Une ancre pour mon île
39 pages
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Une ancre pour mon île , livre ebook

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Description

"Je t'attends l'ombre s'agrandit il faut venir contre tout sens rien n'existe que notre île au milieu d'un pays la page noire ne me rappelle rien et c'est le soir qui vient m'entends-tu un peu ou as-tu oublié qui je fus?"

Informations

Publié par
Date de parution 05 novembre 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312026664
Langue Français

Extrait

Une ancre pour mon île

Elisa Coste
Une ancre pour mon île







LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-02666-4
Partir c’est revivre un peu jusqu’à quitter son calque et son trouble.
André Velter

L’envers du décor
V IDE
J’ai vidé la maison où vous aviez passé, tout vidé sauf ma mémoire, lâché tout. Les scories sont parties. Ne restent que des traces. Même si je pleure, ce n’est qu’à l’intérieur, rien ne se voit. Parfois les pierres me parlent, elles me font peur. Parfois j’évite de regarder les murs comme s’ils devaient se rétrécir pour enfermer mon histoire, une histoire banale comme les amours, toujours étonnants, toujours fidèles et infidèles. Je cherche parfois dans les yeux des gens le regard qui me fut adressé dans des lits où j’avais laissé mon ombre. Je ne sais pas ce que je vais devenir. Devenir. Je deviens chaque jour quelque chose dont je ne connais pas le nom. Je suis un peu décontenancée, désarçonnée, dés-ancrée, désespérée. Des fois je me regarde sans me reconnaître comme si la vie m’avait donné un nom dont j’hésite à saisir la forme. Un jour j’avais dit, j’aime ce qui n’a pas de forme. Tout. Rien. Je vais parler jusqu’à plus de voix. Je vais m’adresser à toi que j’aime puis à toi que j’aime. Les mots sont les choses auxquelles je tiens. Je n’ai pas de preuve autre de mon existence. Je suis arrimée au désastre des mots dans lequel chacun se perd, chacun évite de rencontrer l’autre même si chacun éprouve la tentation de la rencontre à travers les mots. Je suis une vierge folle que personne ne reconnaît.
Dans la rue, dans dix mille ans, tout le monde affaissé sous les pierres. Qu’est-ce qu’on a fait pour ne pas s’aimer ? Qu’est-ce qui a entravé notre désir de cette énorme communauté humaine qui a sans cesse glissé de nos mains jusqu’à nous faire tomber dans un gouffre absurde de plus en plus profond ? Je cherche le sens de tout cela. Je n’ai pas de réponse, juste l’infinie question qui recommence.
Chaque jour j’essaie de regarder le soleil bien qu’il m’éblouisse. Je n’ai pas de désir profond de transformer mon existence. Je ne sais ce que signifierait cette transformation si ce n’est d’accepter le sort échu.
Les heures défilent sans aucun regard. Sans doute est-ce là la plus grande absurdité, la solitude carrée entre les murs sans aucun don possible. Qu’est-ce que veut dire une vie sans le don ? J’ai pensé quand j’étais toute petite que la mort nous obligeait au don, à l’amour. J’ai confondu l’amour avec le don et je m’épuisais dans cette confusion. Du coup tous peut-être ont aimé cette image qui ne collait pas vraiment à l’envers de ce que je suis, qui attendait aussi sans doute un partage du don. Alors je parlais un langage dont aucun ne comprenait la folie. La folie de pas mal de gens qui ne reconnaissent pas les règles de la séparation indéfectible de chacun d’entre nous, les lois qui n’admettent pas le don, le partage, la confiance etc. Je me retrouve dans une sorte de désert car jamais je ne peux expliquer ce fond-là qui me dérange, m’isole et donne une image voilée de la réalité, un flou qui me cache.
Peut-être y-a-t-il des routes, peut-être des chemins ? Faut-il que je réinvente des mouvements, des gestes, une certaine façon de danser sur le fil. J’ai pensé que j’étais sur un fil plus que sur un chemin. Et celui-ci me disait que je me sentais toujours entre la vie et la mort et seul le risque de vivre me donnait la sensation de vivre. Je me perds farouchement dans le regard des autres. Seule la solitude m’apporte une grande lucidité. Les autres tournent autour de ce qui n’a pas de forme. Le malaise d’être est fondamental comme la solitude.
Je rêve que les choses soient plus simples, qu’on puisse rire de tout cela, qu’on puisse s’écouter, parler de ce qui nous trouble. Je ne trouve pas les mots. J’ai dû perdre un peu de langage. Peut-être faut-il que je dénude ce langage, que je considère que je ne suis personne afin de retrouver une identité au-delà du malaise, afin de reconquérir une sorte de joie. Je ne sais pas où trouver ça si ce n’est dans des choses tellement simples qu’elles en sont dérisoires. Je vais tenter de parler de plus en plus lentement pour qu’entre les mots puisse se loger le silence où parviendra une parole vraie.
Ainsi ralentir afin que ne recommence pas la confusion de mon esprit. Je ne suis pas perdue, juste égarée. J’essaierai de vivre au plus près de la conscience. Je parle dans la voix des autres que j’aime. C’est juste ce qui compte et qu’il faut transmettre, cette infime part de nous-mêmes extrêmement fragile où le doute fait vibrer l’amour.
P OSTE RESTANTE
J’ai envie d’adresser mais je n’ai pas d’adresse. J’adresse à qui j’aime mais la poste est restante. Le courant ne passe plus, je suis court-circuitée. Mon lieu est le vertige du non-lieu et les mots sont manquants quand il y avait des places au soleil. Ou les mots explosent en particules qui créent une ligne discontinue et anonyme. C’est un huis-clos avec moi-même : il y a deux portes entrouvertes. J’attends que le temps passe, qu’il fasse nuit pour pelotonner mon souffle. Je vais de l’une à l’autre, de l’un à l’autre. L’adresse est impossible et l’enveloppe donc est blanche. Mon lieu serait-il innommable ou devenu tel ? Je tente d’enlever des traces mais chaque fois reviennent des pas. Je m’absente de l’histoire continue et me précipite dans des trous qui me donnent de l’air. Le lieu de la lettre est l’impossible rencontre et les trous de mémoire résonnent là où je ne suis pas, où tu n’es pas, où personne ne me suit.
La mémoire s’est absentée dans un cœur vide. Il fait froid dans le blanc mais le noir a été vertigineux alors… il pleut du gris. Un léger doute sur terre. La solitude crève les désirs, on erre dans une lande où rien ne parle. Je n’avais pas songé à tant de pertes ou plutôt je n’avais pas songé et mon lieu introuvable -mon cœur d’enfant est bien là-, caché à tous les regards autres.

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