Chroniques de Haute Volga
351 pages
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Chroniques de Haute Volga , livre ebook

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Description

Ces chroniques tentent de livrer un regard sur la vie quotidienne dans la Russie de Vladimir Poutine. Un couple : lui, ingénieur, parti diriger une entreprise dans une petite ville russe sur les bords de la Volga ; elle, professeur de philosophie, a quitté son poste pour le suivre. Ils s’installent à Dubna, une cité interdite aux étrangers jusqu’à la Perestroïka, conçue par le stalinisme pour abriter les chercheurs en physique nucléaire, en pleine taïga, dans le cœur histo-rique de la Russie. Chantal et Chris vous convient à écouter les saisons, le vent, les gens ; à contempler le fleuve ; à démêler aussi, avec ceux qu’ils rencontrent, les fils d’une Histoire russe souvent rude. Partagez avec eux les rires, les en-thousiasmes, les coups de gueule parfois.Alors qu’en 2022 la guerre russo-ukrainienne éclate à la surprise générale, on se rend compte que les germes de l’offensive étaient déjà présents dans le tréfonds des esprits 13 ans plus tôt.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2022
Nombre de lectures 7
EAN13 9782492126574
Langue Français
Poids de l'ouvrage 11 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0474€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

CHRONIQUES de HAUTE VOLGA Chantal LEGAY-GILBERT
Introduction
2004 : Mon compagnon vient de se voir proposer un poste en Russie : sa mission, réorganiser un site de production français de de matériel électrique et faire construire de nouveaux locaux, l’usine étant logée trop à l’étroit dans des locaux loués à un grandkombinatsoviétique. Nous avons la cinquantaine, les enfants sont grands, rien ne nous retient. La Russie nous fascine depuis notre jeunesse, sa culture, son histoire, sa langue aussi que nous avons commencé d’apprendre dans les années 60. Elle nous effraie un peu aussi, le pays sent le soufre… Des écrits interdits, transmis cachés dans des doublures de manteaux, sont parvenus en Europe, racontant l’enfer concentrationnaire du goulag dans l’archipel que ses camps dessinent sur la carte de Sibérie… Des rapports difficiles avec nos démocraties… De sombres histoires d’espionnage, ou d’exécutions discrètes par de mystérieux poisons… Bref, le pays ne semble pas très sûr et certains de nos amis s’en inquiètent pour nous. Le stage d’insertion effectué quelques jours avant le départ n’est d’ailleurs guère fait pour rassurer avec ses multiples mises en garde. Mais la curiosité est la plus forte et nous allons mesurer dès nos premiers pas là-bas la formidable richesse culturelle de ce monde secret et encore fermé. C’est ce qui va me pousser à écrire ces chroniques, destinées à partager notre vie quotidienne et nos découvertes avec famille et amis, mais aussi journal de bord pour ne rien oublier de cette aventure qui s’offre à nous, à un âge où on n’en espère plus guère. Poutine commence alors son second mandat et ladémocratie poutiniennene manque pas de nous interroger… Septembre 2009 :
L'heure du retour a sonné, pour quelques jours seulement. Bientôt nous partirons pour l'Ukraine, le pays frère, rongé aussi par une corruption endémique, que nous découvrirons plus proche de nous, plus occidentalisé. Christian y travaillera quatre ans durant ; quant à moi, je n'y resterai que quelques mois, jusqu' à l'automne 2010, moment où je ne parviendrai plus à vivre sans dialyses rénales. Début 2022 : Alors que les abricotiers fleurissent au jardin, la nouvelle éclate, nous laissant sidérés : les troupes russes viennent d’envahir l’Ukraine. Cette irruption de la guerre dans une Europe où les frontières se sont ouvertes, où les peuples se côtoient et se mélangent sans cesse, semble si incongrue. Nous sommes restés en contacts fréquents avec nos amis de Russie et d’Ukraine, nous nous sommes revus, en Russie ou chez eux, pourtant nous n’avons rien senti venir. Me vient alors le besoin de rechercher dans mes souvenirs ce que peut-être je n’ai pas su voir, entendre, deviner, les prémices infiniment discrètes de ce qui allait devenir, des années plus tard, un cyclone dévastateur.
1 — Impressions de Russie…
Octobre 2004 : Mes fantasmes russes en ont pris un coup avant même d’arriver! Après un vol sans intérêt (la dépression installée sur l’Europe centrale imposant son tapis de nuages), je m’attendais, quand l’avion a piqué sur Moscou, à un paysage industriel tristounet, pas déjà à la taïga. C’est pourtant ça, ma première image : une interminable forêt de bouleaux aux fins branchages brun rose, trouée partout de clairières où poussent des barres de béton, des usines, des magasins. Les bouleaux n’abandonnent jamais complètement la place, on en trouve encore jusqu’au cœur de la ville, et pas seulement dans les immenses parcs qui alternent avec les immeubles. La campagne entre dans la ville, la terre, la boue aussi. Deuxième image : j’ai cru qu’il avait neigé. D’en haut, les toits semblent couverts d’une fine couche blanche. Mais non, c’est juste l’éclat gris argenté des tôles de couverture, grandes dalles plates ou taillées en fines écailles pointues imbriquées les unes dans les autres. Troisième image, au sol cette fois, vue depuis la voiture qui nous amène au cœur de Moscou : des bulbes dorés. Ici ou là, petites églises de bois cernées de vieilles isbas ou monastère blanc dardé de clochetons multiples, tout sanctuaire a droit à ses bulbes d’oignon étincelants d’or. Dernière image de ce premier jour : les pointes altières des immeubles staliniens. Les a-t-on entendus dénigrés, ces gratte-ciels qui devaient célébrer la gloire du régime. Eh bien moi, ils me plaisent avec la massivité de leur base qui semble indestructible, et l’élancement soudain de leur pointe : bizarre à dire, mais ces pointes, elles me font penser de loin à la silhouette pyramidale du mont Saint-Michel, cela me les rend presque familières et accueillantes! Pour mon premier week-end moscovite, Christian a prévu du grandiose : la galerie Tretiakov, un lieu mythique où nous courons d’emblée aux salles d’exposition des icônes, en partant des œuvres ème ème des XIII et XIV siècles.
La collection dépasse tout ce que je connais. Les salles succèdent aux salles, partout des chefs-d’œuvre! (dont certains que j’ai déjà eu l’occasion de reproduire : l’achéiropoïète, le Saint-Georges au dragon, ou encore les trois prophètes, Daniel, David et Salomon, ou la Trinité de Roublëv, c’est dire que je suis en terrain connu!). Dans la salle consacrée à Roublëv, tout le mur du fond est occupé par une immense Déisis de peut-être trois mètres quatre-vingts de haut sur huit de large! Combien peuvent peser ces énormes planches??? Même en Grèce, je n’ai jamais vu d’icônes de cette dimension. Insérées dans l’iconostase, elles devaient former un ensemble impressionnant. Les autres étages sont consacrés à la peinture profane. Je ne connais pas les peintres, mais leurs toiles sont intéressantes, elles évoquent l’histoire russe lointaine, décrivent des paysages sibériens ou orientaux, ou présentent les portraits de puissants ou d’humbles. Après Tretiakov, nous repartons comme nous sommes venus, en métro, pour la Place Rouge. Le métro aussi mérite qu’on parle de lui, lui aussi est impressionnant. Déjà simplement parce qu’il faut y descendre! Des escalators, hauts de soixante à quatre-vingts mètres avec une pente à quarante-cinq degrés, glissent vers les profondeurs. Gare à louper la marche! Impression vertigineuse de vide, comme en haut du théâtre antique de Pergame. Les convois, qui ressemblent à nos trains de banlieue, s’enfilent en hurlant dans des kilomètres de couloirs, la ville est étendue, les stations éloignées les unes des autres, le rythme soutenu, l’attente réduite. On descend sous le regard las d’un employé à casquette, posté au pied dans sa guérite comme une dame pipi. Le spectacle est assuré quand fleurissent les mini-jupes : elles ne laissent rien ignorer des vilains collants, épais comme des bas à varices, que le peu de tissu peine à dissimuler. Quand on monte, on ne peut s’empêcher de s’étonner : comment ceux qui descendent arrivent-ils à tenir debout aussi penchés en arrière? Les stations sont mieux conçues que celles du métro parisien : au lieu de deux quais séparés par les voies, un passage commun central ouvre l’accès aux quais, de part et d’autre, ce qui permet à la foule de circuler plus aisément.
Quant au décor, il fait montre de recherche; certaines stations sont luxueuses comme des salles de palais. Dans le hall d’accueil du métro, comme dans les passages souterrains qui permettent de traverser les immenses avenues (intraversables sans cela, avec leurs 8 à 10 voies, étant donné le trafic et la vitesse), partout on voit des groupes d’hommes, de jeunes, de filles, qui bavardent en tétant au goulot leur bouteille de bière. Les cafés sont des lieux chics et chers, tout le monde n’a sans doute pas les moyens de les fréquenter, alors les gens se donnent rendez-vous sur un trottoir ou dans un couloir un peu abrité, et on boit debout, en ignorant les courants d’air. Et ça dure… La Place Rouge… On y pénètre en franchissant une porte, rouge, cela s’impose, qui abrite une église. À gauche, un long bâtiment avec un faux air du Louvre : c’est le Goum, le grand magasin de luxe, où Dior ouvre le bal. À droite, les hauts remparts du Kremlin. Et au fond, la cathédrale Saint Basile qui ressemble à un cornet de glace avec boules et chantilly. Je m’attendais, en la visitant, à pénétrer dans une banale église : intérieur sombre, iconostase kitsch, rien de remarquable au premier coup d’œil. Mais au fond, un minuscule escalier à vis tournicote avant de s’ouvrir sur un vrai labyrinthe. Si dehors, le décor, peint et repeint, sent le neuf, dans les entrailles, cette fois, on sent bien que cette église est très vieille : les briques des murs, les dalles au sol trahissent le passage des siècles. Des petits couloirs voûtés se croisent, débouchent sur d’étroites chapelles tapissées d’icônes anciennes. Surprenant dédale, un vrai décor de film! Mais je dois m’arrêter là pour aujourd’hui, je suis usée!!
Dimanche 31 octobre : Au menu des visites : l’église du Christ Sauveur, sur les bords de la Moskova, un énormemachinneuf, reconstruit à grands flambant frais sur les ruines d’une église écrasée par Staline. Elle est aussi luxueuse et immense qu’une cathédrale africaine!Seule, je crois que j’aurais arrêté la visite très vite, agacée par la lourdeur de ce décorum. Je n’aurais pas eu l’idée de traverser tout, pour descendre dans la crypte qu’aucun écriteau ne mentionne.
Or c’est là que le patriarcat russe expose sa collection d’icônes. Encore une! À couper le souffle! De telles richesses en dépit de décennies de pillage organisé, c’est ce qui me surprend. Je voudrais pouvoir photographier, ces icônes n’ont semble-t-il jamais été exposées, bien des modèles sont rares; je me contente de prendre des notes, c’est tout ce qu’on m’autorise à faire! Mardi 2 novembre : Départ pour Dubna Volodia, le jeune chauffeur à tête d’archange, est là dès sept heures trente pour charger tout notre barda. Avec six valises pour deux, nous faisonstrès caravane de la soie! La banlieue nord de Moscou s’étire interminablement. Embouteillages… les bus bondés et les voitures hors d’âge rongées par le sel de dégivrage s’entassent. Mais sitôt franchi le pont du canal qui relie Moscou à la Volga, les barres de béton délabrées disparaissent, la taïga est de retour, jusqu’à Dubna. De temps en temps, des trous sombres : des tourbières, pleines d’eau si elles sont anciennes, affichant sinon le noir mat de leurs flancs ouverts. On devine des villages dans des clairières, on aperçoit de vieilles isbas peinturlurées, avec de beaux entourages de fenêtres sculptés. Le train suit la route. De temps en temps, en pleine campagne, surgit une gare… c’est-à-dire un poteau indicateur et un marchepied long de plusieurs dizaines de mètres. Difficile de construire plus sobre! Mais inutile d’espérer qu’un chef de gare vienne y faire des effets de sifflet! Un peu avant Dubna, pour la première fois, un champ, un immense champ plein de choux, de coupeurs de choux et de tracteurs pour transporter ces choux. Enfin Dubna ! Beau port de mer ! Soupire Christian d’un air qui en dit long… La neige de dimanche finit de fondre, la Volga est grise et frissonne sous le vent, l’hiver commence à s’installer. À l’hôtel, ici, comme à Moscou, on a pris de l’avance sur le calendrier, le chauffage marche à fond comme s’il faisait moins trente.
2 — La vie à Dubna
Drôle d’endroit que Dubna : soixante-dix mille habitants, je devrais parler de ville, mais est-ce le bon terme pour qualifier le lieu? D’abord, comme dans ces cités mayas ou khmères où la végétation engloutit les architectures, ici, mairie, centre culturel, église, disparaissent sous les arbres, s’éparpillent dans la pinède mêlée de bouleaux qui longe la Volga. On finit par tomber sur les bâtiments au moment où l’on s’y attend le moins, au détour d’un sentier. Si on cherche un cœur de ville, peut-être alors est-ce le gros pâté qui accumule ses barres de dix étages sur quelques hectares sans arbres : là, les pieds dans la boue, c’est La Courneuve et ses entrées massacrées, mais… sans parking, les gens se déplacent à pied essentiellement; un gain de terrain qui permet d’entasser les barres. Pas de boutiques, juste quelques petits marchés permanents où les vendeurs occupent de minuscules cabanons, protections dérisoires contre les intempéries. Vendredi, nous y avons acheté des canneberges cramoisies à la peau épaisse, qu’un paysan avait glanées, dans les marais proches, de quoi remplir une petite remorque. Depuis peu s’est ouvert un vrai supermarché à l’occidentale, de la taille d’une supérette française de quartier, où l’on trouve à peu près tout, jusqu’à du camembert normand! À part ça, il y a aussi deuxmagasinsqu’on prendrait pour deux immeubles ordinaires, mais qui accueillent à l’intérieur tous les commerces utiles : pressing, coiffure, mercerie, quincaillerie, chapellerie (eh oui, ici, le couvre-chef fait fureur), à l’étroit entre leurs cloisons de contreplaqué. Surprise : les prix sont plus élevés qu’en France; il est difficile de trouver une paire de bottes à moins de cent quarante euros, pour une qualité qui n’en mériterait que la moitié. Pour l’instant, nous logeons à l’hôtel Dubna, un gros hôtel d’état, souriant comme une usine, à cinquante mètres de la Volga, ce qui me permet tous les jours de me promener au long de la berge. De là, je peux apercevoir la rive nord, où se trouve la maison neuve que nous guignons. Elle est protégée des vents du nord par la forêt et s’ouvre
sur le sud, le fleuve. C’est une jolie maison, lumineuse, mais où il reste encore à procéder à tout l’aménagement intérieur, cela prendra bien trois mois pour installer l’escalier, le chauffage, les plâtres, les sols, l’électricité… J’espère que le projet de location aboutira, la propriétaire semble être une femme ouverte et agréable; le voisinage est constitué d’un mélange de constructions neuves et d’isbas traditionnelles. Nous avons visité une autre maison, plus grande, mais là, je n’ai pas eu le coup de cœur! Elle se carre au milieu de quelques autres grandes bâtisses prétentieuses et froides. Deux bergers allemands en gardent l’entrée. « Indispensables,nous a-t-on affirmé, pour assurer la sécurité, ils vont avec la maison ! »Cedétail, déjà, fait chuter à zéro le baromètre de mon enthousiasme. La bourgeoise un peu snob qui occupe les lieux avec son petit-fils a entassé dans la douzaine de pièces un bric-à-brac qui leur donne un air de greniers… Amoncellement de lits de fortune, de chaises dépareillées, de jouets, de plantes vertes mourantes. Jusque dans les salles de bains, et les larges balcons, ouverts sur les fenêtres des voisins ou sur les lignes électriques… Franchement, je ne me vois pas vivre là. Mais bon… pour l’instant et pour trois mois sans doute, il faut se contenter de l’hôtel. Nous n’y sommes pas mal : deux pièces, une chambre, un bureau, chauffés entre 25 et 30 °C, où l’on ne se supporte qu’en sous-vêtements. Le petit déjeuner de l’hôtel est roboratif : un peu de charcuterie accompagnée de gratin de chou-fleur froid ou d’omelette aux petits pois et d’un verre de thé rouge, le menu surprend l’estomac, saveurs costaudes le matin, surtout celles du chou-fleur. Les employées-fonctionnaires qui assurent le service sont aussi froides que le gratin, elles ne donnent pas envie de s’attarder là. L’usine de Dubna est plus loin dans la forêt, dans les locaux d’une usine d’armement, donc en zone interdite. Je ne peux y accéder, mais je commence quand même à connaître quelques têtes : Frolov, le directeur du personnel, un vrai Tatar à pommettes saillantes et yeux
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