204
pages
Français
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2013
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Ebook
2013
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Publié par
Date de parution
19 août 2013
Nombre de lectures
0
EAN13
9782342011203
Langue
Français
Yolande a perdu son emploi. Pas évident pour une ancienne employée de cirque de retrouver un travail dans cette région calme et tranquille. Alors quand l'employé de l'agence pour l'emploi lui propose un poste de gouvernante dans un manoir, elle n'hésite pas, elle accepte, même si elle doit partager sa nouvelle demeure avec toute une foule d'animaux, dont certains assez... originaux. En effet, son nouvel employeur se passionne pour les serpents. Arrivera-t-elle à créer des liens avec ce personnage au premier abord si étrange ?
Publié par
Date de parution
19 août 2013
Nombre de lectures
0
EAN13
9782342011203
Langue
Français
Le Manoir aux serpents
Pierrette Boudignon-Estandié
Société des écrivains
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Le Manoir aux serpents
« Quel charme elle exerçait,
Comme tous les visages
S’animaient tout à coup
D’un regard de ses yeux. »
Alfred de Musset, Le Saule
À Lionel qui me soutient.
Chapitre 1. Le manoir des NAC
Yolande se tut, découragée, il lui fallait à nouveau retracer son parcours, pourtant cette personne avait eu entre les mains son CV. Yolande pensa aux films policiers dans lesquels les inspecteurs faisaient inlassablement parler les suspects ; elle se sentit suspecte elle aussi. Cette femme qui lui posait des questions avec une indifférence lasse la mettait mal à l’aise. Elle ne pensait sûrement pas que celle qu’elle mettait sur le gril en l’interrogeant était sur le point de s’effondrer, d’ailleurs, c’est ce qui se passa ! Yolande s’évanouit, elle cessa de lutter, la faim la tenaillait, ses forces l’avaient abandonnée. Affolée, l’employée se dirigea vers la jeune femme, lui tapota les joues, lui frotta les mains, ne sut que faire ; devait-elle aller chercher du renfort et la laisser seule ? Elle l’observait comme jamais elle n’avait observé jusque-là les personnes qui défilaient devant son bureau.
Cette jeune femme était soignée, mais si pâle. Ah ! ses paupières s’entrouvrirent…
— Vous allez mieux ?
— Je ne sais pas ce qui m’arrive…
— Je vais vous chercher un café sucré.
L’employée sortit, Yolande était hébétée, elle ne savait plus pourquoi elle était là, elle serrait fort son sac à main, comme s’il avait été le seul à pouvoir dire qui elle était et ce qu’elle faisait là.
La dame revint avec une tasse de café :
— Buvez mon petit.
Et Yolande s’exécuta en remerciant ; le café n’était pas fameux, mais il lui réchauffait le corps, et peu à peu elle revint sur terre, le sucre lui fournissant un peu d’énergie.
— Merci madame, excusez-moi, je n’ai pas pour habitude de me laisser aller ainsi.
— Mademoiselle, je vais étudier votre dossier rapidement. Cependant, il faut que je sache quelles sont vos aspirations.
— Travailler, faire n’importe quoi.
— Vous avez un métier, dit la femme en consultant le CV, vous êtes couturière, et je vois que vous étiez employée dans un cirque…
— Justement comme couturière, pour faire les costumes, les réparer, j’avais ma caravane, le cirque est une grande famille, j’étais heureuse…
— Et ce cirque a brûlé…
— Il a été entièrement détruit, chacun ayant perdu son emploi, nous sommes tous partis de notre côté.
J’ai assez rapidement retrouvé un emploi comme retoucheuse dans un magasin de vêtements, mais le magasin a fermé, j’ai donc été licenciée. Ensuite, je suis entrée dans une usine de confection, mais je n’ai pu m’adapter au travail et surtout à la cadence, encore une fois j’ai été licenciée ! J’avais quelques économies, elles m’ont permis de me loger et de survivre jusque-là, mais j’arrive au bout.
La femme regarda Yolande avec compassion.
— Vous étiez dans un cirque, vous avez donc approché des animaux ; y avait-il des serpents ?
— Non ! Pourquoi cette question ?
— Depuis quelques mois, un homme qui élève des serpents cherche sans espoir une gouvernante. Dès que je parle de serpents, personne ne veut accepter. C’est tabou !
— Moi je veux bien.
— Vraiment ? Cela ne vous effraie pas ?
— Au point où j’en suis, je ne peux pas faire la fine bouche, et puis quoi, ils ne peuvent pas être pires que les lions ou les tigres !
— Nous allons faire affaire… Cette personne habite un manoir un peu isolé, c’est un homme d’environ quarante ans, sympathique, m’a-t-il semblé. Je crois pour ma part que pour se charger de serpents, il faut être un peu original. J’ignore s’il en a beaucoup et s’ils sont dangereux.
— Il vit seul ?
— Je ne saurais vous dire… Je vais lui signaler votre venue. Possédez-vous un moyen de transport ?
— Hélas, non.
— Revenez demain, entre-temps j’aurais pu le joindre, et nous trouverons un moyen de vous emmener au manoir, peut-être y a-t-il un service de car…
— Merci madame, vous êtes bien aimable.
Yolande se leva, serra la main qui se tendait et partit, moins désespérée qu’à son arrivée. Encore quelques heures à attendre…
L’employé la regarda partir, elle ressentit de l’empathie pour cette jeune femme si digne. Pourtant, pendant ses journées, les cas désespérés défilaient, ce qui lui imposait une attitude détachée : on ne peut porter sur ses épaules toute la misère du monde… Elle se secoua, car elle aussi était assise sur un volcan, elle avait passé un peu trop de temps avec cette jeune femme, ce qui lui serait sûrement reproché. Il ne fallait pas s’éterniser sur chaque cas, lui répétait-on. Malgré tout, elle prit le temps de téléphoner au demandeur lui disant qu’elle pourrait lui présenter une personne qui acceptait de travailler pour lui. Il lui répondit qu’il serait là le lendemain, elle n’avait qu’à lui organiser un entretien avec cette personne, il la remercia vivement…
Le lendemain, Yolande se réveilla moins déprimée, elle s’était pourtant endormie tardivement, excitée qu’elle était par ce nouveau virage dans son existence. Ses rêves furent peuplés de formes bizarres, elle pensa au tableau de Klimt sur lequel l’on voit des formes flotter, des corps, des serpents…
Gustave Ledoux était au rendez-vous fixé par l’Office pour l’emploi. Il était en avance et feuilletait distraitement des revues écornées disposées sur une table. La quarantaine, grand, costaud, il avait un visage que l’on aurait pu qualifier d’énergique, le menton volontaire, les yeux clairs, bleus ou verts, « c’est selon » – disait volontiers son épouse –, ses cheveux étaient bruns parsemés de mèches grises. Il était vêtu d’un loden vert, cossu, grand ouvert sur un pantalon de velours côtelé marron et un pull à torsades beige chiné.
Yolande se présenta à la porte, sa mise était discrète mais de bon goût, elle était munie d’un sac en bandoulière de cuir fauve. Son maintien était digne, elle ne voulait pas passer pour une quémandeuse. Gustave observa ces détails, il était satisfait, il la sentait fière et s’avança vers elle la main tendue.
— Mademoiselle Yolande Grandcœur ?
— Oui, monsieur.
— Je me présente : Gustave Ledoux, je suis soulagé que vous acceptiez de travailler chez moi. Mais peut-être ne vous habituerez-vous pas, je vis assez isolé, et pour une jeune femme… ce n’est pas très réjouissant. Alors, disons que vous allez essayer de vous accoutumer pendant un mois ?
— Ce sera mieux que la solitude dans laquelle je vis actuellement et le dénuement… On a dû vous montrer mon curriculum vitae, j’ai vécu dans une ambiance de camaraderie, j’aimais ce que je réalisais. Pourtant, le destin en a décidé autre chose ; il faut l’accepter, ou périr.
— Comme vous y allez ! Périr… vous avez le temps d’y penser ! Je vous enlève. Mais il faudrait que vous emportiez vos bagages, nous passerons les prendre, nous irons déjeuner et puis je vous ferai découvrir mon antre… et mes pensionnaires.
Ils étaient à table, l’un en face de l’autre, Yolande mangeait de bon cœur et Gustave l’observait en souriant.
— Parlez-moi de vous.
— C’est sans intérêt !
— Vous trouvez ? Vivre dans un cirque, c’est tout à fait spécial, toute une organisation, une petite ville en somme.
— Oui, peuplée de beaucoup d’individus si différents, tous solidaires au moment du spectacle, mais en dehors, l’ambition, la jalousie règnent aussi. Ma situation était celle d’une observatrice, d’une confidente, je n’étais pas en compétition, ma mission était de les rendre beaux dans des atours scintillants, pailletés.
— Vous en parlez avec enthousiasme, je crains fort que vous ne résistiez pas longtemps chez moi, je n’ai rien de tout cela à vous offrir, seulement un gîte agréable et des compagnons qui pourront vous rappeler le cirque : j’ai trois chiens, trois chevaux… et je n’ai pas de chat, je vous expliquerai pourquoi plus tard. Buvez votre café, ensuite, en route pour le manoir de Fontviel. C’est plus exactement une ferme fortifiée.
— J’ai déjà pu contempler ce genre de bâtiment aux cours de nos voyages.
— C’est vrai, vous faisiez partie des « gens du voyage ».
En passant chez elle, Yolande prit une valise avec quelques effets et laissant pièces de mobilier, elle se dit qu’il faudrait les vendre si elle s’adaptait (ou si le maître la tolérait). Son trésor était sa machine à coudre, une surjeteuse et une machine qui posait les biais roulés. Pas question de s’en séparer !
Ils quittèrent Brive-la-Gaillarde, la voiture s’engagea sur la route de Tulle.
Gustave conduisait sans rien dire, Yolande regardait le paysage et se taisait elle aussi. Après un virage, la voiture s’arrêta devant le manoir. Un grand mur d’enceinte flanqué de deux tours rondes. Un monumental portail de bois s’ouvrit, on pouvait voir une vaste cour entourée de constructions et une jolie maison de maître, qui possédait sa tour elle aussi.
— Qu’en dites-vous ?
— C’est magnifique ! Vous vivez là tout seul !
— Presque… mais maintenant, vous êtes là, cette maison va s’animer.
Comme il disait cela, deux chiens jappèrent avec entrain devant la voiture au risque de se faire aplatir. Gustave sortit du véhicule.
— Allons, du calme, ça va ! Vous pouvez descendre, ils ne vous mangeront pas !
Yolande sortit, les chiens, bien entendu, allèrent vers la nouvelle venue, la reniflèrent, elle se laissa faire, sans tenter de les toucher. Calmés, ils se dispersèrent. Gustave sortit les valises de la voiture et se dirigea vers la maison,