Atuk
242 pages
Français

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Description

Deux personnages qui narrent leur propre histoire, Elle et Lui. Elle, se remémore sa jeunesse, passée entre les lacs et les forêts de son territoire ancestral, le Nitassinan, jusqu’à son mariage qui la conduit à quitter les siens et à s’installer en ville. Lui, journaliste à Montréal, vient se recueillir sur sa dépouille à elle, et s’interroge sur son identité, car l’Indien, lui dit-on, il l’a en lui. Elle, c’est Jeannette, la fille d’Almanda et Thomas. Lui, c’est son petit-fils, Michel. Dans le sillage de Kukum, et avec la même sincérité, cet émouvant dialogue à travers le temps et l’espace redonne vie aux riches heures de la culture innue et questionne son devenir actuel.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 24 juin 2022
Nombre de lectures 5
EAN13 9782902039272
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0105€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Éditeur Amaury Levillayer, PhD
Réalisation éditoriale Joël Faucilhon — numérisation Marie-Laure Jouanno — réalisation des pages intérieures © Olivier Mazoué — création du cahier de couverture, illustration originale et logotypes
© Éditions Dépaysage, 2022
ISBN (papier) : 978-2-902039-26-5 ISBN (epub) : 978-2-902039-27-2
En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du code de la propriété intellectuelle du 1 er  juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.


ATUK
Un roman de Michel Jean
-



À la mémoire de Jeannette Siméon. Et à Jérémy Jean.


« La mémoire n’aime pas le mouvement, mais préfère garder les choses tranquilles. » — John Banville






I. Lui
Elle repose devant moi, figée dans la mort. Un cadavre embaumé est tout ce qu’il reste de cette femme à la silhouette autrefois robuste et souple. Tout de sa jeunesse a été emporté, maintenant que ses beaux yeux noirs se sont fermés pour de bon. Rien ne subsiste de celle qui a souvent bravé le froid et parfois la faim. Ce corps a frissonné de peur, ressenti le plaisir.
Cette dépouille fardée a, dans sa jeunesse, traversé en raquettes des forêts couvertes de neige épaisse, couru en mocassins sur l’humus moelleux. Cet être qui a été jeune, mûr, et que j’ai connu déjà vieux n’est plus qu’une carcasse vidée de ses entrailles, offerte aux regards humides de la famille nombreuse qu’elle a engendrée.
Quand elle a vu le jour, Hitler n’était qu’un adolescent rêvant d’entrer à l’Académie des beaux-arts de Vienne, Théodore Roosevelt était le président des États-Unis, Laurier, le Premier ministre du Canada. La Chine n’était encore qu’un empire déchiré où personne ne connaissait le nom de Mao. Les frères Wright venaient de réussir le premier vol mécanique de l’humanité. Cent années de vie. Un siècle d’histoire qui se retrouve dans les livres, aujourd’hui.
Je cherche dans ce visage aux joues affaissées, ridé comme une vieille pomme, les traits qui ont été autrefois ceux d’une jeune femme au regard sombre, qui aimait s’enfoncer dans la forêt silencieuse, qui savait trouver les herbes et les racines pour soigner. Ses mains, posées sur son ventre, et ses doigts desséchés tiennent un chapelet noir. La peau tannée comme un vieux cuir est restée foncée. Rappel du sang qui courait dans ses veines. Montagnais, comme elle le disait. Innu, comme on l’appelle maintenant. Je pose ma propre main près des siennes, tentant d’y déceler une ressemblance. J’ai les mêmes doigts fins aux jointures légèrement saillantes, mais la paume un peu plus longue. Ma peau aussi paraît plus foncée que celle de la moyenne des gens. J’aimerais pouvoir lire les lignes de sa main. Comprendre.
Remonter dans le temps. C’est ce que j’ai l’impression d’avoir fait depuis le matin. J’ai pris la route tôt, roulé sur la Transcanadienne jusqu’à Québec, puis viré à gauche sur la 175 qui file vers le nord. Vers le lac.
Il faisait chaud comme rarement dans ce pays nordique. J’ai roulé vitres baissées, profitant du souffle doux de juillet. Enfant, je détestais traverser la réserve faunique des Laurentides. Le « parc », comme on l’appelait à l’époque. Comme on l’appelle encore. Je me souviens du temps où il fallait s’arrêter à l’entrée, contrôlée par des gardes-chasse, qui vérifiaient alors le nombre de passagers dans chaque véhicule, notaient l’heure du passage avant de nous laisser plonger dans la forêt.
Je connais chaque lac et chaque montagne. Toujours pareils. Éternels. J’ai perdu mon père, plusieurs amis. Mais les lacs et les montagnes, eux, sont encore là.
Je me suis arrêté à l’Étape pour faire le plein. Cette aire de service n’est guère plus qu’un truck stop de nos jours. Je me souviens pourtant du beau restaurant où l’on prenait un repas autrefois. Lui aussi a disparu. Des comptoirs de restauration rapide le remplacent.
Une fois passée l’Étape, à mesure qu’on pénètre dans les montagnes, la route s’élève au-dessus de vallées boisées profondes, au fond desquelles coulent des rivières noires comme le granit des montagnes qui les surplombent. Paysages à la beauté grave.
La route a été refaite et plusieurs des virages serrés ont été éliminés. C’est presque une autoroute maintenant. Au kilomètre 166, comme toujours, j’ai tourné à gauche sur la petite route qui monte directement vers le nord et s’enfonce dans de ténébreux sommets. Le « petit parc », comme le surnomment encore les gens de la région. Le tracé de cette route n’a pas été modifié, lui. Sinueuse et accidentée, elle se faufile entre les pics et les lacs, passe au pied du mont Apica, géant silencieux qui domine le paysage.
Il y avait autrefois, au sommet, une station radar. Elle faisait partie de la ligne Dewey, qui traçait une ceinture de surveillance militaire destinée à prévenir une éventuelle attaque de l’URSS.
Comme le mur de Berlin, la ligne Dewey est devenue obsolète, et la petite station radar, nichée si haut qu’il fallait un regard habitué pour la discerner sur la cime des rochers, a été détruite. Chaque fois que je passe, je scrute le sommet du mont Apica. Un vieux réflexe. Enfant, j’étais fasciné par l’idée qu’il existait une vraie installation militaire dans ce coin du monde qui n’avait jamais connu la guerre.
Plus loin, la route émerge du massif montagneux pour déboucher sur une plaine tranquille, s’étendant autour d’un lac qui se prend pour une mer. Une oasis au milieu d’un désert d’épinettes. On ressent un soulagement quand on quitte la forêt sauvage, comme les vieux, contents d’avoir passé au travers de l’hiver le printemps venu.
La route plonge vers les champs traversés de ravins. Le chemin contourne aujourd’hui les villages d’Hébertville Station et d’Hébertville Village. Il file tout droit vers Alma, ma ville natale.
J’y suis arrivé à l’heure prévue. Deux heures avant les funérailles. Je ne sais pas si Alma a mal vieilli ou si la nostalgie a embelli les souvenirs que j’en ai gardé. Le vieux garage à la forme arrondie, dont l’auto sur le toit m’impressionnait tant quand, assis sur la banquette arrière de la Ford de mon père, je passais devant, existe toujours. Le Goofy Burger, lui, a disparu. Mais le Dixie Poulet tient encore le coup. Je n’y suis jamais entré et, malgré tout, il fait partie de mes souvenirs d’enfant.
Je n’ai vécu que deux ans dans cette ville. Et pourtant, j’y reviens toujours comme au bercail. Étrange sentiment d’attachement. Les racines, j’imagine. Peut-être aussi est-ce parce que j’y suis venu si souvent en visite avec mes parents. Ou en vacances. À Noël. Alma me paraît un peu vieillotte maintenant. Mais j’en ai conservé le souvenir d’une ville dynamique, habitée par des gens entreprenants.
Le salon funéraire est situé à côté de la succursale de la Société des alcools devant laquelle j’ai déjà eu un accident d’auto. Un face-à-face dans lequel j’aurais pu être tué. Mais je ne l’ai pas été. Alors je suis ici. Aux funérailles de ma grand-mère, Jeannette.
La grande salle est bondée. J’avance lentement dans une foule compacte, reconnaissant beaucoup de visages qui s’illuminent en me voyant. Sourires, regards brillants. Les liens noués dans l’enfance par le sang restent les plus forts.
Je me fraie un chemin vers le cercueil, j’émerge de la masse de gens. Devant moi, ma mère, ses sept sœurs et son unique frère. Il ne manque que Gertrude, décédée d’un cancer il y a quelques années. Les enfants de ma grand-mère acceptent les condoléances d’une longue file de proches. Certains sourient, d’autres pleurent.
Ma mère semble à la fois atterrée et soulagée de se trouver parmi les siens. Au bout de la file, un cercueil de bois. Étendue à l’intérieur, ma grand-mère. Frêle et pâle.
J’attends mon tour pour saluer mes tantes. Je serre la main de mon oncle. Prends ma mère dans mes bras. Le rituel de la mort. Je vais m’agenouiller devant la dépouille. Des larmes coulent. Mille souvenirs d’enfant. Mille regrets d’adulte. Je me rappelle être venu au salon lors du décès de mon grand-père. J’étais heureux de le voir, mais l’image de ma grand-mère éplorée au fond de la salle m’avait attristé. Pour l’enfant de cinq ans que j’étais, grand-papa était encore là. Je ne comprenais pas ce qu’était la mort, même si je sentais la peine de grand-maman.
J’observe maintenant son visage rond. La vie y a disparu, mais pas la noblesse de ses traits. En fermant les yeux, je revois les parties de cartes clandestines le soir du réveillon de Noël, alors que j’aurais dû dormir pendant que mes parents assistaient à la messe de minuit. Nos sourires complices. Les expéditions de cueillette de bleuets. Elle pouvait endurer les moustiques pendant des heures sans jamais se plaindre. Moi, ils me rendaient fou au bout de quelques minutes.
Des images dont je suis moins fier me reviennent aussi. La fois où je l’ai reprise, alors qu’elle m’aidait à faire mes devoirs. Elle avait dit « é » au lieu de « e accent aigu ». Je l’avais corrigée, comme un enfant trop sûr de lui peut parfois le faire. Je me souviens de l’humiliation dans son regard. Qu’elle sache lire représentait déjà un exploit en soi. Il est trop tard pour s’excuser lorsqu’on se tient devant un cadavre. Je me contente de formuler une vague prière. Paroles lancées au ciel pour celle qui s’est évanouie.
Je rejoins les cousins, les oncles. Tant de visages familiers et aimés que la vie a changés. Le temps qui s’écoule. Puis arrive le moment du dernier adieu. Le prêtre se place près de ma grand-mère. Il appelle tout le monde au silence en levant les bras devant lui.
— Le temps est venu de dire un dernier au revoir à Jeannette. Elle repose auprès de Dieu, auquel elle a

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