A contresens
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Description

« Il fait extrêmement froid et nous avons juste nos tenues de prisonnier et nos sabots pour nous protéger du vent glacial qui transperce nos vêtements. Les rangées d’hommes sont plus nombreuses et moins bien disciplinées que les nôtres. Les soldats commencent à être excédés, les voici qui se mettent à matraquer de tous les côtés. Les caméras ne sont pas loin, afin de ne pas rater la moindre occasion de faire de l’audience. Un homme vient de s’écrouler, en sang. Deux soldats le sortent du rang et disparaissent derrière une baraque. J’entends un coup de feu, ou bien j’ai rêvé. Tout cela, c’est pour “créer” l’ambiance. — Vous voyez ce qui arrive aux plus récalcitrants, ach ! Alors ne jouez pas au plus malin, j’attends que le coupable se désigne, ou des innocents vont payer pour lui. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 octobre 2012
Nombre de lectures 1
EAN13 9782748388855
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

A contresens
Nathalie Trabattoni
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
A contresens
 
 
 
 
Objectif 0
 
 
 
Nous étions un millier à nous retrouver agglutinés sur le quai de la gare. Nous ne savions rien de ce qui allait nous arriver, nous attendions juste que l’on nous donne l’ordre de monter dans les wagons à bestiaux.
Des cameramen s’agitaient autour de nous, éclairagistes, maquilleurs, preneurs de son, une équipe presque aussi nombreuse que nous étions de candidats.
La panique m’a étreinte un court instant, juste une fraction de seconde, où je me suis demandé si ce n’était pas de la folie ce que nous allions accomplir, ce que j’avais accepté de faire pour deux millions d’euros au final… si j’arrivais jusque-là ! Puis, l’image de ma mère malade et de l’appartement délabré où nous vivions s’est imposée à moi, remettant ainsi les pendules à l’heure. Courage, ma fille, on n’a pas rien sans rien !
Une voix a hurlé « moteur ! » et des personnages déguisés en soldats, armés jusqu’aux dents, nous ont poussés vers les wagons. C’était la débandade. Nous étions si nombreux pour si peu de wagons que nous nous sommes retrouvés coincés les uns les autres comme un jour de grande affluence dans le métro, lorsque l’on est si serré que l’on sent la moindre part d’anatomie de son voisin, que l’on sent les odeurs de sueur, de mauvaise haleine, et de toute une journée de travail ; poussière, vin, parfum bon marché, parfum, le tout se mélangeant à en donner la nausée. Mais ne faisons pas la fine bouche car, comme je l’ai déjà dit, pour deux millions d’euros, je pouvais faire un petit effort !
Des coups de sifflet retentissent, le chef de gare a donné le signal, le train se met en marche. Non pas un TGV flambant neuf mais, comme je l’ai dit plus haut, un train de marchandises, équipé uniquement de wagons à bestiaux. Je ne sais pas si ce sont des vestiges de la Seconde Guerre ou s’ils ont été fabriqués spécialement pour ce jeu, mais l’illusion est totale. Sur le quai, tout à l’heure, j’ai presque eu l’impression que tout était réel et j’ai, un instant, imaginé tous ces pauvres gens qui furent un jour séparés de leurs conjoints, ou de leurs enfants, et envoyés par ces trains de la mort vers les camps, la destination finale, leur destination finale pour la majorité d’entre eux. J’ai même entendu la plupart des soldats factices parler l’allemand, ou plutôt hurler.
Je ne sais pas vers quelle destination l’on nous mène, mais si la production a décidé de recréer l’illusion parfaite des camps de concentration, nous allons partir dans un pays de l’Est, et le trajet va durer des heures. Pour l’instant, il fait très chaud là-dedans, il y a juste une petite ouverture à travers la paroi métallique du wagon qui laisse passer un filet d’air. On ne nous a pas donné d’eau, pas une bouteille, pourtant nous ne sommes pas filmés. Je pensais que dans ce genre d’émission, hors caméra, nous avions droit à un petit régime de faveur : après tout, ce n’est qu’un jeu mais s’ils ont décidé d’y jouer jusqu’au bout, nous allons en baver. J’imagine déjà les travaux forcés par tous les temps, la maigre pitance (tant mieux pour mes kilos à perdre ! Ça ira plus vite que sur Koh-Lanta !), les baraquements sommaires où nous allons dormir. Voilà, il ne faudra pas craquer mais mon atout, c’est que je suis une sportive.
J’aime entendre le bruit du train sur les rails, je ferme les yeux et j’imagine un départ en vacances. Mais dans ce wagon, pas de place pour le rêve. J’entends crier une femme au fond, elle demande du secours, quelqu’un vient de faire un malaise. La personne la plus près de l’ouverture appelle, mais pas de réponse. Un groupe se trouvant contre la paroi de la porte coulissante tente de l’ouvrir à plusieurs reprises, sans succès. Autour de la personne, l’on essaie de s’écarter, faire un peu de place. Je vois quelqu’un s’accroupir, tenter de faire un massage cardiaque. « Il est mort », dit-il en se relevant. Je crois bien que c’est une blague, tout cela fait partie du scénario, nous ne sommes pas dans un jeu, nous sommes les acteurs d’un film réalisé en temps réel. En fait, dans chaque wagon, doivent se trouver des caméras de surveillance qui analysent et décomposent nos réactions, nos gestes, nos paroles. Ainsi, les meilleures séquences seront diffusées chaque soir à la télévision et les téléspectateurs suivront jour après jour les héros que nous allons peut-être devenir sans le savoir.
Dans le wagon, tout le monde se calme peu à peu. Une femme pleure doucement. Quelqu’un demande à faire pipi. J’entends chuchoter. Les odeurs, avec la chaleur et la promiscuité, deviennent peu à peu insupportables. Derrière moi, une dame âgée vient de vomir. Si je ne me contrôle pas, je sens que mon repas de ce matin va faire demi-tour de mon estomac. Combien de temps encore dans ce train ? Je ferme les yeux, j’ai réussi à m’asseoir, je vais essayer de dormir. Avant de partir, on nous a prévenus de n’emmener ni bijoux, ni montre, ni téléphone portable. Je ne sais donc pas depuis combien de minutes ou d’heures nous roulons. Je somnole, ma tête dodeline, bercée par les à-coups du train sur les rails. J’ai chaud, j’ai soif. Je rêve d’une toute petite fille, elle me tend les bras, des larmes de sang coulent de ses yeux bleus. Je crois qu’elle cherche sa mère. Mais sa mère, c’est moi, et lorsque j’essaie de la prendre dans mes bras, un soldat l’arrache à moi violemment. La petite fille se débat, nous sommes sur le quai d’une gare. Le soldat jette alors mon enfant à terre et, d’un coup de crosse, lui fracasse son petit crâne. « Nooooon ! Pas ça ! »
Je me réveille en sursaut, ravalant un sanglot dans ma gorge sèche. Autour de moi, toujours des plaintes et des lamentations. Combien de temps ai-je dormi ? Une minute ? Une heure ? Mes jambes sont ankylosées et je commence à avoir envie d’uriner. Les odeurs qui m’entourent me prouvent que certains n’ont pas attendu d’arriver pour se soulager. C’est infect ! Et ce qui l’est encore plus, c’est que, j’en suis persuadée, la production a décidé de reproduire à l’identique les conditions des camps. Ce n’est pas du factice ces odeurs de pisse et de vomi, ce n’est pas du factice le transport dans des wagons à bestiaux, sans ravitaillement en eau ni en nourriture, sans pause pour nous dégourdir les jambes et respirer l’air frais. Nous allons vivre « à la dure ».
En plein dans mes pensées, je n’ai pas tout de suite remarqué le ralentissement du train. Autour de moi, on s’agite, tout le monde a compris que le voyage est tout près de se terminer. Les freins grincent sur les rails.
Lorsque le train stoppe enfin, dans un crissement furieux et long, je soupire de soulagement. Au-dehors, j’entends les portes métalliques coulisser, jusqu’à la nôtre. S’engouffre une goulée d’air frais, froid, qui m’emplit les poumons. Des « soldats » nous poussent hors du wagon aidés de leurs armes, en poussant des vociférations. Je les trouve soudain ridicules, ces soldats de pacotille ; ils ont l’air de se prendre au sérieux. Lorsque nous nous retrouvons enfin tous sur ce quai inconnu, j’aperçois des cameramen. Gros plan de notre wagon, nous sommes bousculés, les soldats sortent un monticule ; non, il s’agit d’un homme. Ils le déposent sans précaution aucune sur le quai. S’il n’est pas mort, il joue bien la comédie en tout cas !
Je regarde alors autour de moi : un quai de gare au milieu de nulle part. Au loin, des plaines enneigées. Nous sommes regroupés deux par deux et par catégorie, comme je devais m’y attendre : les femmes et les plus jeunes d’un côté, les hommes de l’autre. Les plus âgés dans une troisième file.
Je frissonne. Je ne sais si c’est le froid ou une peur latente qui s’insinue en moi. Les soldats nous bousculant pour avancer, je reprends rapidement mes esprits.
Les caméras sont présentes autour de nous, zoomant sur nos visages afin d’en capter l’expression au plus près. Je suppose qu’à Paris, sur un plateau paré de mille paillettes, le présentateur vedette est en train à l’instant même de commenter avec humour, ou peut-être gravité, tout dépend de la tournure que prendra l’émission, notre arrivée sur le camp. Celui-ci se présente à nous quelques mètres plus loin. Un immense portail, des murs d’au moins trois mètres surmontés de barbelés, et des miradors bien sûr, où j’aperçois des vigiles armés de mitraillettes, visant notre groupe. Tout est prévu pour créer l’illusion, et je me surprends même à croire que tout ceci est peut-être réel. C’est terriblement angoissant. Mes voisines de file chuchotent toutes, certaines ricanent tandis que les plus âgées semblent impressionnées.
« En avant, schnell , schnell  ! » hurle un soldat.
On ne nous laisse pas le temps de nous poser mille questions et le groupe se met en marche, passant les grilles de l’immense entrée. Lugubre, l’endroit est désolant. Nous nous arrêtons devant un bâtiment en bois. Au balcon de celui-ci se trouve un homme en uniforme de gradé. À son côté un cameraman, ainsi qu’un en bas du balcon pour ne pas perdre une miette du discours qu’il s’apprête à faire, ni de nos réactions, au millier de candidats que nous sommes.
« Je me présente, Oberleutnant Karl Kieser. Vous savez pourquoi vous êtes ici. Moi, je vais vous indiquer comment cela va se passer… Vous aurez un emploi du temps bien défini, des règles de vie à respecter, des tâches à effectuer. Le matin, lever à 4 h 30, toilette et appel sur la grande place où vous vous trouvez. Distribution de votre… hum… petit déjeuner ; pour les

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