Un drame en Livonie
282 pages
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Description

Jules Verne (1828-1905)



"Cet homme était seul dans la nuit. Il passait comme un loup entre les blocs de glace entassés par les froids d’un long hiver. Son pantalon doublé, son « khalot », sorte de cafetan rugueux, en poil de vache, sa casquette à oreillettes rabattues, ne le défendaient qu’imparfaitement des atteintes de l’âpre bise. De douloureuses gerçures fendaient ses lèvres et ses mains. La pince de l’onglée lui serrait l’extrémité des doigts. Il allait à travers une obscurité profonde, sous un ciel bas dont les nuages menaçaient de se résoudre en neige, bien que l’on fût déjà aux premiers jours d’avril, mais à la haute latitude du cinquante-huitième degré.


Il s’obstinait à ne pas s’arrêter. Après une halte, peut-être eût-il été incapable de reprendre sa marche.


Vers onze heures du soir, cet homme s’arrêta cependant. Ce ne fut pas parce que ses jambes lui refusaient le service, ni parce que le souffle lui manquait, ni parce qu’il succombait à la fatigue. Son énergie physique valait son énergie morale. Et, d’une voix forte, avec un inexprimable accent de patriotisme :


"Enfin... la frontière... s’écria-t-il, la frontière livonienne... la frontière du pays ! "



Un prisonnier politique s'enfuit des mines de Sibérie et tente de rejoindre la Livonie. Pendant ce temps, et non loin d'où il se trouve, un employé d'une banque de Riga est assassiné et volé dans une auberge...

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374636153
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Un drame en Livonie


Jules Verne


Mars 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-615-3
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 615
I
Frontière franchie

Cet homme était seul dans la nuit. Il passait comme un loup entre les blocs de glace entassés par les froids d’un long hiver. Son pantalon doublé, son « khalot », sorte de cafetan rugueux, en poil de vache, sa casquette à oreillettes rabattues, ne le défendaient qu’imparfaitement des atteintes de l’âpre bise. De douloureuses gerçures fendaient ses lèvres et ses mains. La pince de l’onglée lui serrait l’extrémité des doigts. Il allait à travers une obscurité profonde, sous un ciel bas dont les nuages menaçaient de se résoudre en neige, bien que l’on fût déjà aux premiers jours d’avril, mais à la haute latitude du cinquante-huitième degré.
Il s’obstinait à ne pas s’arrêter. Après une halte, peut-être eût-il été incapable de reprendre sa marche.
Vers onze heures du soir, cet homme s’arrêta cependant. Ce ne fut pas parce que ses jambes lui refusaient le service, ni parce que le souffle lui manquait, ni parce qu’il succombait à la fatigue. Son énergie physique valait son énergie morale. Et, d’une voix forte, avec un inexprimable accent de patriotisme :
« Enfin... la frontière... s’écria-t-il, la frontière livonienne... la frontière du pays ! »
Et de quel large geste il embrassa l’espace qui s’étendait devant lui à l’ouest ! De quel pied assuré il frappa la surface blanche du sol comme pour y graver son empreinte au terme de cette dernière étape !
C’est qu’il venait de loin, de très loin – des milliers de verstes, entre tant de dangers bravés par son courage, surmontés par son intelligence, vaincus par sa vigueur, son endurance à toute épreuve.
Depuis deux mois en fuite, il se dirigeait ainsi vers le couchant, franchissant d’interminables steppes, se condamnant à de pénibles détours, afin d’éviter les postes de cosaques, traversant les rudes et sinueux défilés des hautes montagnes, s’aventurant jusqu’à ces provinces centrales de l’Empire russe où la police exerce une si minutieuse surveillance ! Enfin, après avoir, par miracle, échappé aux rencontres où il eût peut-être laissé sa vie, il venait de s’écrier :
« La frontière livonienne... la frontière ! »
Était-ce donc là le pays hospitalier, celui où l’absent revient après de longues années, n’ayant plus rien à craindre, la terre natale où la sécurité lui est assurée, où des amis l’attendent, où la famille va lui ouvrir ses bras, où une femme, des enfants, guettent son arrivée, à moins qu’il ne se soit fait une joie de les surprendre par son retour ?...
Non ! Ce pays, il ne ferait qu’y passer, en fugitif. Il essaierait de gagner le port de mer le plus rapproché. Il tâcherait de s’embarquer sans éveiller les soupçons. Il ne serait en sûreté que lorsque le littoral livonien aurait disparu derrière l’horizon.
« La frontière ! » avait dit cet homme. Mais quelle était cette frontière, dont aucun cours d’eau ne fixait la limite, ni la saillie d’une chaîne, ni les massifs d’une forêt ?... N’existait-il là qu’un tracé conventionnel, sans aucune détermination géographique ?...
En effet, c’était la frontière qui sépare de l’Empire russe ces trois gouvernements de l’Esthonie, de la Livonie, de la Courlande, compris sous la dénomination de provinces Baltiques. Et, en cet endroit, cette ligne limitrophe partage du sud au nord la surface, solide l’hiver, liquide l’été, du lac Peipous.
Qui était ce fugitif, âgé de trente-quatre ans environ, haut de taille, d’une structure vigoureuse, épaules larges, torse puissant, membres solides, d’allure très déterminée ? De son capuchon, rabattu sur sa tête, s’échappait une barbe blonde, bien fournie, et, lorsque la brise le soulevait, on aurait vu briller deux yeux vifs, dont le vent glacé n’éteignait pas le regard. Une ceinture à larges plis lui ceignait les reins, dissimulant une mince sacoche de cuir, qui contenait tout son argent, réduit à quelques roubles-papier, et dont le montant ne pouvait plus fournir aux exigences d’un voyage de quelque durée. Son fourniment de route se complétait d’un revolver à six coups, d’un couteau serré dans sa gaine de cuir, d’une musette contenant encore un reste de provisions, d’une gourde à demi pleine de schnaps, et d’un solide bâton. Musette, gourde et même sacoche, c’étaient, dans sa pensée, des objets moins précieux que ses armes, dont il était décidé à faire usage en cas d’attaque de fauves ou d’agents de la police.
Aussi ne voyageait-il que de nuit, avec la préoccupation constante d’atteindre, inaperçu, l’un des ports de la mer Baltique ou du golfe de Finlande.
Jusqu’alors, pendant un si dangereux cheminement, il avait pu passer, bien qu’il ne fût point nanti de ce « porodojna », délivré par l’autorité militaire, et dont la présentation, doit être réclamée par les maîtres de poste de l’Empire moscovite. Mais en serait-il ainsi aux approches du littoral, où la surveillance est plus sévère ?... Il n’était pas douteux que sa fuite eût été signalée, qu’appartenant à la catégorie des criminels de droit commun ou à celle des condamnés politiques, il dût être recherché avec le même soin, poursuivi avec le même acharnement. En vérité, si la fortune, jusqu’ici favorable, l’abandonnait à la frontière livonienne, ce serait échouer au port.
Le lac Peipous, long de cent vingt verstes environ, large de soixante, est fréquenté, pendant la saison chaude, par des pêcheurs qui exploitent ses eaux poissonneuses. La navigation s’y effectue au moyen de ces lourdes barques, rudimentaire assemblage de troncs d’arbres à peine équarris et de planches mal rabotées, nommées « struzzes », qui transportent, par les déversoirs naturels du lac, aux bourgades voisines et jusqu’au golfe de Riga des chargements de blé, de lin, de chanvre. Or, à cette époque de l’année, et sous cette latitude des printemps tardifs, le lac Peipous n’est pas praticable aux embarcations, et un convoi d’artillerie pourrait traverser sa surface durcie par les froids d’un rigoureux hiver. Ce n’était encore qu’une vaste plaine blanche, hérissée de blocs à sa partie centrale, embarrassée d’énormes embâcles à la naissance des fleuves.
Tel était l’effrayant désert que le fugitif franchissait d’un pied sûr, s’orientant sans peine. D’ailleurs il connaissait la région et marchait d’un pas rapide qui lui permettrait d’atteindre la rive occidentale avant le lever du jour.
« Il n’est que deux heures après minuit, se dit-il alors. Plus qu’une vingtaine de verstes à faire, et, là-bas, je ne serai pas gêné de trouver quelque hutte de pêcheur, une hutte abandonnée, où je me reposerai jusqu’au soir. Maintenant, je ne vais plus au hasard en ce pays ! »
Et il semblait qu’il oubliât ses fatigues, qu’il sentît la confiance lui revenir. Si la malchance voulait que les agents reprissent la piste qu’ils avaient perdue, il saurait leur échapper.
Le fugitif, craignant d’être trahi par les premières lueurs de l’aube avant d’avoir traversé le lac Peipous, s’imposa un dernier effort.
Réconforté d’une bonne gorgée de schnaps qu’il puisa à sa gourde, il se lança dans une marche plus rapide, sans se permettre aucune halte. Aussi, vers quatre heures du matin, quelques maigres arbres, des pins blancs de givre, des bouquets de bouleaux et d’érables, lui apparurent-ils confusément à l’horizon.
Là était la terre ferme. Là, aussi, les périls seraient plus grands.
Si la frontière livonienne coupe le lac Peipous en sa partie médiane, ce n’est pas sur cette ligne, on le comprend, que sont établis les postes de douaniers. L’administration les a reportés à cette rive occidentale que les struzzes accostent pendant la saison d’été.
Le fugitif ne l’ignorait pas, et il ne put être étonné de voir une lumière briller vaguement, qui faisait comme une trouée jaunâtre au rideau des brumes.
« Ce feu bouge-t-il ou ne bouge-t-il pas ?... » se demanda-t-il, en s’arrêtant près de

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