Souvenirs de la maison des morts
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Souvenirs de la maison des morts , livre ebook

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Description

pubOne.info thank you for your continued support and wish to present you this new edition. Au milieu des steppes, des montagnes ou des forets impraticables des contrees reculees de la Siberie, on rencontre, de loin en loin, de petites villes d'un millier ou deux d'habitants, entierement baties en bois, fort laides, avec deux eglises, - l'une au centre de la ville, l'autre dans le cimetiere, - en un mot, des villes qui ressemblent beaucoup plus a un bon village de la banlieue de Moscou qu'a une ville proprement dite. La plupart du temps, elles sont abondamment pourvues de maitres de police, d'asses-seurs et autres employes subalternes. S'il fait froid en Sibe-rie, le service du gouvernement y est en revanche extraor-dinairement avantageux. Les habitants sont des gens simples, sans idees liberales; leurs murs sont antiques, solides et consacrees par le temps. Les fonctionnaires, qui formentt a bon droit la noblesse siberienne, sont ou des gens du pays, Siberiens enracines, ou des arrivants de Russie. Ces derniers viennent tout droit des capitales, seduits par la haute paye, par la subvention extraordinaire pour frais de voyage et par d'autres esperances non inoins tentantes pour l'avenir

Informations

Publié par
Date de parution 23 octobre 2010
Nombre de lectures 0
EAN13 9782819911159
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

PREMIERE PARTIE
Au milieu des steppes, des montagnes ou des forêtsimpraticables des contrées reculées de la Sibérie, on rencontre, deloin en loin, de petites villes d'un millier ou deux d'habitants,entièrement bâties en bois, fort laides, avec deux églises, - l'uneau centre de la ville, l'autre dans le cimetière, - en un mot, desvilles qui ressemblent beaucoup plus à un bon village de labanlieue de Moscou qu'à une ville proprement dite. La plupart dutemps, elles sont abondamment pourvues de maîtres de police,d'asses-seurs et autres employés subalternes. S'il fait froid enSibé-rie, le service du gouvernement y est en revancheextraor-dinairement avantageux. Les habitants sont des genssimples, sans idées libérales; leurs murs sont antiques, solideset consacrées par le temps. Les fonctionnaires, qui formentt à bondroit la noblesse sibérienne, sont ou des gens du pays, Sibériensenracinés, ou des arrivants de Russie. Ces derniers viennent toutdroit des capitales, séduits par la haute paye, par la subventionextraordinaire pour frais de voyage et par d'autres espérances noninoins tentantes pour l'avenir. Ceux qui savent résoudre le.problème de la vie restent presque toujours en Sibérie et s'yfixent définitivement. Les fruits abondants et savoureux qu'ilsrécoltent plus tard les dédommagent amplement; quant aux autres,gens légers et qui ne savent pas résoudre ce problème, ilss'ennuient bientôt en Sibérie et se demandent avec regret pourquoiils ont fait la bêtise d'y venir. C'est avec impatience qu'ilstuent les trois ans, - terme légal de leur séjour; - une fois leurengagement expiré, ils sollicitent leur retour et reviennent chezeux en dénigrant la Sibérie et en s'en moquant. Ils ont tort, carc'est un pays de béatitude, non» seulement en ce qui concerne leservice public, mais encore a bien d'autres points de vue. Leclimat est excellent; les marchands sont riches et hospitaliers;les Européens aisés y sont nombreux. Quant aux jeunes filles, ellesressemblent a des roses fleuries; leur moralité est irréprochable.Le gibier court dans les rues et vient se jeter contre le chasseur.On y boit du Champagne en quantité prodigieuse; le caviar estétonnant; la récolte rend quelquefois quinze pour un. En un mot,c'est une terre bénie dont il faut seulement savoir profiter, etl'on en profite fort bien !
C'est dans l'une de ces petites villes, - gaies etparfaitement satisfaites d'elles-mêmes, dont l'aimable populationm'a laissé un souvenir ineffaçable, - que je rencontrai un exilé,Alexandre Pétrovitch Goriantchikof, ci-devantgentilhomme-propriétaire en Russie. Il avait été condamné auxtravaux forcés de la deuxième catégorie, pour avoir assassiné safemme. Après avoir subi sa condamnation, - dix ans de travauxforcés, - il demeurait tranquille et inaperçu en qualité de colondans la petite ville de K... A vrai dire, il était inscrit dans undes cantons environnants, mais il vivait à K..., où il trouvait àgagner sa vie en donnant des leçons aux enfants. On rencontresouvent dans les tilles de Sibérie des déportés qui s'occupentd'enseignement. On ne les dédaigne pas, car ils enseignent lalangue française, si nécessaire dans la vie, et dont on n'auraitpas la moindre idée sans eux, dans les parties reculées de laSibérie. Je vis Alexandre Pétrovitch pour la première fois chez unfonctionnaire, Ivan Ivanytch Gvosdikof, respectable vieillard forthospitalier, père de cinq filles qui donnaient les plus bellesespérances. Quatre fois par semaine, Alexandre Pétrovitch leurdonnait des leçons à raison de trente kopeks (argent) la leçon. Sonextérieur m'intéressa. C'était un homme excessivement pâle etmaigre, jeune encore, - âgé de trente-cinq ans environ, - petit etdébile, toujours fort proprement habillé à l'européenne. Quand vouslui parliez, il vous fixait d'un air très-attentif, écoutaitchacune de vos paroles avec une stricte politesse et d'un airréfléchi, comme si vous lui aviez posé un problème oa que vousvouliez lui extorquer un secret. Il vous répondait nettement etbrièvement, mais en pesant tellement chaque mot, que l'on sesentait tout à coup mal à son aise, sans savoir pourquoi, et quel'on se félicitait de voir la conversation terminée. Je questionnaiIvan Ivanytch à son sujet; il m'apprit que Goriantchikof était demurs irréprochables, sans quoi, lui, Ivan Ivanytch, ne lui auraitpas confié l'instruction de ses filles, mais que c'était unterrible misanthrope, qui se tenait à l'écart de tous, fortinstruit, Usant beaucoup, parlant peu et se prêtant assez mal à uneconversation à cur ouvert.
Certaines personnes affirmaient qu'il était fou,mais on trouvait que ce n'était pas un défaut si grave; aussi lesgens les plus considérables de la ville étaient-ils prêts àtémoigner des égards à Alexandre Pétrovitch, car il pouvait êtrefort utile, au besoin, pour écrire des placets. On croyait qu'ilavait une parenté fort honorable en Russie, - peut-être même dansle nombre y avait-il des gens haut placés, - mais on n'ignorait pasque depuis son exil il avait rompu toutes relations avec elle. Enun mot, il se faisait du tort à lui-même. Tout le monde connaissaitson histoire et savait qu'il avait tué sa femme par jalousie, -moins d'un an après son mariage, - et, qu'il s'était livré lui-mêmeà la justice, ce qui avait beaucoup adouci sa condamnation. Descrimes semblables sont toujours regardés comme des malheurs, dontil faut avoir pitié. Néanmoins, cet original se tenait obstinémentà l'écart et ne se montrait que pour donner des leçons.
Tout d'abord je ne fis aucune attention à lui; puissans que j'en sus moi-même la cause, il m'intéressa : il étaitquelque peu énigmatique. Causer avec lui était de touteimpossibilité. Certes, il répondait à toutes mes questions :il semblait même s'en faire un devoir, mais une fois qu'il m'avaitrépondu, je n'osais l'interroger plus longtemps; après desemblables conversations, on voyait toujours sur son visage unesorte de souffrance et d'épuisement. Je me souviens que par unebelle soirée d'été, je sortis avec lui de chez Ivan Ivanytch. Il mevint brusquement à l'idée de l'inviter à entrer chez moi, pourfumer une cigarette; je ne saurais décrire l'effroi qui se peignitsur son visage; il se troubla tout à fait, marmotta des motsincohérents, et soudain, après m'avoir regardé d'un air courroucé,il s'enfuit dans une direction opposée. J'en fus fort étonné.Depuis, lorsqu'il me rencontrait, il semblait éprouver à ma vue unesorte de frayeur, mais je ne me décourageai pas. II avait quelquechose qui m'attirait; un mois après, j'entrai moi-même chezGoriantchikof, sans aucun prétexte. Il est évident que j'agis alorssottement et sans la moindre délicatesse. Il demeurait à l'une desextrémités de la ville, chez une vieille bourgeoise dont la filleétait poitrinaire. Celle-ci avait une petite enfant naturelle âgéede dix ans, fort jolie et très-joyeuse. Au moment où j'entrai,Alexandre Pétro-vitch était assis auprès d'elle et lui enseignait àlire. En me voyant, il se troubla, comme si je l'avais surpris enflagrant délit. Tout éperdu, il se leva brusquement et me regardafort étonné. Nous nous assîmes enfin; il suivait attentivementchacun de mes regards, comme s'il m'eût soupçonné de quelqueintention mystérieuse. Je devinai qu'il était horriblement méfiant.Il me regardait avec dépit, et il ne tenait à rien qu'il medemandât : - Ne t'en iras-tu pas bientôt ?
Je lui parlai de notre petite ville, des nouvellescourantes; il se taisait ou souriait d'un air mauvais : je pusconstater qu'il ignorait absolument ce qui se faisait dans notreville et qu'il n'était nullement curieux de l'apprendre. Je luiparlai ensuite de notre contrée, de ses besoins : ilm'écoutait toujours en silence en me fixant d'un air si étrange quej'eus honte moi-même de notre conversation. Je faillis même lefâcher en lui offrant, encore non coupés, les livres et lesjournaux que je venais de recevoir par la dernière poste. Il jetasur eux un regard avide, mais il modifia aussitôt son intention etdéclina mes offres, prétextant son manque de loisir. Je pris enfincongé de lui; en sortant, je sentis comme un poids insupportabletomber de mes épaules. Je regrettais d'avoir harcelé un homme dontle goût était de se tenir à l'écart de tout le monde. Mais lasottise était faite. J'avais remarqué qu'il possédait fort peu delivres; il n'était donc pas vrai qu'il lût beaucoup. Néanmoins, àdeux reprises, comme je passais en voiture fort tard devant sesfenêtres, je vis de la lumière dans son logement. Qu'avait-il doncà veiller jusqu'à l'aube ? Écrivait-il, et, si cela était,qu'écrivait-il ?
Je fus absent de notre ville pendant trois moisenviron. Quand je revins chez moi, en hiver, j'appris qu'AlexandrePétrovitch était mort et qu'il n'avait pas même appelé un médecin.On l'avait déjà presque oublié. Son logement était inoccupé. Je fisaussitôt la connaissance de son hôtesse, dans l'intentiond'apprendre d'elle ce que faisait son locataire et s'il écrivait.Pour vingt kopeks, elle m'apporta une corbeille pleine de papierslaissés par le défunt et m'avoua qu'elle avait déjà employé deuxcahiers a allumer son feu. C'était une vieille femme morose ettaciturne; je ne pus tirer d'elle rien d'intéressant. Elle ne sutrien me dire au sujet de son locataire. Elle me raconta pourtantqu'il ne travaillait presque jamais et qu'il restait des moisentiers sans ouvrir un livre ou toucher une plume : enrevanche, il se promenait toute la nuit en long et en large dans sachambre, livré à ses réflexions; quelquefois même, il parlait touthaut. Il aimait beaucoup sa petite fille Katia, surtout quand ileut appris son nom ; le jour de la Sainte-Catherine, il faisaitdire à l'église une messe de Requiem pour l'âme dequelqu'un. Il détestait qu'on lui rendit des visites et ne sortaitque pour donner ses leçons : il regardait même de travers sonhôtesse, quand, une fois par semaine, elle venait mettre sa chambreen ordre; pendant les trois ans qu'il avait demeuré chez elle, ilne lui avait presque jamais adressé la parole. Je demandai à Katiasi elle

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