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Description

« Ici, pour moi, tout allait commencer. Deux cent soixante-dix jours pour une vie tout entière. Je ne savais rien de ce qui allait venir. J’étais là “pour mon bien”. Viré de tous les lycées, de toutes les écoles. J’étais là pour tripler ma 5e. En plein désert. Au désert. Dans ce monastère perdu. J’étais remué, mais curieux. Tous les sens en éveil. Grande évasion, grande illusion, je venais ici chercher quelque chose. Un rendez-vous capital. Je ne savais pas à ce moment que ce monastère allait devenir pour moi cet espace et ce temps définitivement essentiels pour ma vie. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 février 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748392579
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0049€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

270 jours
Régis Hardy
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
270 jours
 
 
 
À Jim.
 
 
 
Chapitre 1. Premier jour
 
 
 
— Au revoir, mon chéri. Tu vas être bien ici. C’est sauvage, c’est splendide. Regarde tous ces arbres. Je t’embrasse. On reviendra te voir dans un mois…
Ce furent les derniers mots de ma mère. La porte de la 404 noire se referma. Papa avait écrasé son señoritas vert sur le sol. Derrière la vitre à peine ouverte, ma mère m’envoyait un baiser de la main. Dans son regard, je sentais, comme dans tous les grands moments, un mélange de confiance et de désarroi.
 
La voiture vire, lentement, sur la terre caillouteuse de l’immense cour d’honneur de l’école, ouverte sur la campagne. Les pneus font crisser les rares graviers. La 404 s’éloigne. Ils ne se retournent pas. Pour la première fois de ma vie, je suis seul du haut de mes treize ans. Seul pour un mois, un siècle ; définitivement seul donc.
Je sens mon cœur battre comme un fou. J’ai peur. J’ai mal. Ma gorge se serre. Une irrésistible poussée de larmes, et à la fois, au fond, une envie sourde de tenir, de faire face. Dans mes poches, je serre mes poings quand, par bouffée, je sens venir la vague.
À côté de moi, sa valise en carton à ses pieds, Dominique m’interpelle.
— On est bien paumé ici ! Mais doit y avoir des moyens de s’échapper…
De quoi parle-t-il ? Je ne comprends pas. Alors pour entrer dans le jeu, ou pour exorciser ma peur, une drôle d’idée me vient. Je suis Steve Mc Queen arrivant dans ce camp. Désormais, avec ce Dominique, je vais mettre mon énergie à notre « évasion ». Je me donne un rôle. Dominique me regarde.
— On marche ensemble, Julien ? On est potes ?
— Oui, on est potes ! C’est sûr, on trouvera les combines, répondis-je avec un air entendu.
 
Je venais de contracter le premier pacte de ma vie.
Dans cette abbaye bénédictine, perdue au centre de la terre, en fait au cœur du Morvan, la vie pour moi allait vraiment commencer.
Sur une butte, dominant la cour immense, Dominique et moi observions le ballet des voitures débarquant les « prisonniers ». Valises, cantines, embrassades… Et les voitures viraient toujours pour disparaître derrière les arbres. Fuyez famille aimée !
Il y avait des DS et de très belles voitures étrangères, avec des parents très chics. Il y avait aussi de vieilles autos bien ordinaires. Je remarquais que les séparations au pied des petites autos manifestaient beaucoup plus d’effusion que celles auprès des longues limousines. Dominique me sortit de mes observations.
— Dis-moi Julien, ils sont vieux tes parents ! Quels âges ?
— Autour de cinquante, je crois. J’sais pas vraiment…
Ce commentaire me fit l’effet d’une bombe. Vieux mes parents ! C’était mes parents, c’est tout. Ça n’a pas d’âge des parents.
Dans le ballet des adieux, je remarquais un peu plus tard que beaucoup de parents faisaient en fait beaucoup plus jeunes que les miens. Un peu comme mon frère ou ma sœur aînés. Moi, j’étais le numéro cinq et le dernier de ma famille. Je me disais que c’était normal que mes vieux fassent vieux. Mais le choc était là. Mes parents étaient vieux. J’étais doublement seul. Alors, encore une fois, mon cœur se serra.
Le soleil déclinait. Les voitures se faisaient plus rares. Dans la cour qui paraissait encore plus grande, les moines devenaient de plus en plus nombreux. Robes, scapulaires et capuches noires. Pieds nus dans des sandales de cuir. Longues ceintures descendantes sur le côté droit. Et les ceintures virevoltaient si les moines marchaient vite. Le soleil se couchait quand une sinistre clochette d’un autre temps retentit. Les moines se rangeaient. Nous aussi. Silence. Mon cœur battait.
 
Le cœur bat toujours quand le jour bascule et qu’autre chose commence.
 
Ici, pour moi, tout allait commencer. Deux cent soixante-dix jours pour une vie tout entière. Je ne savais rien de ce qui allait venir. J’étais là « pour mon bien ». Viré de tous les lycées, de toutes les écoles. J’étais là pour tripler ma 5 e . En plein désert. Au désert. Dans ce monastère perdu. J’étais remué, mais curieux. Tous les sens en éveil. Grande évasion, grande illusion, je venais ici chercher quelque chose. Un rendez-vous capital.
Je ne savais pas à ce moment que ce monastère allait devenir pour moi cet espace et ce temps définitivement essentiels pour ma vie.
 
 
 
Chapitre 2. L’immersion
 
 
 
Sur le perron de l’escalier d’honneur, le Père Hervé, notre directeur, nous regardait. Je trouvais son sourire beau. Il m’inspirait confiance, a priori. Dominique me donna un coup de coude et sans tourner la tête me dit entre les dents :
— On va pas se marrer avec lui !
— …
Immobiles, nos bagages à nos pieds, nous étions au garde-à-vous dans nos courts blousons d’uniforme en flanelle gris clair. Je découvrais que nous n’étions que très peu nombreux ; une cinquantaine au plus. Ça allait me changer du lycée Montaigne où l’on devait bien compter deux mille élèves !
Autour du Père Hervé, cinq ou six moines nous observaient, les bras croisés sous leurs scapulaires. Des bouilles rondes et joviales. Des bouilles émaciées, en lame de couteau. Des veilles bouilles fripées, roses, jaunes, grises. Des jeunes bouilles lisses, luisantes, pâles.
Ils avaient tous une tonsure impeccable, et l’on sentait à la densité de cette couronne que certains avaient encore le cheveu puissant, quand d’autres laissaient supposer qu’ils étaient déjà chauves. Un petit moine attira mon attention. Il était sensiblement plus jeune que les autres, et surtout, il avait conservé tous ses cheveux, coupés très courts par la tondeuse. Son scapulaire aussi le distinguait des autres ; il ne tombait pas à ses pieds, mais s’arrêtait à ses genoux. J’appris vite à distinguer un Frère d’un Père. Les Pères étaient des prêtres, les Frères non. Ils venaient au monastère pour vivre une aventure. Sans ordination, sans vœux perpétuels prononcés, ils pouvaient partir d’ici quand ils le décidaient. Intéressant.
Frère Arnoult donc, nous dévisageait avec un bonheur visible. Il fut le religieux le plus proche de nous, de nos vies, de nos tristesses, de nos jeux. Il n’enseignait pas.
Frère Arnoult, c’était notre entraîneur, notre arbitre, notre conseiller, notre pote. Très vite, Dominique mesura l’homme et murmura :
— Celui-là, il nous aidera. Il est de notre côté.
 
On nous fait ranger par classe. Les 6 e , les 5 e , les 4 e . Trois classes, c’est tout. Une douzaine par classe, c’est tout. Chez les 6 e , il y a des petits, et notamment un tout petit qui doit avoir deux ans de moins que les autres. Il est tout, tout petit. C’est Marc. Ses yeux clairs sont démesurés. Immenses. Il deviendra notre mascotte.
Chez les grands de 4 e , Étienne est une longue perche dégingandée, toujours en short. Il nous dépasse tous de trois têtes. Avec toujours au moins une chaussette en tire-bouchon en bas de la cheville, Étienne, il faut s’en faire un allié plutôt qu’un ennemi.
Chez les grands, il y a aussi Vincent qui ricane tout le temps d’un rire sardonique, nerveux, un peu diabolique. Il a des dents pointues. Il y a aussi un drôle de type, silencieux, isolé, visiblement costaud et plus mature que nous tous.
C’est Jean-Yves Latour, le seul qu’on n’appellera jamais par son prénom. Respect, mystérieux Latour. Il va nous impressionner des mois durant.
Le Père Hervé nous appelle par nos prénoms. J’aime. Ça change des bahuts urbains. À l’appel, nous montons les marches du perron vers les moines. Père Hervé nous embrasse un à un. Jamais vu à l’école ! Il nous donne à chacun la plaque de bois sur laquelle est peint en bleu notre matricule. Le mien : 358.
À Paris, quand l’abbaye nous avait envoyé notre numéro pour marquer notre linge et graver notre timbale et nos couverts, la vue de ce numéro m’avait perturbé. Ça va être encore une usine à enfants, m’étais-je dit.
Père Hervé enchaîne :
— Suivez Frère Arnoult. Il vous emmène au dortoir prendre possession de vos lits et armoires. On se retrouve après au gymnase. Un dernier mot. Il y a une première règle ici. Quand vous êtes rassemblés en silence, pour quitter les rangs, vous attendez que je dise Benedicite . Alors vous répondez Dominus , et vous pouvez parler et vous disperser. On essaye ?
Rien ne bouge. Le silence est total. Tous suspendus aux lèvres de Père Hervé…
—  Benedicite …
—  Dominus  !!!
Nous hurlons tous, frénétiquement, comme enfin lâchés dans une basse-cour pour suivre Frère Arnoult parti au galop.
En courant, Dominique me dit :
— Dis Julien, on est vraiment à la caserne ici !
Je lui réponds par un vague « ouais », mais je commence à trouver qu’il charrie le Dominique. Alors, avec un air inspiré, je tente un « Faut voir… ».
 
Je cours. Je cours dans les escaliers qui montent au dortoir. En grappe frénétique, toute l’école est aspirée vers ce qui sera le corridor de nos nuits.
Deux files de lits métalliques de part et d’autre d’une large allée centrale. À la tête de chaque lit, un lavabo, une ampoule, un placard à étagères. Pas de clé. Au pied du lit, comme pour la température aux lits des hôpitaux, notre plaque numérotée. 358, c’est moi.
Je fais mon lit. À la maison, c’était maman. Bouffée aigre de solitude. Frère Arnoult aide les plus petits qui ne savent pas. Il crie : « Au carré ! Au carré ! »
À ma droite, Dominique. À ma gauche, Philippe. J’engage avec lui :
— T’es d’où ?
— De Lyon, me dit-il.
— Pourquoi t’es là ?
— Je connaissais. C’est moi qui ai voulu venir.
— Pourquoi donc ?
— On m’a dit qu’ici, c’était mieux q

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