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EAN : 9782335075663
©Ligaran 2015
Préface
Mon vieil ami Gaston Jollivet m’a demandé de présenter au public, qui veut bien m’accorder quelque crédit en matière militaire, son Épopée de Verdun .
Je me rends à ce désir avec d’autant plus de plaisir et de liberté que je connais de longue date ses scrupules de conscience. Il n’ignorait pas, en abordant un pareil sujet, que, pour écrire sur la guerre, comme d’ailleurs pour la faire, il faut – les souvenirs de 1914 nous le rappelleraient à l’occasion – une préparation qui peut-être lui manquait un peu. Du moins pouvait-il se documenter en puisant aux meilleures sources. Or, je sais que, dans ces recherches toujours assez ingrates, il n’a ménagé ni sa peine, ni son temps.
Je sais également qu’il n’a jamais eu la pensée d’établir une histoire définitive des évènements dont il parle, ni voulu entreprendre une œuvre dont le recul du temps permet seul de construire solidement les assises. Il faut de longues et patientes recherches pour percer les ténèbres qui planent sur la genèse d’une opération militaire quelconque, pour connaître exactement ses causes, ses origines, son développement et ses conséquences. J’ai mis quinze ans, pour ma part, à rassembler les documents qui devaient me servir à raconter la guerre de 1870-71. Il en faudra tout autant, sinon davantage, pour débrouiller le chaos de celle d’aujourd’hui.
Qui donc, en effet, pourrait, à l’heure actuelle, dire exactement quelle a été la conception intégrale de l’état-major allemand, dans l’affaire de Verdun, quelles raisons lui ont fait choisir ce point principal d’attaque, et si, encore, l’assaut simultané qui fut livré certain jour sur les deux rives de la Meuse est arrivé à son heure, c’est-à-dire s’il correspondait exactement au moment psychologique dont parlait feu Bismarck, comme de celui qu’il faut savoir reconnaître et choisir ? Sur toutes ces questions qui demeurent pour longtemps obscures, chacun, évidemment, peut avoir une idée personnelle, mais une idée uniquement basée sur des déductions ou, qui pis est, sur de simples inductions.
L’auteur s’est tenu fort sagement à l’écart des unes et des autres. Il s’est borné à soulever, là où c’était possible, quelques coins du voile, ce qui est déjà beaucoup. Surtout, il a préparé la tâche des historiens de l’avenir en leur présentant une documentation très touffue, puisée aux sources allemandes et françaises, et assez sûre pour permettre à chacun de pratiquer plus tard des recoupements utiles, en la comparant aux pièces officielles, ou autres, qui seront mises au jour dans les années qui suivront.
Ce qui nous intéresse dès maintenant, c’est de trouver ici, exposées presque jour par jour, les diverses scènes du drame. Voici d’abord la formidable ruée du 21 février 1916, avec ses débuts terrifiants et l’arrêt magnifique qui lui fut imposé le 24. Puis, c’est la bataille engagée sur les ailes, et les interruptions que l’ennemi, dont on a pu dire qu’il était « vaincu par sa conquête », a été contraint d’y apporter. C’est encore toute la série de ces coups de bélier spasmodiques, qui ne cessaient pas, même, après le début de l’offensive de la Somme, et dont, pour grandir le succès mal assuré, le Kronprinz, cravaté prématurément de feuilles de chêne, ne craignait pas de dire, avec une présomption bientôt punie, « qu’ils avaient supprimé une pierre angulaire de la défense française ».
Et ce sont enfin les deux coups de foudre du 24 octobre et du 2 novembre, qui frappèrent si rudement les occupants de Douaumont et de Vaux, chassés de deux points d’appui de première importance, dont la conquête, surtout en ce qui concerne le premier, avait soulevé en Allemagne des enthousiasmes débordants et d’infinies espérances. Le fracas de la catastrophe retentit jusque dans la profondeur de l’Empire, et la couronne de chêne qui pendait au cou de l’héritier de Hohenzollern se changea en une couronne d’épines. Il venait de perdre son bâton de feld-maréchal.
L’échec subi par lui avait encore une autre conséquence. Il montrait clairement qu’en escomptant notre affaiblissement, l’ennemi s’était trompé grossièrement. Nous nous montrions non seulement capables de le refouler, mais aussi de combiner deux opérations offensives, l’une devant Verdun, l’autre sur la Somme. L’armée du général Nivelle rendait à celle du général Fayolle le même service qu’elle en avait reçu. Effet très heureux de la solidarité du champ de bataille, et premier essai de cette extension des fronts de combat qui, seule, peut donner des résultats essentiels.
Autre chose encore. Au cours de cette douloureuse secousse, l’Allemagne a senti qu’elle était maintenant exposée à périr par où elle avait cru vaincre. Depuis de longues années, elle forgeait dans le mystère les instruments de guerre dont elle attendait miracle : « Honneur au général de Schlieffen qui nous a donné l’artillerie lourde ! » écrivait il y a quelques temps je ne sais plus quel officier prussien. Oui, c’est vrai ! L’artillerie lourde nous a surpris, d’abord. Mais aujourd’hui elle ne nous effraye plus, ni ne nous étonne. Nous lui en opposons une autre, qui la vaut. À Verdun, nos canons de 400 ont pris une belle revanche de Liège, d’Anvers et de Maubeuge, et les engins monstrueux, qui font du sol ravagé une sorte de chaos lunaire, ne sont plus tous du même côté.
Ils appuient, du nôtre, une infanterie inébranlable dans la résistance et fougueuse à souhait dans l’attaque. Quand ces deux éléments primordiaux de la bataille sont actionnés par des hommes qui s’appellent Pétain, Nivelle, Mangin – il faudrait les nommer tous – ils produisent des effets irrésistibles que le Kronprinz et, avec lui, la coalition germanique ont connus à leurs dépens. Si le coup qui les a frappés sur la Meuse n’est pas tout à fait mortel, il est de ceux, du moins, dont on ne se relève jamais complètement rétabli.
Et voilà quel fut le piteux dénouement d’une des plus formidables entreprises de l’Histoire, d’une entreprise montée avec un luxe de moyens inconnus jusqu’ici ; qui exigea huit mois de combats épiques et coûte à l’ennemi un demi-million d’hommes pour le moins. Après avoir suscité tant d’hosannas hâtifs, elle s’est effondrée tout d’une pièce, au grand dépit de ceux qui s’y étaient beaucoup trop obstinés. Devant le bastion inviolable de Verdun, la horde germanique a dû s’arrêter et même reculer de façon sensible. Un amas de pierres croulantes, défendu par des soldats indomptables, a constitué la barrière sur laquelle elle est venue se briser. Le monde civilisé a respiré enfin, et en face du drapeau dont les trois couleurs victorieuses flottaient au-dessus des champs de carnage, l’aigle prussienne, repliant ses serres, s’est mise à sonder du regard l’espace, pour chercher quelque part une proie moins difficile à dévorer.
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Mais revenons à notre livre. À travers l’énoncé des faits de guerre, dont la nomenclature est forcément un peu sèche, l’auteur a placé des récits plus détaillés, dus à des plumes quasi-officielles et à des correspondants de guerre qualifiés. Pages pittoresques et souvent savoureuses où sont peints, en grandeur naturelle, les metteurs en scène et les acteurs de cette puissante tragédie ; je veux dire les chefs et les soldats.
Les premiers furent admirables, on le sait, et à la tête, Primus inter pares , l’homme à la tête solide, au jugement sûr et à la volonté ferme que j’ai connu autrefois dans cette École de guerre, un peu calomniée aujourd’hui, dont il fut un des professeurs les plus justement distingués : j’ai nommé le général Pétain. Mais ses lieutenants et ses aides, à la plupart desquels me lie une vieille camaraderie, trop tôt brisée par des vicissitudes que je veux oublier, qu’en dirais-je pour bien exprimer ce qu’ils valent et ce qu’ils ont donné ?
C’est d’eux qu’un écrivain suédois, M. Erik Sjœstadt, disait en 1914, avec un sentiment d’admiration jaillissante : « Ils ont travaillé en silence pendant quarante ans, le plus souvent sans aucun des privilèges conférés par une situation sociale brillante, et quelquefois même en étant à demi suspects. » Maintenant, ils donnent sans compter leur intelligence, leurs forces, leur sang et leur vie, pour faire germer la moisson de gloire qui doit payer nos sacrifices. Ah ! les braves gens !
Quant aux soldats, ce sont tout simplement des héros, qui font l’admiration du monde ; mais des héros à physionomie distincte et à allures tranchées suivant l’arme à laquelle ils appartiennent. Ils ne sont pas tous, tant s’en faut, taillés dans le même mar