyant. Il parlait peu, et son mutisme donnait libre cours à toutes les suppositions. Ou bien c’était un homme qui se tenait sur ses gardes après avoir commis une mauvaise action, ou bien un refoulé de la vie qui désormais prenait ses distances. De toute façon, son attitude portait à suspicion.
Un jour, un ingénieur des Ponts et Chaussées, tentant d’esquisser le tracé d’une route et d’un pont dans ce dédale de roches et de pentes abruptes, frappa à la porte de la cabane. C’était un après-midi de printemps, quand la fonte des dernières neiges sur les monts de l’Aigoual et de Saint-Guiral grossissait encore la Dourbie. Après avoir détaillé durant un long silence le quémandeur, le passeur accepta de faire naviguer cet inconnu sur sa barque afin qu’il puisse du milieu de la rivière tirer quelques plans.
La barque détachée avait tendance à filer dans les eaux torrentueuses, le passeur s’arc-boutait sur la gaffe pour bloquer l’embarcation afin de permettre au passager de trouver des points de repère. Les falaises s’illuminaient d’une couleur rouge pourpre. Faisant fi de la beauté sauvage du paysage, l’ingénieur scrutait rochers et ravins. Crispé sur la perche, le passeur retenait avec peine l’esquif que le courant voulait emporter dans sa course. Depuis l’embarquement les deux hommes n’avaient échangé la moi

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