24 heures héro
92 pages
Français

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Description

24 heures héro c’est un roman noir qui nous plonge dans le quotidien de deux jeunes toxicos et qui ne nous épargne rien –  sauf l’humour, quand l’horreur le dispute à l’absurde.24 heures héro en écho à la série «  24 heures chrono  », car l’histoire se déroule sur une journée –  en mode apnée.24 heures héro c’est un mix de Bret Easton Ellis et de Virginie Despentes, à la sauce C’est arrivé près de chez nous –  bienvenue dans les bas-fonds de Charleroi…  Arnaud et Nadia sont amoureux. La vingtaine. Ils sont beaux. Ou plutôt l’ont été. Nadia a grandi comme elle a pu dans un milieu modeste avec une mère toxique. L’enfer c’était déjà à la maison, alors le viol, la prostitution, la drogue… c’était presque la suite logique. Arnaud, lui, est bien né. Étudiant brillant, la fête et la drogue font partie son quotidien, jusqu’au jour où il transgresse le tabou suprême en prenant de l’héro. Le début de la fin. Ou le début d’autre chose. D’une autre vie. D’un autre monde. Question de perspective. C’est justement à travers les yeux de Nadia et Arnaud –  alternativement  – que les auteurs nous le font découvrir. Un voyage-éclair éprouvant dans les squats sordides et les parcs peuplés de zombies à la dérive de Charleroi. Un univers sombre et violent où trouver sa dose est une question de survie. Quoi qu’il en coûte. Dans ce monde-là, un travailleur social à l’écoute, une vieille sdf qui partage le peu qu’elle a, une étudiante qui donne son kebab, apparaissent comme des lumières d’espoir. Et la quête effrénée d’Arnaud et Nadia se fait épopée.Inspiré de multiples expériences vécues collectées par les auteurs, choquant par son écriture nerveuse et trash, ce roman noir dénonce une réalité sociale particulièrement sombre tout en redonnant une humanité à une population le plus souvent invisibilisée.  Saphir Essiaf a une formation d’éducateur spécialisé. Après plusieurs années dans la sécurité privée, il partage aujourd’hui son temps entre son travail au sein de la cellule sdf de Charleroi et son école de Muay Thai. Régulièrement, il anime des ateliers de gestion de la violence et intervient comme écrivain public auprès d’une population précarisée.Philippe Dylewski a une formation de psychologue clinicien. Il a dirigé un cabinet de recrutement avant de devenir détective privé spécialisé dans la recherche de personnes disparues. Il se consacre désormais à l’écriture. Il a notamment publié Confessions d’un privé (L’Express, 2010).

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 mai 2021
Nombre de lectures 2
EAN13 9782380941876
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Pour Nadia et Arnaud.
 
6h 47
Je me réveille à la première crampe. Mon cœur cogne dur à sa porte. Je le comprends, il veut sortir de cette charogne pourrie qui est moi. Moi aussi je voudrais sortir de moi. J’essaye de rester immobile, ne pas provoquer la douleur. Ça va aller, ça va aller. J’ai la bouche ouverte, et je me vois une seconde comme un saumon affolé, nageoires en sauve-qui-peut, tout juste arraché à sa si froide et si paisible rivière. Puis ça se calme. Quelques secondes. C’est le pire moment parce que je sais que la suite arrive. Seigneur que j’ai froid, ça me coule glacé de partout. Pas bouger, rester calme, maîtriser le truc.
C’est là que tout le banc de piranhas attaque d’un seul coup : mollets, bras, nuque, mon ventre se déchire et je me chie dessus en un long jet libérateur. Avantage immédiat, j’ai beaucoup moins froid. Nadia dort toujours. Formidable, j’ai réussi à ne pas hurler. Même après huit mois de rue, je reste un grand adepte de la pensée positive.
Le défi suivant est de taille : me relever lentement sans déraper dans la merde. Si je roule sur le côté, je plonge dedans. J’essaye de replier les genoux et de pousser avec les mains bien à plat sur le matelas mais je n’y arrive pas, pas assez de force. Triceps et abdos complètement fondus. J’ai très fort envie de pleurer et la seule chose qui me retient, c’est que si Nadia se réveille à ce moment-là, tout ce qu’elle verra, c’est son mec en larmes avec des bulles de morve explosant en rafales de son nez, entièrement tapissé de caca des orteils à la taille. Le monde dans lequel je vis aujourd’hui ne me pousse pas trop à avoir de grands sursauts de dignité, mais il me reste parfois des éclairs d’amour propre. Je me dis que tant qu’il y a de la honte, il y a de l’espoir.
Je réussis quand même à me retrouver à quatre pattes et, aussi débile que ça puisse paraître, je conçois une grande fierté à n’avoir que le bout du pied gauche dans la flaque d’excréments. Ça et le fait que ma main soit posée sur l’aiguille d’une seringue usagée font que je suis debout en un instant. Toutes mes articulations hurlent leur profonde contrariété, ma tête veut jouer à L’Exorciste et mon cœur continue d’exiger violemment sa relaxe immédiate, mais ça va mieux. Dans une minute, ce sera la forme. Je regarde Nadia dormir et pour la deuxième fois en trois minutes, je fais tout ce que je peux pour contenir mes larmes. Elle a l’air tellement tranquille. Tellement en paix. Elle tient très fort « Tiiik » dans ses bras, je suis sûr que son ours en peluche la protège des mauvais rêves. Elle l’aime et lui aussi l’aime. Elle dort bien. Elle a un peu bavé sur la tête de son nounours et les poils sont un peu collés. C’est trop mignon. Nadia est un peu trop maigre, mais rien de catastrophique. Elle a des ecchymoses et des croûtes derrière le genou parce qu’elle ne veut plus que je la pique dans le bras. Mais à chaque fois elle pleure parce que ça fait trop mal alors on est bien forcé de continuer à employer les veines des bras. Sa petite culotte « Snoopy » est déchirée et pas très propre. Elle est belle et une petite voix professionnelle et neutre me dit : « Plus pour très longtemps. »
Juste derrière la porte déboîtée, je trouve un vieux jeans et je m’en sers pour frotter au maximum les dégueulasseries que j’ai laissées par terre. Je tente ma chance aussi sur le matelas mais je crois qu’on peut dire que le succès est mitigé. Tout ce que je réussis à faire, c’est à étaler ma production intestinale en larges nuages brun clair. Il fait déjà chaud, je suis sûr pas loin de 25°C et comme on est dans un grenier, il n’y a qu’une petite lucarne. C’est assez pour la lumière, mais question aération, c’est limite. Heureusement, la fenêtre est cassée. Sur le mur de brique face au matelas, quelqu’un a écrit deux phrases : « Ici, même les murs ont le sida » et « Mes désirs sont leurs ordres ». C’est tout bien calligraphié comme si c’était mon institutrice de première 1 qui s’était perdue ici. Dans le coin droit, il y a une vieille télé à l’envers avec posé dessus un sapin de Noël en plastique brûlé et fondu. Il y a eu un début d’incendie mais les occupants du moment ont réussi à l’éteindre avec ce qui ressemble à une vieille carpette, mais je n’en suis pas sûr, parce que l’extincteur improvisé évoque davantage un chat momifié. Ça doit quand même être compliqué d’étouffer une bonne flambée avec un chat vivant. Pas question que je m’approche pour vérifier.
Pour en terminer avec le mobilier, nous avons un fauteuil en tissu déchiré sur lequel on peut encore découvrir des vestiges de motifs écossais. Par terre, c’est une impressionnante collection de seringues, de préservatifs usagés, de bouteilles d’ammoniaque vides et de papier toilette souillé roulé en boules. Je sors de la chambre en faisant bien attention aux seringues et aux boîtes de conserve ouvertes. Je me demande un instant pourquoi il y en a autant de petits pois. Les lattes en bois du sol ont été arrachées et je dois faire attention à chaque pas. Nadia et moi, on est ici que depuis quelques jours et on n’a pas encore eu le temps de ranger. Juste avant de sortir, je vois des traces de tirette sur le mur de gauche. À la couleur du sang, je me dis que c’est récent. Ça fait comme des pointillés de mitrailleuse, sauf qu’à la place des impacts de balles, ce sont des gouttes de sang. Les derniers tirs ont touché une affiche du cirque Bouglione en visite à Charleroi il y a vingt ans. Celui qui a fait ça devait être soit très débutant, soit fort en manque. Parce que moi quand je pompe un peu de sang pour voir si je suis bien dans la veine, ça ne gicle jamais.
L’autre partie du grenier est l’un des endroits les plus extraordinaires que j’ai vu de ma vie. Ça doit faire dans les 30 mètres carrés et presque tout est aussi destroy que dans n’importe quel squat. Côté rue, il y a deux lucarnes complètement arrachées qui font comme deux pipelines de lumière. Côté jardin, il n’y a plus de mur, une maison Barbie grandeur nature. À un mètre du vide, une baignoire ancienne en fonte avec des pieds chromés. Il n’y a évidemment aucun raccordement d’eau mais quelqu’un a installé des tuyaux qui descendent du toit. Je ne suis pas monté mais j’ai l’impression qu’il y a un système de récupération d’eau de pluie et peut-être même un filtrage parce que l’eau qui coule dans cette baignoire dès qu’il pleut est douce comme le cul d’un bébé. Je ne sais pas ce qui est le plus incroyable ici. La simple présence de cette baignoire, que personne ne l’ait cassée ou balancée dans le vide ou qu’elle soit la seule chose formidablement propre dans cette immense maison morte qui n’est composée que de répugnances ?
Ce n’est pas tout. Dehors, des arbres étirent leurs branches épaisses, des plantes grimpent en lianes, des fleurs jaunes et rouges jaillissent des murs lézardés et des oiseaux cuicuitent de tout et de rien. Hier, je suis sorti au jardin et une senteur de choses vivantes et vertes m’a chatouillé le bout du nez.
J’enlève mon caleçon et ça fait sur moi comme quand j’étais petit et que j’enlevais mon maillot après une journée de piscine au soleil. La peau bronzée a juste été remplacée par la peau croûtée. J’ai trouvé quelques tee-shirts plus ou moins propres dans une armoire et j’en trempe un dans la baignoire avant de me nettoyer avec. Je recommence jusqu’à ce que je sois presque propre. J’envisage de nettoyer mon caleçon mais je renonce et je balance le tout en bas. Là, il y a une montagne de vieux tissus moisis. C’est la frontière pourrissante avant l’Éden. Je vide la baignoire avec un seau en plastique et ça me démoralise de ne pas pouvoir récupérer toute la crasse du fond. Vite oublié.
Je retourne dans la chambre et je suffoque. L’odeur d’un squat est incomparable. Aucune image, aucun film ne peut exprimer cette fragrance viciée, putride, dont chaque élément sera identifié par le nez le moins délicat : cuivre du sang, moisissure de poutre, urine humaine ou animale, fèces de diverses époques qui tapissent sols et murs, suintements d’ammoniaque, brumes de transpiration, exhalaisons de corps abandonnés à la drogue et retrouvés trop longtemps après leur décès, le tout se mélange mais jamais ne s’assemble vraiment. J’ai mon troisième instinct de larmes en vingt minutes. Avec un peu de chance, je ne m’habituerai jamais.
Nadia est couchée sur le côté, la tête posée sur la main et elle sourit. Ses seins sont superbes et même si elle sait que je m’en fous, elle tente encore parfois de me stimuler de ce côté-là. Ses yeux ne sourient pas, ils chassent. Elle n’a plus rien, merde ! J’étais certain qu’il lui restait une boulette de la veille. Ça veut dire qu’elle s’est réveillée avant moi et qu’elle s’est tout pris en snif pendant que je dormais. Et qu’elle espère qu’il me reste quelque chose. Je ressens une violente poussée de haine, si j’avais su je lui aurais chié dans sa gueule ouverte.
« J’te jure que c’est pas vrai. J’ai dû la perdre en dormant. » Comme preuve flagrante de sa bonne foi, Nadia commence à fouiller dans sa culotte, ce qui est vite fait. Personne n’est plus optimiste qu’un toxicomane en manque et j’ai immédiatement envie de la croire. Pendant dix minutes, nous retournons chaque centimètre de la pièce. Nadia pleure avec des hoquets d’asthmatique perdu dans un silo à grains et elle s’est ouvert le genou sur une fourchette qui traînait. J’ai des méticulosités d’archéologue et tout est minutieusement fouillé : sac de couchage retourné et palpé, boîtes de conserve inspectées, bouteilles d’ammoniaque vidées jusqu’à la dernière goutte, déchets de toutes époques mieux triés que les poubelles d’un altermondialiste. Rien. Nos affaires sont éparpillées dans toute la pièce. Un morceau de sandwich est tombé du sac de Nadia et un reste de laitue molle me nargue.
« T’as regardé sous la salade ? »
Nadia ne répond rien et ouvre délicatement son casse-croûte d’avant-hier. Quelque chose de vivant et de rapide s’enfuit. Elle crie « c’est sur ma main, c’est sur ma main ! 

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