Ils se dévoraient à coups de silence , livre ebook

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2013

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« Elle ne parlait pas mais son regard intense remplissait tout l'espace. Qu'il aimait s'y baigner ! Elle ne regardait que lui. Il lui suffisait. Il était sa vie. Jamais une femme ne l'avait contemplé avec une telle tendresse, avec tant de ferveur, de communion, de dévotion. C'était bien la preuve de l'amour, pensait-il. Le regard de Catherine le suivait dans toutes ses pensées, comme la présence de l'immortalité. Ce regard le rassurait sur le sens de sa propre existence. Elle devenait sa flûte enchantée. Miroir éclatant, elle lui suffisait en tout. Quand ses baisers se posaient sur sa bouche, il ne fermait pas toujours les yeux, avide qu'il était de marier cette proximité avec l'enchantement de ce regard encore intense, même mi-clos. »

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Date de parution

27 septembre 2013

Nombre de lectures

0

EAN13

9782342012644

Langue

Français

Ils se dévoraient à coups de silence
Jean Ellezam
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Ils se dévoraient à coups de silence
 
 
 
 
Rencontre
 
 
 
Assis devant son bureau il avait décidé de s’écrire, de se deviner, de préciser pourquoi sa peine était si grande. Pourquoi les vagues de la vie lui râpaient la peau contre le sable. Comment en était-il arrivé là. Mais il avait peu de mémoire. Comment se ramasser ? Comment retracer sans compromis ni complaisance tant d’anecdotes superposées qui font le flot continu des tempêtes de la vie, ces fugaces instants de bonheur et de peines qui le renversaient, lui si solide en apparence.
L’objet du délit s’appelait Catherine. Il fallait fouiller et combattre les derniers instants de malheur pour essayer de retrouver le vertige des premiers bonheurs. Il faut oublier les fins pour sentir la vérité du commencement.
Il l’avait rencontrée lors du cinquantième anniversaire d’un ami. Elle descendait les marches, gracieuse et inquiète, cette inquiétude transpirait de tout son corps même lors des moments de bonheur. Du reste, plus tard il s’est demandé, si elle pouvait ressentir de la plénitude, si le bonheur aurait pu l’atteindre tellement sa réserve enveloppait ses courts instants de lumière. Sa robe n’était pas jolie, trop « fait main », elle méritait mieux. L’artisanat freine parfois l’art. Mais on pouvait deviner au travers dans l’incertitude de cette apparence, l’expression de la beauté naturelle, la beauté rêvée, tranquille et intense, et, pour le designer de mode qu’il était, la muse recherchée.
Elle s’est assise en face dans ce jardin exigu éternellement en construction. D’où les accommodements de style. Chaises et tables étaient aussi disparates que le fouillis d’une cave, mais en plein jour. On était loin de la pelouse de banlieue uniformisée ou du jardin à la française aux arabesques sophistiquée. Ce décor d’artisan avait le charme de la spontanéité. Elle s’est glissée parmi le groupe d’amis, aussi silencieuse que brillante. À côté, un grand gaillard. Il avait l’air de ce qu’il était, un musicien amateur, artisan menuisier, aussi cool que baba cool. Elle lui parlait de banalités avec un regard sans présence. Il n’était pas là à côté d’elle, elle non plus, n’était pas là. Elle faisait du temps, mieux que de la conversation elle faisait de la convention et cherchait déjà du regard un autre intérêt.
Il s’est dit à ce moment précis : mon dieu qu’il aurait détesté un regard pareil porté sur lui. L’indifférence du regard de Catherine l’avait frappé, sa froideur lui avait tout de suite donné l’envie, non de la séduire, mais plutôt d’allumer ce regard impersonnel de l’intensité de sa présence.
Pourtant il s’est entendu dire présomptueux et imbécile :
— Non ce n’est pas mon genre ! dépourvu devant le commentaire de son amie qui avait immédiatement deviné l’impression que lui fit Catherine.
Emma, l’amie de Jacques, lui souffla à l’oreille :
— Tu viens de rencontrer la femme de ta vie.
Comme quoi, débarrassé de la vanité le regard de l’autre est plus avisé.
Emma ajouta navrée :
— C’est impossible, elle est mariée et a un enfant !
Ils firent enfin connaissance. Coiffant d’un regard circulaire l’assemblée, l’attention de Catherine s’est posée sur lui. Elle a semblé ne pas le voir, croyant certainement qu’il était le compagnon de sa voisine. Ils se sont à peine présentés. Il a cru ne pas l’intéresser. Mais elle l’avait quand même remarqué.
À la mi-temps de l’âge, il avait tout vécu. Intellectuel, il fut jeune professeur d’université, plus tard sa vie de designer le fit entrepreneur et industriel. Il était devenu riche, mais sa vie était un perpétuel rebond qui le faisait passer de l’abondance à la disette, d’une vie de millionnaire à une existence aux fins de mois impossibles.
Pour l’instant il était encore riche et oisif, il ne travaillait plus, ne s’exprimait plus, ne se réalisait plus. Nanti, il possédait maisons, auto et même bateau, alors à quoi bon chercher plus. Mais l’important n’était pas là. Un vide immense l’habitait. Il était devenu un creux. Il avait coutume de dire, même les plus belles autos ne te parlent pas, les murs de la maison la plus riche restent des murs. Il cherchait effréné le partage, la compagne qui lui ferait voir de l’herbe plus verte, des montagnes plus hautes, des horizons plus lointains. Il cherchait l’amour. Bien sûr il vivait des relations. De femme en femme il avait visité les plus belles émotions. Du reste, il sortait d’une grande peine d’amour. Aujourd’hui il avait deux femmes en chantier mais aucune ne l’allumait. Il attendait. Mais qu’y a-t-il de pire que d’attendre ?
La soirée battait son plein, ils ne s’étaient plus reparlé, à peine croisés dans cette cohue où on ne se rencontrait qu’à moitié. Il pensait déjà repartir quand soudain l’ami de Jacques, Stéphane, grand gaillard de six pieds sept pouces s’est approché de la belle, ce qui l’autorisait à se joindre à la discussion par contagion naturelle. Le mal était fait. Les inconnus se connaissaient.
Très vite, ils se retrouvèrent seuls. Stéphane rapidement se sentit encombrant. Jacques dit n’importe quoi à cette femme qui venait juste de fêter son quarantième printemps mais qui en paraissait à peine trente. Les femmes d’aujourd’hui conservent une jeunesse éternelle que leur envierait leur mère. Certain de son charme, Jacques tournait en dérision son âge de douze ans supérieur à la mystérieuse beauté. Il savait plaisanter sur son apparence, se moquer de son abondante chevelure grisonnante et désordonnée. Il la fit rire aux éclats, elle s’illuminait. Effrontée, Catherine sortait de sa réserve traditionnelle de femme. Il crut bon de lui demander de calmer ces fâcheux débordements à la bienséance. On ne se connaissait pas, et ces rires apparaissaient aussi inconvenants qu’impertinents. Ils devenaient une insulte à ce silence feutré des petites discussions cloisonnées. Elle était bon public et le rire d’une femme est la moitié du chemin.
Il se crut alors autorisé à la séduire, lui promettant à mi-mot l’émerveillement de lointains horizons :
— Ton mari t’a-t-il déjà emmenée au Maroc ? lui demanda-t-il.
Il reçut pour réponse un regard mélangé qu’il a interprété comme la conséquence d’une maladresse de sa part. Colère et désir se disputaient les étincelles de ces yeux. Farouche et offensée, il l’avait peut-être blessée en lui signifiant son rôle de femme délaissée. Le propos démontrait aussi l’arrogance des riches, voulait-il l’acheter ? Déjà les contre sens s’insinuaient dans cette beauté incomprise d’elle-même, sommée de répondre au chasseur qu’il était.
Ses incertitudes et son insécurité étaient entretenues par l’isolement. Elle élevait son enfant à la campagne, cloîtrée par ce travail de chapelière artisane. Il la clouait dans cet atelier qu’elle avait aménagé dans la maison où elle vivait avec ce mari présent-absent. Elle désignait le père de son fils comme un confrère de maison. Les relations étaient fort distantes. Elle lui en voulait secrètement comme les femmes en veulent à celui qui partage leur existence mais ne les comprenne pas.
Prétextant la ponctuation d’un verbe, Il s’est risqué à glisser doucement deux doigts sur son bras, comme si ces doigts furtifs ajoutaient à la discipline de la concentration. En fait, il vérifiait, comme si cela était nécessaire, sa réaction au premier contact. Il fut surpris par la douceur de cette peau immaculée d’où émanait un presque frisson. Elle avait senti secrètement ce doux moment éphémère. Il l’avait plus tard interrogée à ce sujet. Elle avait confirmé l’émotion de l’instant. Il redoutait déjà son départ et pensait à la velléité de cette rencontre passagère, quasi évanescente. L’impossible gagnait ses espoirs : mariée et enfant !!! Surtout que le fils de Catherine, Renaud, cinq ans, couraillait entre les jambes des convives, poursuivi par une amie tout aussi endiablée. Régulièrement, il venait se réfugier dans les jupes de sa mère.
Pourtant, contre toute attente, Catherine détectant la gêne du prétendant, offrit son numéro de téléphone. Il fut ébloui, n’osait y croire.
— Mais ton mari ? s’inquiéta Jacques.
— Il fait davantage office de colocataire plutôt que de mari. On ne partage rien, on coexiste chacun dans notre espace, rassura Catherine.
— Mais si je te téléphone, tu vas me répondre ?
— Bien sûr, je te promets que je vais te répondre.
Il n’en revenait pas de sa chance. Dieu l’aimait. Catherine descendait tout droit du ciel. Elle répondait intégralement à ses plus prétentieux critères de beauté. Cette féminité à fleur de peau, plus grande que nature, était pour lui l’idéal de la femme, un mixte d’Audrey Hepburn et d’une fée. Sa mère avait fait un travail d’orfèvre, soignant méticuleusement tous les détails. Les yeux de l’élue n’étaient pas simplement de couleurs noisette, ils dessinaient une amande parfaite à laquelle tout cœur normalement constitué ne pouvait résister. La pupille dégageait une intensité électrique qui illuminait ce visage d’une pure harmonie classique. Pourtant, ce n’était pas l’essentiel de ce regard virtuose. Il faisait naître roi celui qui s’en approchait.
Ce visage angélique avait certainement été retouché par un sculpteur grec pour avoir cette exactitude. Un travail artistique de grand talent. Il se surpassa en cette bouche pulpeuse savoureusement rose. Ce même rose délicat et subtil qu’il allait redécouvrir caché sous le vertigineux duvet de ces lèvres intimes. Son nez petit et droit ne se remarquait pas

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