Le Roi Lear , livre ebook

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Extrait : "KENT : Je croyais le roi plus favorable au duc d'Albany qu'au duc de Cornouailles. GLOUCESTER : C'est ce qui nous avait toujours semblé ; mais à présent, dans le partage du royaume, rien n'indique lequel des ducs il apprécie le plus, car les portions se balancent si également que le scrupule même ne saurait faire un choix entre l'une et l'autre. KENT montrant Edmond : N'est-ce pas là votre fils, milord ?"
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Nombre de lectures

36

EAN13

9782335017175

Langue

Français

EAN : 9782335017175

 
©Ligaran 2015

Personnages

LEAR, roi de la Grande-Bretagne.
LE ROI DE FRANCE.
LE DUC DE BOURGOGNE.
LE DUC DE CORNOUAILLES.
LE DUC D’ALBANY.
LE COMTE DE KENT.
LE COMTE DE GLOCESTER.
EDGAR, fils de Glocester.
EDMOND, bâtard de Glocester.
LE FOU DU ROI LEAR.
OSWALD, intendant de Goneril.
CURAN, courtisan.
U n vieillard , vassal de Glocester.
U n médecin .
U n officier au service d’Edmond.
U n gentilhomme attaché à Cordélia.
U n héraut .
GONERIL, RÉGANE, CORDÉLIA, filles du roi Lear.
C hevaliers, officiers, messagers, soldats, gens de la suite .

La scène est dans la Grande-Bretagne.
Acte premier

Scène I

La grande salle du palais des rois de Grande-Bretagne.
Entrent Kent, Gloucester et Edmond.

KENT
Je croyais le roi plus favorable au duc d’Albany qu’au duc de Cornouailles.

GLOUCESTER
C’est ce qui nous avait toujours semblé ; mais à présent, dans le partage du royaume, rien n’indique lequel des ducs il apprécie le plus : car les portions se balancent si également que le scrupule même ne saurait faire un choix entre l’une et l’autre ?

KENT, montrant Edmond.
N’est-ce pas là votre fils, milord ?

GLOUCESTER
Son éducation, messire, a été à ma charge. J’ai si souvent rougi de le reconnaître que maintenant j’y suis bronzé.

KENT
Je ne puis concevoir…

GLOUCESTER
C’est ce que put, messire, la mère de ce jeune gaillard : si bien qu’elle vit son ventre s’arrondir, et que, ma foi ! messire, elle eut un fils en son berceau avant d’avoir un mari dans son lit… Flairez-vous la faute ?

KENT
Je ne puis regretter une faute dont le fruit est si beau.

GLOUCESTER
Mais j’ai aussi, messire, de l’aveu de la loi, un fils quelque peu plus âgé que celui-ci, qui pourtant ne m’est pas plus cher. Bien que ce chenapan soit venu au monde, un peu impudemment, avant d’être appelé, sa mère n’en était pas moins belle : il y eut grande liesse à le faire, et il faut bien reconnaître ce fils de putain… Edmond, connaissez-vous ce noble gentilhomme ?

EDMOND
Non, milord.

GLOUCESTER
Milord de Kent. Saluez-le désormais comme mon honorable ami.

EDMOND, s’inclinant.
Mes services à Votre Seigneurie !

KENT
Je suis tenu de vous aimer, et je demande à vous connaître plus particulièrement.

EDMOND
Messire, je m’étudierai à mériter cette distinction.

GLOUCESTER
Il a été neuf ans hors du pays, et il va en partir de nouveau… Le roi vient.

(Fanfares.)
(Entrent Lear, Cornouailles, Albany, Goneril, Régane, Cordélia et les gens du roi.)

LEAR
Gloucester, veuillez accompagner les seigneurs de France et de Bourgogne.

GLOUCESTER
J’obéis, mon suzerain.

(Sortent Gloucester et Edmond.)

LEAR
Nous, cependant, nous allons révéler nos plus mystérieuses intentions… Qu’on me donne la carte ! (On déploie une carte devant le roi.) Sachez que nous avons divisé en trois parts notre royaume, et que c’est notre intention formelle de soustraire notre vieillesse aux soins et aux affaires pour en charger de plus jeunes forces, tandis que nous nous traînerons sans encombre vers la mort… Cornouailles, notre fils, et vous, Albany, notre fils également dévoué, nous avons à cette heure la ferme volonté de régler publiquement la dotation de nos filles, pour prévenir dès à présent tout débat futur. Quant aux princes de France et de Bourgogne, ces grands rivaux qui, pour obtenir l’amour de notre plus jeune fille, ont prolongé à notre cour leur séjour galant, ils obtiendront réponse ici même… Parlez, mes filles : en ce moment où nous voulons renoncer au pouvoir, aux revenus du territoire comme aux soins de l’État, faites-nous savoir qui de vous nous aime le plus, afin que notre libéralité s’exerce le plus largement là où le mérite l’aura le mieux provoquée… Goneril, – notre aînée, parle la première.

GONERIL
Moi, sire, je vous aime plus que les mots n’en peuvent donner idée, plus chèrement que la vue, l’espace et la liberté, de préférence à tout ce qui est précieux, riche ou rare, non moins que la vie avec la grâce, la santé, la beauté et l’honneur, du plus grand amour qu’enfant ait jamais ressenti ou père inspiré, d’un amour qui rend le souffle misérable et la voix impuissante ; je vous aime au-delà de toute mesure.

CORDÉLIA, à part.
Que pourra faire Cordélia ? Aimer, et se taire.

LEAR, le doigt sur la carte.
Tu vois, de cette ligne à celle-ci, tout ce domaine, couvert de forêts ombreuses et de riches campagnes, de rivières plantureuses et de vastes prairies : nous t’en faisons la dame. Que tes enfants et les enfants d’Albany le possèdent à perpétuité !… Que dit notre seconde fille, notre chère Régane, la femme de Cornouailles ?… Parle.

RÉGANE
Je suis faite du même métal que ma sœur, et je m’estime à sa valeur. En toute sincérité je reconnais qu’elle exprime les sentiments mêmes de mon amour ; seulement, elle ne va pas assez loin : car je me déclare l’ennemie de toutes les joies contenues dans la sphère la plus exquise de la sensation, et je ne trouve de félicité que dans l’amour de Votre Chère Altesse.

CORDÉLIA, à part.
C’est le cas de dire : Pauvre Cordélia ! Et pourtant non, car, j’en suis bien sûre, je suis plus riche d’amour que de paroles.

LEAR, à Régane.
À toi et aux tiens, en apanage héréditaire, revient cet ample tiers de notre beau royaume égal en étendue, en valeur et en agrément à la portion de Goneril. (À Cordélia.) À votre tour, ô notre joie, la dernière, mais non la moindre ! Vous dont le vin de France et le lait de Bourgogne se disputent la jeune prédilection, parlez : que pouvez-vous dire pour obtenir une part plus opulente que celle de vos sœurs ?

CORDÉLIA
Rien, monseigneur.

LEAR
Rien ?

CORDÉLIA
Rien.

LEAR
De rien, rien ne peut venir : parlez encore.

CORDÉLIA
Malheureuse que je suis, je ne puis soulever mon cœur jusqu’à mes lèvres. J’aime Votre Majesté comme je le dois, ni plus ni moins.

LEAR
Allons, allons, Cordélia ! Réformez un peu votre réponse, de peur qu’elle ne nuise à votre fortune.

CORDÉLIA
Mon bon seigneur, vous m’avez mise au monde, vous m’avez élevée, vous m’avez aimée ; moi, je vous rends en retour les devoirs auxquels je suis tenue, je vous obéis, vous aime et vous vénère. Pourquoi mes sœurs ont-elles des maris, si, comme elles le disent, elles n’aiment que vous ? Peut-être, au jour de mes noces, l’époux dont la main recevra ma foi emportera-t-il avec lui une moitié de mon amour, de ma sollicitude et de mon dévouement ; assurément je ne me marierai pas comme mes sœurs, pour n’aimer que mon père.

LEAR
Mais parles-tu du fond du cœur ?

CORDÉLIA
Oui, mon bon seigneur.

LEAR
Si jeune, et si peu tendre !

CORDÉLIA
Si jeune, monseigneur, et si sincère !

LEAR
Soit !… Eh bien, que ta sincérité soit ta dot ! Car, par le rayonnement sacré du soleil, par les mystères d’Hécate et de la nuit, par toutes les influences des astres qui nous font exister et cesser d’être, j’abjure à ton égard toute ma sollicitude paternelle, toutes les relations et tous les droits du sang : je te déclare étrangère à mon cœur et à moi dès ce moment, pour toujours. Le Scythe barbare, l’homme qui dévore ses enfants pour assouvir son appétit, trouvera dans mon cœur autant de charité, de pitié et de sympathie que toi, ma ci-devant fille !

KENT
Mon bon suzerain !…

LEAR
Silence, Kent ! Ne vous mettez pas entre le dragon et sa fureur. C’est elle que j’aimais le plus, et je pensais confier mon repos à la tutelle de sa tendresse… Arrière ! hors de ma vue !… Puisse la tombe me refuser sa paix, si je ne lui retire ici le cœur de son père !… Appelez le Français !… M’obéit-on ?… Appelez le Bourguignon !… Cornouailles, Albany, grossissez de ce tiers la dot de mes deux filles. Que l’orgueil, qu’elle appelle franchise, suffise à la marier ! Je

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